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aura vu naître tant de loix bizarres & contradictoires, qu'elles fe feront affoiblies, étouffées fucceffivement. Comme il ne tiendra plus aux premières, & que les nouvelles ne feront pour pour lui que des liens éphémères,

il n'attachera aucune importance ni à leur origine, ni à leur exécution, ni à leur durée.

Les miniftres de ces loix pourront les modifier, les abolir, les faire revivre à leur gré; ils auront acquis ce droit important, non par de grandes preuves de lumière, de pureté de mœurs, d'un fublime amour de la juftice, encore moins d'une longue expérience.

Le premier titre que l'on exigera pour s'élever à une auffi grande puiffance, ce fera de prouver qu'on defcend de ceux qui en ont exercé une femblable;

Le fecond, que l'on a affez de fortune pour avoir eu la faculté de le payer;

Le troisième, de laiffer entrevoir qu'on eft capable de fupporter dans fes égaux l'injuftice & la cupidité.

Eh!comment, auroit interrompu Platon,

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pourroit-il exister un peuple affez aveugle fur fes intérêts, pour confier le dépôt de fes loix à des hommes fi peu éclairés, fi faciles à tromper, & fi près de la corruption?

Son étonnement auroit bien redoublé, fi on lui eût ajouté : « Ces magiftrats légifla»teurs ne feront point élus par le peuple; » ils ne le feront pas même par le mo "narque; ils le feront par eux-mêmes. » En vain l'homme le plus vertueux, le

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plus intègre, le plus verfé dans l'étude » des loix, feroit-il défigné par le fuffrage public, pour être revêtu de la dignité de juge, il ne pourroit y être élevé, s'il » n'avoit pas les titres dont nous venons » de parler. Le prince, avec toute fon » autorité, ne pourroit pas lui - même le faire affeoir dans les tribunaux où la juf»tice fe rend en fon nom, s'il n'avoit pas » été agréé par ceux qui y ont établi leur empire".

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A ces mots, le philofophe de l'antiquité n'auroit répondu que par le fourire du dédain, & il auroit cru qu'on vouloit oppofer

une laide chimère à celle qu'il venoit d'embellir des graces de l'éloquence & parer des charmes de la vertu.

En reconnoiffant que Platon a exagéré les qualités nécessaires aux magistrats, convenons du moins, qu'avant de leur confier un emploi auffi facré que celui d'organes de la loi, il faudroit avoir la certitude qu'ils n'abuseront jamais du glaive de la justice, qu'ils tiendront toujours d'une main sûre fa balance.

Moins nous voudrons les rendre refponfables des erreurs de l'efprit humain, plus nous devons exiger qu'ils aient un fens droit, une raifon éclairée, une pureté d'intentions reconnue, & une intégrité à toute épreuve.

Les Romains avoient mis le feu facré

pour

fous la garde de vierges pures, renfermées dans une enceinte, dont nul profane n'ofoit approcher. Y a-t-il rien de plus facré nous que la loi? La juftice n'eft-elle pas plus sûrement defcendue du ciel que ne l'étoit ce feu confervé avec tant de foin? Entre-t-il dans la nature des hommes de

n'attacher d'importance qu'aux choses matérielles? Ah! s'il étoit poffible de faire de la magiftrature un véritable facerdoce, de l'amour de la loi un culte religieux, du tribunal suprême un temple, combien la justice acquerroit de grandeur & de dignité!

Il exifteroit alors une fainte émulation entre les miniftres des loix & ceux de la religion; ils fe difputeroient nos hommages & notre confiance par leurs vertus. Avant de les élever à leur auguste ministère, nous exigerions des premiers une longue retraite, des études relatives à l'exercice de leurs fonctions.

Ce feroit peut-être à eux feuls qu'il faudroit prescrire le célibat pour les rendre inacceffibles à des féductions intérieures; nous leur interdirions l'approche des femmes, parce qu'en difposant l'homme à trop de fenfibilité, elles le conduifent à opiner plus souvent avec son cœur qu'avec fa raison ; nourris, entretenus aux frais de tous les citoyens, ils fe devroient également à tous. Un père ne feroit jamais expofé à condam

ner fon fils, ou à s'abftenir de fes fonctions.

Une grande auftérité de mœurs fe confondant avec une grande auftérité de principes, produiroit cette rigide équité qui ne permet jamais d'exceptions.

Renfermés dans l'enceinte de leurs temples, ils feroient inaccessibles à toutes follicitations; ils liroient eux-mêmes tous les titres fur lefquels porteroient les demandes & les défenfes des plaideurs, & ils rendroient enfuite leurs oracles en préfence du peuple admis à les entendre, & à honorer leur juftice en filence.

Ce feroit dans ces afyles de l'équité que de jeunes afpirans, après avoir fubi un examen fur les droits & les devoirs du citoyen, honorés du fuffrage public, pourroient être admis à l'étude des loix, & fe rendre dignes de remplacer ceux qui abdiqueroient leurs fonctions; car ils n'auroient pas d'autres liens que l'amour de la juftice, que le defir de la rendre, & ils feroient toujours libres de redefcendre dans la claffe des autres citoyens; mais ils ne pourroient plus remonter à la place qu'ils auroient volontai

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