Page images
PDF
EPUB

autrichien qui, bien que repliée sur elle-même, s'agiterait dans tous les sens pour entraver la négociation et la faire échouer1; » mais, au fond, ce que le roi de Prusse craignait, c'était qu'on ne vît dans une concession de ce genre une marque de déférence trop éclatante donnée par un roi à une assemblée de régicides. Et puis, il n'était pas sans prendre souci de l'ardeur des sympathies éveillées parmi ses sujets par cette Révolution avec laquelle son égoïsme de monarque seul l'avait amené à traiter. Le général autrichien Hotze, qui, des environs de Bâle, observait avec une vigilance équivoque tout ce qui s'y passait, écrivait : « Il y a souvent des dîners entre les Prussiens et les Français, où les Prussiens portent des toasts à la prospérité et à la gloire de la République française, et vice versa. Au milieu de tout cela, on oublie le bon roi Guillaume. » Il est aisé de comprendre qu'un oubli de cette nature ne fut pas du goût du roi de Prusse.

Toutefois, il n'eut garde d'offenser le Comité de Salut public; et, le 2 janvier 1795, Cambacérès et Rewbell, qui avaient plus particulièrement la conduite des affaires diplomatiques, virent arriver à Paris le conseiller de légation Harnier, envoyé de Berlin pour déclarer que la Prusse ne s'opposerait pas à l'abolition du stathoudérat en Hollande, et qu'elle était prête à consentir à l'occupation provisoire de la rive gauche du Rhin par la France, sauf à renvoyer à la paix générale la cession définitive 3.

Chose curieuse et caractéristique! La raison donnée par le roi de Prusse pour différer la cession de la rive gauche du Rhin jusqu'à la paix générale, fut « la crainte que l'Autriche, si le sort des armes la rendait victorieuse, ne s'emparât de ce pays comme appartenant à la France: »

1 Mémoires tirés des papiers d'un homme d État, t. III, P. 116. 2 Ibid., p. 131 et 132.

3 Ibid., p. 118, 119.

[ocr errors][merged small]

ce qui revenait à dire : « Que le Rhin devienne un fleuve français, s'il ne doit rester allemand qu'à la condition d'être à l'Autriche! >>

Le 12 janvier 1795, le ministre plénipotentiaire français, Barthélemy, arrivait à Bàle, et, dès le lendemain même, il échangeait ses pleins pouvoirs contre ceux du comte de Goltz.

Barthélemy était un marquis; il en avait le ton, les manières, presque les sentiments: c'était un noble de l'ancien régime égaré au service de la Révolution. Mais cela même le rendait propre à aplanir les difficultés que présentait la négociation de la paix avec la Prusse: difficultés sérieuses, car les questions à résoudre étaient celles-ci :

1° Armistice préliminaire ;

2o Évacuation de Mayence par les Prussiens;

5° Occupation des possessions prussiennes sur la rive gauche du Rhin;

4° Neutralité de la Prusse comme État d'Empire;

5° Établissement d'une ligne de démarcation pour le nord de l'Allemagne'.

Tel était l'état des choses lorsqu'eut lieu l'invasion de la Hollande, événement par lequel, selon l'expression de Carnot, « le noyau de la Coalition fut brisé. >>

Le grand coup frappé au nord par la France ayant cu beaucoup d'influence sur l'issue des négociations dont nous avons commencé le récit, voyons, avant de le poursuivre, comment la conquête de la Hollande s'effectua et ce qu'elle produisit.

Jamais, peut-être, l'Histoire n'offrit un spectacle plus extraordinaire que celui d'un peuple qui soupire après le bonheur d'être conquis, s'arme contre les alliés qui le défendent, appelle les conquérants, leur tend les bras,

1 Mémoires tirés des papiers d'un homme d'Etat, t. III, p. 132.

les accueille avec transport, et reçoit la liberté des mains de ses ennemis de la veille, devenus ses frères du lendemain.

Un pareil phénomène ne se peut expliquer que par ce mystérieux, cet irrésistible pouvoir de fascination que posséda la Révolution française, pouvoir auquel se joignit, en Hollande, l'influence de causes antérieures et anciennes.

Presque à dater du jour où, dans ce pays, il y avait eu deux partis face à face: celui des États et celui des princes d'Orange, le premier, fortement imbu de l'esprit républicain, n'avait pas cessé de pencher du côté de la France, tandis que le second avait toujours attendu son appui de l'Angleterre. L'illustre et héroïque Jean de Witt, grand pensionnaire de Hollande, quoiqu'il se fût uni à Charles II d'Angleterre et à Charles X de Suède pour faire restituer la Franche-Comté par Louis XIV, et qu'il se fût ensuite allié à l'Empereur et à l'Espagne pour tenir en échec l'ambition du monarque français, nourrissait des sympathies si décidément françaises, que l'invasion de 1672 donna le signal de sa perte. Si lui et son frère Corneille furent mis en pièces par la populace; si leurs cadavres furent traînés dans les rues; si on les suspendit à un gibet, ce fut parce que Louis XIV, en attaquant la Hollande, vint fournir aux Orangistes le moyen de rendre odieux au peuple, trompé, le penchant des républicains hollandais pour la France. Toutefois, l'influence française ne fut entièrement détruite, ni par la mort de ces deux grands hommes, Jean et Corneille de Witt, ni par la popularité que valut au prince d'Orange sa glorieuse résistance à Louis XIV. Lui-même détruisit son ouvrage, en épousant la fille de Jacques II, en devenant roi d'Angleterre sous le nom de Guillaume III, et en ne se souvenant pas assez de sa première patrie, quand il en eut une seconde qui, en l'adoptant, l'avait couronné.

Pendant qu'en Angleterre, on lui reprochait d'être resté hollandais, on se mit à lui reprocher en Hollande d'être devenu anglais, et de gouverner comme une province annexée à son vaste royaume, le pays auquel il devait tout. Le parti républicain reprit donc à la vie, et peu à peu devint le parti national, notamment après la mort du petit-neveu de Guillaume III, et sous le gouvernement d'Anne, sa veuve, princesse anglaise qui, par sa hauteur, sa morgue, le caractère presque exclusivement anglais de son entourage, acheva de rendre l'influence anglaise impopulaire dans les Provinces-Unies. Et ce fut bien pis encore sous l'administration de son fils, Guillaume V. Les prédilections anglaises de ce prince, hautement affichées; son entourage plus que jamais composé d'Anglais; la mauvaise réputation du duc de Brunswick Wolfenbuttel, son précepteur et son conseiller, qui passait pour être vendu à l'Angleterre; les efforts de cette dernière Puissance pour entraîner la Hollande dans la guerre de Sept Ans, et enfin l'appui prêté à ces efforts par le duc, sans autre motif, disait-on, que la perspective d'une position brillante dans les armées alliées, tout cela contribua à établir l'ascendant du parti républicain et à augmenter, du même coup, l'influence de la France. Les idées de Jean-Jacques Rousseau, dont les livres furent imprimés en Hollande, et la guerre d'Amérique, firent le reste; si bien qu'en 1787, une révolution éclata qui, sans l'intervention de la Prusse, en eût fini, dès lors, avec le stathoudérat.

La Révolution française trouvait donc, en Hollande, le terrain admirablement préparé pour la recevoir. Aussi fut-elle saluée avec enthousiasme, dans ce pays, par le parti républicain; et, chose remarquable, même le parti du Stathouder ne put se défendre d'un sentiment d'ad

miration1.

1

Nous empruntons ce trait à des notes intéressantes qu'a bien voulu

Au reste, peu importait ce que pensait ou ne pensait pas le second de ces deux partis; car la prépondérance du premier était devenue absolument décisive. Une petite oligarchie, et les membres de l'Église réformée, dans un temps où le pouvoir de l'Église n'était plus qu'un mot, voilà tout ce qui constituait la force du Stathouder, tandis qu'on voyait marcher dans les rangs opposés les hommes les plus capables du pays, un grand nombre de personnages considérables et de bourgmestres, lous les dissidents: en un mot, les représentants de la puissance, au double point de vue de l'esprit et de la matière.

La province de Friedland fut la première à se prononcer. Dès le milieu du mois d'octobre 1794, les États de cette opulente province avaient pris la résolution de reconnaître la République française, de rompre avec l'Angleterre, et de s'allier à la France : cet exemple fut promptement suivi; on soupçonna, on accusa le Stathouder de n'être entré dans la Coalition que pour usurper, dans les Provinces-Unies, l'autorité suprême; et ce qui pouvait subsister encore d'attachement à la maison d'Orange fit bientôt place, presque partout, à la haine. Pour en arrêter l'explosion, le gouvernement dut en venir à défendre les réunions populaires : vaine défense, qui, loin d'intimider les esprits, les enflamma! Au bruit de l'approche des Français, les chefs de l'armée alliée avaient proposé de combattre, comme au temps de Louis XIV, les envahisseurs par l'inondation de la contrée exposée à être envahie; mais cette proposition tomba devant l'énergique résistance du parti même en qui le peuple voyait la patrie! Quoi! tout submerger! tout détruire! Et dans quel espoir? On pouvait bien retarder la marche victorieuse des Français, peut-être; mais les emnous fournir, par l'intermédiaire d'un ami commun, M. Frédéric Muller, d'Amsterdam.

« PreviousContinue »