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Ce fera par la même caufe, que Rome, méprisable dans son origine, semblable au gland que le voyageur foule aux pieds, & qui, au bout d'un fiècle, eft un vaste chêne que la force humaine ne peut plus ébranler, jettera de profondes racines, dévorera la fubftance de tout ce qui l'environnera, & finira par ombrager l'univers.

En remontant à cette cause primitive, on ne fera pas étonné de la foibleffe, de la dépopulation de ce royaume immense qui n'eft plus que le tréfor de l'europe.

On trouvera la raifon de cette force défenfive qui affure la liberté d'un peuple, dont l'alliance eft recherchée de toutes les puiffances, quoiqu'il n'ait pour lui que fon courage & fa vertu.

Telle eft l'idée que je me fuis formée de l'origine de la fociété. Peut-être n'est-elle qu'une chimère, mais au moins nous conduit-elle à un résultat plus certain que celle qui eft fortie fi brillante d'éloquence, de l'imagination du philofophe de Genève. L'incertitude qui règne fur l'origine de la civilifation, s'étend fur la première

forme de gouvernement adoptée par les hommes.

Pour en choisir un qui confervât à tous les individus les droits de la nature, que de connoiffances ne leur auroit-il pas fallu?

Ils avoient des fentimens, mais à peine avoient-ils des idées. La dignité de leur être n'étoit rien à leurs yeux. Fiers dans la victoire, humbles dans les défaites, ils ne favoient qu'obéir ou commander.

La force, la valeur durent d'abord avoir les premiers droits à leur confiance. Celui qui les aida à triompher d'une horde voifine qui les avoit attaqués & vaincus, n'eut pas de peine à s'en faire fuivre par-tout où il les conduifit.... Pour peu qu'il fût doué de quelqu'éloquence, il leur fit adopter toutes les règles qu'il leur prefcrivit pour la confervation de leurs propriétés, pour réprimer les injuftices.

Ils transféroient leurs camps, conduifoient leurs familles à fon gré, s'établisfoient dans les lieux qu'il leur indiquoit; & comme il ne leur donnoit d'abord que des confeils conformes à l'intérêt de la

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multitude, les uns s'habituèrent à obéir, & l'autre contracta l'ufage de commander. Bientôt fes avis devinrent des ordres, & la résistance parut un crime.

La première peine fut d'être expulfé de la horde à laquelle on tenoit, & d'être condamné à aller mener une vie errante & solitaire, au rifque d'être traité en ennemi par la troupe qui viendroit s'emparer de l'exilé, ou du fugitif.

les

Mais comme de l'autorité fuprême à l'abus du pouvoir il n'y a qu'un pas, hommes se lassèrent d'un joug qui devenoit ttop pefant. L'injuftice qui les révolta les conduifit à une réfiftance combinée, & ils convinrent de partager entre les plus expérimentés le pouvoir qui avoit été réuni fur la tête d'un feul.

Ainfi la civilifation commença par enfanter le defpotifme: celui-ci créa l'ariftocratie qui ne tarda pas à donner le jour à la démocratie.

Si, à cette époque, les hommes euffent perfectionné leur raifon, il y a apparence qu'ils fe feroient maintenus fous certe formė

de gouvernement; mais c'est celui de tous qui exige une juftice plus éclairée, une vertu plus univerfelle, une connoiffance plus étendue des droits & des devoirs refpectifs.

Comment cette harmonie, ce bel accord de fentimens pour la chofe publique, auroient-ils pu s'établir, fe prolonger au fein des paffions fougueufes & de l'ignorance?

La fociété naiffante tournant dans un cercle vicieux, a dû retomber fous le defpotifme, tantôt emporté par l'afcendant du courage, tantôt égaré par les preftiges de l'erreur & du fanatisme.

La première découverte utile attiroit à fon auteur des hommages; & comme on eu le même avantage que lui, n'avoit pas on étoit disposé à le croire d'une nature fupérieure.

S'il étoit capable de profiter de cet aveuglement, bientôt il fe créoit un empire plus folide que celui de la valeur : des idées religieuses se mêloient au respect qu'on lui portoit; on n'approchoit de lui qu'en tremblant; on le croyoit en rapport avec les

puiflances céleftes: l'offenfer, ç'eût été offenfer le ciel même; on lui faifoit des offrandes pour fe le rendre favorable; on alloit le confulter dans tous les dangers dont on étoit menacé.

Sa vie contemplative, fa longue expérience lui donnoient néceffairement des lumières que les autres hommes n'avoient pas encore. Ainfi fe perpétuoit la caufe de la vénération qu'on lui portoit.

A fa confervation sembloit être attachée la destinée de ceux qui s'étoient volontairement foumis à fes loix.

Du plus ou moins de raifon, de vertus, d'équité de ces fourbes dominateurs, a dépendu le fort des états dont ils ont été les premiers légiflateurs.

Ce font eux qui ont femé fur la terre les erreurs, les fuperftitions: malheureufement elles y ont pouffé de profondes racines!

Que de peuples y font encore fortement attachés, & donneroient la mort à ceux qui oferoient les éclairer!

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