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trois puiffances rivales avoient intérêt à ce qu'aucune d'elles ne s'agrandît aux dépens de la Pologne. Ces trois puiffances rivales ont fufpendu leur haine, & fe font conciliées pour la dépouiller de concert. Ils l'ont réduite à un tel état de foibleffe, qu'on croiroit qu'ils ne la laiffent fubfifter que par pitié & jufqu'au moment où, par un nouveau partage, ils l'abforberont toute entière.

L'origine de la Pologne eft comme celle de tous les états du Nord, obfcurcie, de mensonges, moins attachans, fans doute, que ceux des peuples de l'antiquité, parce que des poëtes n'ont point environné fon berceau de ces fables ingénieufes qui illuftrent une nation naissante, & femblent attacher la nobleffe à fon exiftence.

Ses premières époques fe divifent en races, & l'on fuit fes révolutions à l'aide de cette longue chaîne royale dont chaque fouverain forme un

anneau.

Après la mort de Mieclas, prince foible & indigne de fuccéder à Boleflas, fon père, la Pologne effuya, comme l'Allemagne, un long interrègne qui ne lui fut pas moins funefte. Ce qu'on appelle les grands d'un royaume le difputèrent Fautorité, fe firent la guerre, ravagèrent les campagnes, opprimèrent le peuple, encouragèrent les peuples voifins à venir profiter de leurs difcentions & à fe venger fur la Pologne, des affronts

qu'ils en avoient reçus (car par tout l'hiftoire offre à-peu-près les mêmes fcènes); la veuve du roi effrayée, emporte fes tréfors, & Cafimir, fon fils, encore enfant. Après avoir été accueillie en Allemagne, elle paffa en Italie. Là, on ne préfente au jeune Cafimir d'autre confolation, d'autre dédommagement de l'héritage de fes ancêtres, que des couronnes céleftes; &, pour les conquérir, on lui confeille d'aller fe faire inftruire dans l'univerfité de Paris, & de s'enfevelir enfuite dans l'obfcurité d'un cloître. Cafimir fuit modeftement la route que lui trace la fuperftition. Il cache fon origine; & peu d'années après, le descendant des rois de Pologne eft ignoré & confondu parmi les moines de Clugni.

Cependant les Polonois épuifés par les horreurs d'une guerre civile, affaillis par tous les peuples qui font de leur pays un pays de conquête, fongent à rappeler le fils de leur fouverain.

Après bien des recherches, ils découvrent la retraire où fes jours s'écoulent triftement. Ils lui envoyent des embaffadeurs chargés de lui offrir la couronne, & de le conjurer de prendre pitié d'un peuple qui attend de lui fon bonheur.

Cafimir étoit malheureufement enchaîné par fes vœux & par le diaconat.

Quels liens dans un fiècle d'ignorance! Comment les rompre ?

Le modefte religieux étoit bien convaincu qu'il avoit besoin de la permiffion du pape pour quitter fa cellule, & aller habiter un palais, pour échanger fon froc contre le manteau royal.

Ce qui étonneroit peut-être, fi quelque chofe pouvoit furprendre de la part des pontifes Romains, ce font les conditions que Benoît IX impofa aux Polonois, avant de confentir à ce que le fils de leur roi pafsât de l'oifiveté du cloître à l'heureuse activité d'un fouverain. It. exigea d'abord qu'ils fe foumiffent à payer à la cour de Rome le denier de Saint Pierre. Cela n'étoit pas indifférent pour un pape; mais ce qui devoit lui être bien égal, c'étoit la coiffure des Polonois; cependant il exigea qu'ils fe couperoient leurs cheveux & leurs barbes à la manière des autres peuples catholiques, & qu'ils porteroient tous au col, dans les principales fêtes de l'année, une étole blanche de lin.

Les Polonois fe foumirent à ces trois conditions & les remplirent exactement. Ces légers facrifices ne furent pas infructueux. Cafimir prouva qu'un bon efprit nous élève à la hauteur de tous les rangs où la fortune nous place; il ramena le calme dans fes états, en puniffant les féditieux, en arrétant les pertubateurs & en délivrant ses provinces des étrangers qui les avoient ufurpées. Une fingularité remarquable dans l'hiftoire des rois de Po

logne, c'eft que le premier des Cafimirs vint en France avant de régner, & s'y fit inoine. Sous Louis XIV, le dernier des Cafimirs, après avoir abdiqué la couronne, fe retira à Paris à l'abbaye S. Germain dont il fut abbé, & il ne voulut jamais fouffrir qu'on lui donnât le titre de majesté; ainfi le dernier finit comme le premier avoit commencé.

Après la mort de Cafimir, les Polonois donnèrent la couronne à Boleflas II, fon fils, qui fit, comme fon bifaïeul, la conquête de la Ruffie.

Quoiqu'il n'entre pas dans mon plan de fuivre l'histoire de Pologne pour faire connoître fa conftitution, je ne puis me réfoudre à paffer fous filence un trait hiftorique qui arriva fous ce prince. Après qu'il eut triomphé du courage des Ruffes qui défendoient Kiovie, il entra dans cette ville en vainqueur généreux. Il fit défense à fon armée d'occafionner le moindre dommage aux habitans. Les compagnons de fa victoire, loin de montrer de la fureur, manifeftèrent des fentimens bien oppofés à la vue des belles habitantes de la ville conquife : le prince & les foldats oublièrent qu'ils avoient des femmes en Pologne, & prolongèrent leur féjour à Kiovie au milieu des voluptés que cette ville rassembloit. Jamais les vainqueurs ne reçurent plus de cou

Fonnes.

Cependant, les Polonoifes inftruites des infidélités que leurs maris fe permettoient, ne leur pardonnèrent pas les fruits de leur victoire; elles auroient mieux aimé qu'ils euffent passé au fil de l'épée, fans distinction de fexe, tous les habitans de Kiovie. Dans la fureur de leur jaloufie, elles s'abandonnèrent à un projet de vengeance qui étoit plus naturelle que noble; elles fe livrèrent toutes, à l'exception d'une feule 'dont la vettu a honoré & perpétué le nom, aux embraffemens de leurs efclaves.

La nouvelle d'une vengeance fi publique & fi unanime arriva bientôt à Kiovie; les officiers, les foldats irrités imputèrent au roi leur déshonneur, une grande partie de l'armée, la rage dans le cœur, abandonna fon chef, & courut en Pologne pour immoler les coupables à la colère.

Les femmes & les efclaves qui s'attendoient au plus cruel châtiment, s'animèrent réciproquement, fe retranchèrent dans des places fortes, foutinrent des fiéges contre leurs maris & leurs maîtres. Les époufes ne voyant plus que des ennemis dans leurs époux, ne montrèrent pas moins de courage que leurs complices; & vendirent

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Au milieu de cet acharnement, Boleflas arriva, irrité, & contre les premiers coupables, & contre l'armée qui l'avoit abandonné; il exerça contre

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