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de la vie, qui attend tout de lui, à laquelle il dit : prenez, & qui prend ; brûlez, & qui brûle; tuez, & qui donne la mort. Plus ce général prolonge la guerre, plus il perpétue fon empire, plus il plie à l'obéiffance tout ce qui eft fous fes ordres. A-t-il toujours été couronné par la victoire? c'est un héros, c'est un dieu auquel on ne doit que refpect & foumiffion. Revient - il affoibli par des défaites? l'armée qu'il traîne à sa fuite, n'en a que plus de befoins ; &, pour l'attacher à fa deftinée, il fait de fon propre pays un pays de conquêtes. C'est au citoyen timide à dédommager le foldat malheureux. Que font les propriétés devant Pindigence armée ! Quelle force a la jufstice en présence de la cupidité enhardie par le fentiment de fa fupériorité !

Le cultivateur abandonne fon champ, & s'enfuit avec fa famille dans les cités.

L'habitant des villes menacé de la faim, du pillage, offre tout au chef pour qu'il contienne le foldat, & le chef promet la fécurité, & l'abondance, à la condition qu'on obéira à fes ordres. Ainfi s'établit ce

pouvoir qui a commencé fur les guerriers, & qui s'étend fur tous les citoyens qui ne font plus que des sujets.

Dès-lors plus d'autres loix, plus d'autres réglemens que ceux qui émaneront de la volonté du defpote; &, pour leur donner une exécution plus prompte, fes compagnons d'armes en deviendront les miniftres; les uns feront placés aux frontières de fon empire fous le titre de commandans, de gouverneurs; un grand nombre environnera fa perfonne, & lui fervira de cortège.

Toutes les faveurs, toutes les diftinctions feront répandues fur cette milice armée. Comme elle ne pourra rien obtenir que par fon zèle & fon dévouement aux ordres de fon unique bienfaiteur, elle comptera pour rien toutes les réclamations, tous les murmures des hommes qui ne font pas enrôlés fous les drapeaux du defpote. Elle finira par dédaigner toutes autres profeffions que la fienne, parce qu'elles ne la conduiroient pas aux mêmes honneurs.

Si le tyran a l'art de mefurer fes bienfaits fur les facultés de fon peuple, d'exciter fon

industrie pour en tirer un produit plus fort; fi, entretenant fa milice dans une discipline févère, il en adoucit la rigueur par des diftinctions justement accordées; s'il attire fur lui toutes les affections du foldat

par des dehors affables, & fes refpects, par la contenance du courage; s'il leur montre jusque dans fa vieilleffe leur antique idole fous la majesté des années, il en obtiendra la couronne pour fon fils; ils jureront tous, fur leurs épées, d'obéir à l'enfant de leur fouverain, & d'exterminer jufqu'au dernier des rebelles : ainsi se prolongera l'empire du defpotisme.

La patrie ne fera plus que le domaine d'un feul homme. Le magiftrat, jadis l'organe de la loi, ne fera plus que le miniftre de l'injuftice & de la vengeance; le pontife. fortifiera la tyrannie par des maximes inpies; felon lui, le trône fera un autel le prince une émanation de la divinité, & les fujets ne feront que des victimes.

Les générations, en naiffant dans l'oubli de leur origine, s'accoutumeront aux erreurs les plus outrageantes à la nature

humaine : ces erreurs deviendront un culte Ceux qui oferoient l'affoiblir, périront sous le glaive du fanatisme, d'un stupide orgueil, ou de l'intérêt. Il en coûtera plus de peine & de fang pour brifer les fers de la multitude, & la rendre à fa liberté, qu'il n'en aura été verfé pour la réduire à l'esclavage; à moins qu'une grande masse de lumières répandues fur la nation, n'ait éclairé tous les efprits, & qu'en fe féparant, comme de concert, des agens de la tyrannie, elle ne les laiffe effrayés de leur ifolement & de leur foibleffe.

Que doit donc faire un peuple, s'il veut fe garantir à jamais de fa dégradation? s'affurer de fes défenfeurs, éclairer leur bravoure, les identifier à la liberté publique, en faire fortir leur gloire & leur bonheur.

Si j'étois appelé à être légiflateur d'un grand empire, je commencerois par conftituer dans chacune de fes divifions un état militaire. Ce feroit une profeffion de plus que j'y établirois; &, pour qu'elle fût dignement remplie, j'y attacherois ce qui détermine les hommes à choisir celles qu'ils

embraffent, la certitude d'une existence heureuse & l'espoir d'un avenir plus heureux encore. Bien affuré de ne plus manquer d'afpirans, j'exigerois, pour leur admiffion, toutes les qualités précieuses chez un foldat. Une jeuneffe vigoureuse, un libre dévouement à la profeffion des armes, une grande docilité à la difcipline militaire, une fobriété continue, un grand respect pour les mœurs, les deux premiers moyens d'instruction, & l'aptitude à acquérir les connoiffances relatives à l'art de la

guerre. Je ferois conftruire dans chaque département différentes cafernes, où les villes fe feroient honneur d'envoyer de jeunes élèves qui feroient foumis à des examens, à des épreuves, avant d'être enrôlés fous leurs drapeaux. Là, d'anciens & vertueux, officiers les animeroient d'une ardeur guerrière, les formeroient aux exercices mililitaires, leur infpireroient le defir de furpaffer leurs émules, & d'honorer leurs provinces. Les grades, jufqu'à celui de capitaine, seroient la récompenfe de l'ancienneté & de l'exactitude au fervice. Les

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