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jugemens n'étoient fouvent que trop févères. C'eft la diftribution combinée de ces poupar voirs, que Carthage, auffi fière de fa liberté que de fon opulence, a toujours repouffé la tyrannie, a fçu résister aux efforts de la Grèce animée contr'elle par la vengeance, a long-tems balancé fa puiffance avec toute celle des Romains.

Comme nous l'avons déjà dit, fa constitution avoit plufieurs défauts. La vertu, le mérite fans richeffes, ne pouvoient s'y élever aux magistratures, par la raison que, pour y prétendre, il falloit payer un cens plus ou moins fort, en raison de leur prééminence.

Le même citoyen avoit la faculté de réunir plufieurs magiftratures différentes, ce qui circonferivoit le pouvoir & confondoit fouvent les autorités oppofées dans les mêmes mains.

Le commerce n'étoit point interdit aux magiftrats, ce qui leur faifoit fouvent facrifier l'intérêt public à leur intérêt particulier.

Le peuple n'ayant, ni les magiftratures, ni les grands moyens de commerce pour étendre fes idées, demeuroit dans un état d'aviliffement qui bornoit fes facultés & rétréciffoit fes penfées.

Lorfqu'il parvint à obtenir quelques commiffions lucratives, il difputa les dignités aux anciennes maisons de fénateurs; mais comme il n'apportoit que des fentimens de vanité & un intérêt

perfonnel, il fouilla les magiftratures dont il croyoit fe décorer.

Les premiers fénateurs avoient du moins l'élévation que donne l'inftruction & l'habitude de gouverner, les autres n'avoient qu'une ignorance arrogante & le défir d'humilier leurs collègues, en s'attirant les fuffrages du pleuple, toujours difpofé à favorifer ceux dont il eft le plus rapproché.

Ainfi, en établissant les magiftratures fur les richeffes, au lieu de leur donner pour base l'expérience, le favoir & la vertu, & faute d'avoir fçu du moins reftreindre ces richeffes dans une certaine claffe habituée à bien gouverner, l'autorité vint fe placer fur des hommes qui l'avoient attirée le hafard & les fraudes du commerce. De-là par ce vil attachement pour l'or qui flétrit tous les cœurs, & ces lâches lamentations dont Annibal s'efforçoit de faire honte à fes concitoyens, lorfqu'il leur reprochoit d'avoir, fans regret, facrifié aux Romains leurs armes, leurs vaiffeaux, & de gémir fur la perte de leur argent, de leurs bijoux, qui étoient à leurs yeux d'un plus grand prix que les moyens de recouvrer leur honneur.

Combien, en remontant aux caufes de la profpérité & de la chûte de ces fameufes républiques, nous devons fentir l'importance d'une bonne conftitution, la nécessité de l'affeoir fur les principes

de juftice, de l'éclairer dans toutes fes parties, de la fortifier par de bonnes mœurs, de l'investir de l'efprit public & d'y étendre par-tout l'empire de la vertu?

Je n'abandonnerai point l'antiquité pour redescendre aux conftitutions qui exiftent en europe, fans vous avoir entretenus des deux fameufes républiques d'Athènes & de Rome, fans vous découvrir les beautés & les imperfections de leur gouvernement, fans vous avoir convaincus que leur décadence & leur anéantissement n'ont pas eu d'autres caufes que l'altération de leur conftitution, tandis que d'autres empires, appuyés fur une légiflation moins parfaite, tel que celui de la Chine, ont réfifté au torrent des fiècles, par le respect que les peuples n'ont ceffé de porter aux inftitutions de leur premier légiflateur.

Concluons de ce que nous venons de voir, que fi Ariftote penfoit que le gouvernement monarchique étoit celui qui convenoit le plus aux hommes réunis en fociété, il auroit été encore plus pénétré de cette vérité, s'il eût pu prévoir qu'un jour une puissante monarchie, fatiguée par de longues injuftices, s'éleveroit du fein des lumières à une fublime raison, calculeroit, dans fa fageffe, les droits de tous les citoyens, briseroit d'une main vigoureufe les entraves dans lefquelles l'efprit de domination arrêtoit fes nobles

élans, fubftitueroit des règles fixes à l'arbitraire à mettroit les propriétés fous la fauve - garde des loix, s'éleveroit à la hauteur de la puiffance exécutrice par l'impofante répréfentation de la fouveraineté, contiendroit les confeillers perfides & les agens ambitieux de la tyrannie, par la crainte d'un tribunal protecteur des intérêts de la nation; fauroit, fans rien faire perdre au monarque de la fplendeur du trône & de la dignité de la couronne, ne lui laiffer que l'heureuse faculté de repandre les bienfaits, de faire régner la justice, d'intimider les méchans & de recueillir, au milieu de la profpérité publique, des témoignages d'amour, de fidélité, d'autant plus touchans, qu'ils émaneroient de la liberté.

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I le

DISCOURS.

Des Gouvernemens d'Athènes & des Loix

de Solor.

c'étoit qu'une véritable

ous avons vu ce que aristocratie, & combien peu elle s'eft foutenue dans toute la pureté, même à Lacédémone.

Si le peuple le plus fage de la terre ne put s'habituer à vivre fous l'empire de deux rois, dont les pouvoirs contrebalancés n'avoient de force qu'en tendant, d'un commun accord, au bien de la république; fi, malgré qu'il eût lui-même choisi les vingt-huit fénateurs que leur âge, leurs vertus élevoient à l'autorité fuprême; fi, quoiqu'il confervât la faculté d'annuller, dans fes affemblées générales, les décrets du fénat, il ne fe trouva pas encore gouverné par une autorité affez tempérée, il faut l'avouer, la meilleure ariftocratie ne peut convenir aux hommes agités du fentiment de la liberté.

Nous avons remarqué dans la conftitution de Carthage une aristocratie d'une nature bien inférieure à celle de Sparte, & qui avoit fini par y dégrader toutes les ames, parce qu'elle portoit fur une base vicieuse, celle de la fupériorité des richeffes. Nous en avons conclu que, toutes les fois

Tome I.

C

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