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& fe promettront de repouffer, d'un commun accord, l'étranger qui ofera y pénétrer.

Comme il y a plus d'analogie entre la vie paisible du pafleur & celle du laborieux cultivateur, qu'il n'y en a entre la leur & celle du chaffeur, les premiers, après avoir eu quelques différends, concilieront leurs intérêts, feront réciproquement des facrifices pour conferver leurs propriétés, & finiront bientôt par ne plus former qu'une fociété.

De ces idées fimples, je vois, d'un côté, la population naître & s'accroître parmi les individus réunis & attachés, , pour ainfi dire, à une partie du fol; &, de l'autre, l'efpèce humaine qui s'eft le moins éloignée de la nature, diminuer, s'apprauvrir, forcée de s'écarter de celle qui s'eft civilifée. A l'une il faut des cabanes; les forêts font la demeure de l'autre. La première remonte infenfiblement à fa noble origine; la feconde n'a par-deffus le quadrupède, que l'avantage de fa ftature & les reffources de fon organifation.

A cette portion d'hommes qui fuit devant

les fociétés,

à cette troupe

d'hommes que fon imprévoyance, que fes habitudes rendent fauvage, il ne faut point de loix parce qu'elle n'a rien à conferver, & tout à prendre. La force eft fon droit, fa foibleffe eft fon tort: tout ce que la nature produit appartient au fauvage; la terre & les fleuves font à lui; mais l'homme qui eft obligé de femer avant de recueillir, ne femera plus, s'il n'a pas l'efpoir de la récolte; celui qui nourrit des animaux, ne les menera plus au pâturage, fi un autre peut les lui ravir. Comment affurera-t-on à l'un la récompenfe de fon travail, à l'autre celle de fes foins?

En convenant, 1°. que l'homme qui défriche, qui cultive un-champ, a un droit exclufiffur les fruits de ce champ, de même que celui qui a fu captiver des animaux & qui les nourrit, peut feul en difpofer:

2o. Que tous les propriétaires fe réuniront contre l'être injufte qui ofera porter atteinte à la richeffe perfonnelle d'un autre.

Ainfi la première, la plus folemnelle des loix, fut faite en faveur des propriétaires.

Rouffeau a eu raifon d'écrire que le premier qui, ayant enclos un teriein, s’avifa de dire, ceci eft à moi, fut le vrai fondateur de la fociété civile.

Mais il ne méritoit pas le nom d'impofteur, s'il a dit : « Cette terre qui ne produit » rien fans culture, je vais ouvrir son sein » pour la rendre fertile; je l'arroferai de "mes fueurs; j'y planterai des arbres dont j'appuyerai la foibleffe, & leurs fruits se»ront à moi ".

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Cet homme ne portoit point atteinte à la propriété univerfelle; & loin d'être un ufurpateur, il rendoit fa consommation moins onéreufe à la fociété. Tout ce que fon travail produifoit étoit autant de remise qu'il faifoit à tous les êtres vivans, fur fa part de la richeffe commune.

La raifon nous force donc de nous rendre à cette grande vérité qui eft que, malgré que la terre appartienne en général à tout ce qui refpire, celui qui en rend une portion plus fertile, a un droit exclufif fur les fruits de cette portion, parce que le résultat de fon travail n'appartient qu'à lui; parce que

le terrein qu'il s'approprie, non-feulement n'eft pas un vol qu'il fait à la fociété, mais la fertilité qui n'est due qu'à ses foins, est un don que cette société en reçoit.

Le premier délit fut donc le trouble qu'éprouva le cultivateur dans la jouiffance du champ qu'il avoit défriché; & il fut d'une néceffité indifpenfable d'arrêter cet attentat, car il est, par fa nature, oppofé à toute fociété, & deftructeur de toutes les productions du travail & de l'industrie. Ce premier délit nous conduit à la mière loi générale.

pre

Si le travail a triplé les dons de la nature, fi la plus ancienne des conventions fociales garantit à l'homme fa propriété, il eft parvenu à un grand point, celui d'écarter pour jamais la famine: mais que de nouveaux befoins vont naître de cette fécurité

Il en exifte un plein de douceurs & de charmes que l'homme éprouvoit à peine lorfqu'il étoit errant, & qui femble s'être · attaché à lui depuis qu'il mène une vie sédentaire.

Maintenant qu'il repofe mollement fur

le

fes gerbes amoncelées, ou, qu'étendu fur il fuit de l'œil fon troupeau qui gazon, erre dans la prairie, une révolution infenfible a changé tout fon être; ses fens fe développent & fe perfectionnent; déjà il entend mieux le chant des oiseaux, fon oreille eft attentive au murmure des fontaines, l'éclat des fleurs charme fes yeux, & il fe plaît davantage à refpirer l'odeur qu'elles exhalent.

Cette créature femblable à lui, qui a moins de forcę, mais plus de graces, qui fuit fans crainte, & s'éloigne pour être poursuivie, celleenfin que la nature a voulu, fur-tout, rendre aimable, n'avoit pas toujours le pouvoir de l'attirer. Aujourd'hui, fi fes fens ne la defirent pas, fon cœur en a befoin, fes yeux plus languiffans la cherchent où elle n'eft pas.

Lorfqu'il l'aperçoit, il ne court plus à elle avec une espèce de fureur; il s'en approche doucement, & femble vouloir la rafsurer; ses mains trouvent du plaisir à la toucher, & ses regards aiment à la parcourir ; il craint qu'elle ne s'éloigne, il lui fait une chaîne

de

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