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vores, il a la ressource de vivre de grains, de fruits & de poiffons; il peut fe porter la cime des arbres, y atteindre les fruits qui y font suspendus, & fe plonger au fond des fleuves pour y faifir l'habitant des eaux.

Il a un odorat moins fubtile, mais le toucher est un sens de plus attaché à sa sta

ture.

S'il eft nu, fes mains induftrieufes le mettent à même de fe conftruire des huttes, de fe former des vêtemens qu'il peut prendre & quitter à volonté. Privé de l'aplomb des quadrupedes & de leurs dents meurtrières il est doué de la faculté d'employer un inftrument qui lui fert tout à la fois d'appui & d'arme offenfive & défenfive.

Il peut lancer des pierres, atteindre l'animal qui fuit devant lui, ou s'élève dans l'air.

Malheureusement la terre ne porte pas toujours des fruits. Les animaux qu'il peut faifir & dévorer, se difperfent ou deviennent plus rares: le befoin de fe nourrir est toujours le même. Comment appaifera - t - ii cet ennemi qui vient fans ceffe l'affaillir?

Après avoir vécu l'hiver de l'écorce des arbres & de quelques racines, la misère viendra éclairer fa raison, & le rendra prévoyant.

L'un parviendra à raffembler, à captiver des animaux moins fauvages; il en formera un troupeau qui vivra fous fon empire, qui le nourrira de fon lait, de fa chair, & le couvrira de fa toison.

Un autre qui n'a point encore appris à rendre la terre plus féconde, s'appliquera à en recueillir, à en conferver les fruits.

Cependant le pafleur qui fe croyoit si riche avec les animaux paifibles qu'il mène au pâturage, les voit tout à coup épouvantés, difperfés, ravis par d'impitoyables chaffeurs qui viennent de fondre fur eux.

Ces fruits que l'agriculteur avoit cueillis, confervés avec tant de foin, ont été découverts. De retour dans fa cabane, il ne retrouve plus fa richeffe & fon efpérance.

Comment remédier à un malheur auffi inattendu? S'il redemande à la terre, par fon travail, de nouveaux dons, qui le garentira de la même perte que celle dont il

eft affligé? Cette jufte crainte apporte un degré de lumière de plus à fa raison. Ne pouvant tout à la fois veiller fur fes fruits & les aller cueillir, il s'affocie à un autre de fon espèce qui a des fruits auffi, par conféquent le même danger à courir ; ils rapprochent, tous deux, leurs tréfors: tandis que l'un travaille à les groffir, l'autre les garde avec foin.

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Sur la fin d'un beau jour, l'un de ceux que je nomme agriculteur, revient épuifé de fatigues, accablé fous le poids des richeffes qu'il va dépofer dans le fouterrein creufé par lui. Quelle eft fa furprise! il voit des graines éparfes fur la terre, des fruits foulés aux pieds, il s'avance.... O douleur! tout eft dévasté... ...; il lève les mains au ciel, il cherche des yeux ce gardien dans lequel il avoit mis toute fa confiance; il l'accuse de trahison, il court, il l'appelle, revient fur fes pas; il fuit différentes routes; il aperçoit un être femblable à lui, qui fe traîne douloureufement: il s'en approche, il a peine à le reconnoître; fon visage est meurtri & fanglant: effet funeste

de la propriété; elle a déjà armé l'homme contre l'homme, & répandu fon fang! Hélas, un jour, elle ramènera de bien plus grands maux!

Mais auffi un fentiment jufqu'alors inconnu vient de pénétrer le cœur de cet homme à peine forti de l'état fauvage; déjà la fenfibilité le preffe; l'air défait de fon malheureux compagnon, fa démarche pénible, fon extérieur fouffrant le troublent, l'affectent; il cherche à en favoir la caufe, il le foutient, il examine fes mains tremblantes. Eft-ce un animal féroce qui s'eft jeté fur lui? Où étoit-il pour le défendre ?

L'éloquence des fignes fe développe. Ce premier idiôme de la nature s'enrichit de nouvelles expreffions fous le fentiment de la pitié. Avec quels geftes l'être qui en est l'objet, fait peindre ce qui lui eft arrivé! Comme il trouve le moyen de préfenter ces chaffeurs qui font entrés dans la cabane confiée à fa garde, fans feulement foupçonner qu'elle pût avoir un maître! Avec quelle juftesle, cet homme, qui ne favoit encore pouffer que les cris de la douleur &

de la joie, exprime l'ardeur dont ces ravisfeurs étoient animés, lorfqu'ils fe font précipités fur le tréfor qu'ils ont découvert ; leur joie frémiffante, la réunion de leurs forces & fa défense courageuse!

Ce n'eft donc point assez pour affurer fa fubfiftance, que d'avoir en propriété un troupeau, il faut le défendre contre ceux qui n'en ont pas. Il ne fuffit donc pas, pour fe garantir de la famine, de rendre la terre plus féconde, & d'en conferver les fruits il faut encore les préserver de l'approche de ceux qui les dévorent, comme fi leur travail les eût fait naître: ce n'est pas affez d'an gardien de deux gardiens. Comment repoufferoient-ils ces hardis vagabonds qui marchent en troupe, qui font accoutumés à livrer la guerre aux animaux les plus fé

roces?

Les pafteurs fe réuniront en auffi grand nombre qu'ils le pourront; ils feront cause commune, & défendront de concert leurs troupeaux raffemblés.

Les agriculteurs rapprocheront leurs cabanes; ils en rendront l'entrée plus difficile,

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