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Un adjudant général, nommé Fox, qui était de service à la Convention, vint annoncer à Boissy-d'Anglas que les attroupements au dehors grossissaient de la manière la plus alarmante. Il attendait des ordres. Boissyd'Anglas les lui donne par écrit : ils portaient qu'il fallait repousser la force par la force. Un homme parut, qui tenait au bout d'une pique la tête de Féraud; il s'avance vers le président, et lui présente cette tête livide, qu'on disait être celle de Fréron. Lui, crut qu'on venait de nommer Fox. Pensant alors qu'on allait trouver sur cet officier l'ordre d'employer la force, il se crut perdu, et, résigné à son sort, salua religieusement la sanglante image1. Du pain; la permanence des sections; sites domiciliaires pour les subsistances; les subsistances; l'arrestation de tous les émigrés; la liberté de tous les patriotes; la mise en activité de la Constitution de 1793;

des vi

une municipalité à Paris; la rentrée des députés patriotes; l'arrestation des députés qui n'étaient pas à leur poste; l'arrestation des coquins et des lâches;voilà les propositions qui, coup sur coup, sont lancées dans le bruit, pendant qu'une femme, les bras nus, s'agite violemment.à la Tribune, et que la multitude s'arrache, pour les lire, des écrits rédigés à la hâte sur le Bureau par des inconnus.

Il était neuf heures du soir, lorsque Boissy-d'Anglas, épuisé par tant d'épreuves cruelles, céda le fauteuil à Vernier, que son âge et la faiblesse de son caractère livraient à la merci de l'orage. Le désordre, du reste, avait déjà commencé à s'organiser en quelque sorte. De

1 Notes sur un article nécrologique de Boissy-d'Anglas, par le baron Boissy-d'Anglas, son fils, autographe signé, 27 mai 1827, 8 p. grand in-folio.

• Moniteur (séance du 1er prairial), an III, numéro 245.

3 Mémoires de Thibaudeau, t. I, chap. xIII, p. 164.

la partie supérieure de la salle, on avait fait descendre les députés sur les banquettes inférieures, pour qu'ils votassent les décrets à rendre : il fut convenu que les députés voteraient en levant leurs chapeaux, le peuple restant couvert'.

Vinrent les motions. Romme demande que les patriotes soient mis en liberté; que les procédures commencées contre eux soient suspendues; que les sections soient déclarées en permanence; qu'il n'y ait plus qu'une seule espèce de pain; qu'il soit fait à l'instant des visites domiciliaires pour rechercher les farines. Goujon propose de faire appel aux patriotes opprimés; d'exposer à la France par une proclamation les causes du mouvement du 1a prairial; de nommer une commission extraordinaire qui veille à l'exécution des nouveaux décrets; de rappeler des départements où ils ont été envoyés tous les représentants du peuple, et de renouveler les comités de gouvernement. Bourbotte opine pour l'arrestation des folliculaires qui ont empoisonné l'esprit public, et Duquesnoy, pour le remplacement immédiat du Comité de sûreté générale.

Toutes ces mesures sont décrétées selon le mode convenu et au milieu des applaudissements. La Commission extraordinaire par laquelle Duquesnoy veut qu'on remplace le Comité de sûreté générale est sur-le-champ nommée, et on la compose de quatre membres : Duquesnoy, Prieur (de la Marne), Duroy et Bourbotte*.

Boissy-d'Anglas a repris le fauteuil. Legendre et Delecloy essayent de se faire entendre et sont chassés de l'enceinte par les huées. Soubrany, qui avait été officier

1 Moniteur (séance du 1o prairial), an III, numéro 245.

Beaulieu, Essais historiques, etc., t. VI, p. 185; - Moniteur (séance du 1a prairial), an III, numéro 245.

5 Ibid.

4 Moniteur, an III, numéro 246.

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dans le régiment de Royal-Dragons, est, sur la motion de Romme, son ami, désigné comme commandant de la force armée1. Il était alors minuit.

Or, tandis que les Montagnards passaient ainsi leur temps à rendre des décrets, les Comités de gouvernement, revenus de leur première surprise, rassemblaient des forces. Déjà les bataillons des sections Lepelletier, la Butte-des-Moulins, Fontaine-Grenelle, occupaient le Carrousel et les avenues de l'Assemblée nationale. D'un autre côté, à mesure que la nuit avançait, la plupart des insurgés répandus dans la cour et le jardin des Tuileries s'étaient insensiblement retirés, par la raison que les Parisiens, selon le mot du cardinal de Retz, rappelé par Thibaudeau, ne savent pas se désheurer. Sculs, les plus acharnés occupaient encore la salle et les tribunes. Les sections, conduites par Auguis, Bergoeing, Kervelégan, Legendre, chargent, aux environs de la salle, tout ce qu'elles rencontrent, s'ouvrent un passage, pénètrent dans l'enceinte.

C'était au moment où Duquesnoy, Prieur (de la Marne), Duroy et Bourbotte, en sortaient pour aller remplir les fonctions de membres de la Commission extraordinaire. « Avez-vous ordre du président d'entrer ici?» demande Prieur à Raffet, qui commandait le bataillon de la Butte-des-Moulins. « Je ne te dois aucun compte,» répond celui-ci. Suivant le Moniteur, Prieur (de la Marne) se serait aussitôt tourné du côté de la foule, en criant: << A moi, sans-culottes! » Mais cette circonstance, qui figure dans le compte rendu officiel de la séance du 1er prairial, ne fut révélée que dans celle du 2, et l'on y puisa le texte d'une accusation terrible contre Prieur, sans autre fondement que l'assertion du député

1 Beaulieu, Essais historiques, etc., t. VI, p. 192.

2 Mémoires de Thibaudeau, t. I, chap. xi, p. 165.

XII.

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Quénet, qui déclara n'avoir pas vu son collègue, mais avoir reconnu sa voix1.

Quoi qu'il en soit, la partie avait cessé d'être égale. Contre des bataillons bien dirigés, compactes, s'avançant au pas de charge, la baïonnette au bout du fusil, que pouvait une cohue d'hommes mal armés ou sans armes que personne ne commandait? C'est à peine s'il y eut un simulacre de résistance. Les uns se précipitent aux portes, les autres s'échappent par les fenêtres; en un clin d'œil, la solitude se fait dans les tribunes, et la majorité de la Convention, assemblée républicaine, est triomphalement réinstallée sur ses bancs par les sections les plus royalistes de la capitale 2.

Qu'on annulât, sans plus tarder, tout ce qui venait de s'accomplir et qu'on donnât à brûler en pleine séance les minutes des décrets qui venaient d'être rendus, il était naturel de s'y attendre; mais là n'était point, pour ceux de la droite, le point important: ce qui les tourmentait, c'était une sombre impatience de disperser les derniers débris de la Montagne. Alors, en effet, se reproduisirent avec une exactitude odieuse les scènes de germinal. On entendit Defermon, Pierret, Thibaudeau, invoquer tour à tour la Némésis qui préside aux délibérations des majorités victorieuses; on entendit des législateurs en cheveux blancs proférer des imprécations d'une violence juvénile et de faibles poitrines tousser d'implacables arrêts. Une commune ardeur de vengeance rapprochant des hommes qui devaient, plus tard, s'entre-déchirer, Bourdon (de l'Oise) put, sans s'exposer à être interrompu,

Ce même Quénet, quand l'heure des vengeances sans courage fut venue, attribua à Duquesnoy un mot qui était de Soubrany, et rapporta es paroles de ce dernier autrement qu'il ne les avait dites. Voy. l'Hist. parl., t. XXXVI, p. 313.

2 Telles étaient certainement les sections Lepelletier et de la Butte-desMoulins, comme le mouvement de vendémiaire devait le prouver.

mettre au rang des crimes de Peyssard et de Soubrany celui d'être nés l'un et l'autre dans la classe des nobles! Defermon, pour mieux accabler Prieur (de la Marne) dans le présent, l'attaqua dans son passé. « Ce n'est point assez d'arrêter quelques hommes, s'écria Tallien, il faut d'autres mesures... » Quelles mesures? Il ajouta, de peur sans doute que sa pensée ne fût pas bien saisie : « ...car il ne faut pas que le soleil se lève, et que ces scélérats existent encore 1.» C'était son mot de thermidor: la même soif de sang lui inspirait les mêmes images.

Rien de comparable aux emportements d'une assemblée en fureur, parce qu'elle se sent rassurée par le nombre contre toute responsabilité matérielle, et par la communauté des opinions contre toute responsabilité morale. Il n'est pas d'iniquité si flagrante, pas d'acte de tyrannie si ·làche, dont une assemblée ne soit capable, lorsqu'elle s'abandonne à la force de ces passions électriques qui, à de certains moments, s'emparent des hommes réunis. Pour que Bourbotte, Soubrany, Romme, Duquesnoy, Duroy, Goujon, Peyssard, Ruhl, Prieur (de la Marne), fussent frappés, il suffisait que quelqu'un les nommât! On les nomma; et, traînés à la barre après avoir été livrés aux gendarmes, ils eurent à y subir, pour que rien ne manquât à leur malheur, les insultes sans dignité et sans courage de Tallien. « Malgré les proscriptions, malgré les assassinats que vous aviez organisés, misérables, la République vivra! » Comme si des républicains de la trempe de Romme, de Soubrany, de Goujon, avaient conspiré la mort de la République! Et ce discours, Tallien, chose remarquable, le terminait par cette adjuration qui dut transporter de joie les royalistes : « Mettons tous la main à l'œuvre, et terminons promptement la Révolu

Voy. le compte rendu officiel de la séance par le Moniteur (an III, numéro 246), qui était en ce moment l'organe des Thermidoriens. 2 Voy. le Moniteur (séance du 1o prairiai) an III, numéro 246.

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