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IMER fe dit en général des chofes & des perfonnes pour lefquelles on a de l'inclination, de l'affection, de l'atta

chement.

De l'obligation d'aimer fon Prochain.

LES, hommes doivent s'aimer les uns les autres & fe rendre des fervices mutuels. On doit aimer tous les hommes comme on s'aime foi-même. La Loi naturelle, les principes de la fociabilité font communs à tous les hommes, & doivent être la regle de leurs actions.

Voyez SOCIABILITÉ.

L'amour du prochain eft fondé fur le double principe de l'égalité naturelle & de l'amour de foi-même.

Tome II.

A

A travers les dépendances qui font des fupérieurs & des inférieurs dans la fociété, il fubfifte toujours, dans tous les hommes, une grandeur originaire qui les rend tous égaux. Les diftinctions du rang & de la fortune ne détruifent pas l'égalité de la nature; la fubordination n'empêche point que l'état où les hommes fe trouvent en tant qu'hommes, ne foit immuable : 1 de forte que, malgré toutes les inégalités produites par la diverfité des états acceffoires, l'égalité naturelle fubfifte toujours invariablement, & convient à chacun par rapport aux autres, dans quelque rang qu'ils foient placés dans l'état civil.

Quelque mépris que nous puiffent infpirer les défauts que nous croyons 'trouver dans les autres hommes, défauts dont notre vanité nous dit prefque toujours que nous fommes exempts, nous n'en fommes pas moins obligés de les regarder comme étant de même nature que nous; & nous Be fommes pas moins tenus d'obferver envers eux les mêmes devoirs de droit naturel, qu'ils font obligés de pratiquer envers nous.

Selon Pordre extérieur, les grands font plus grands que les autres; mais felon l'ordre naturel, ils font entièrement égaux aux autres. Les fentimens qui naiffent de ces deux ordres, doivent fubfifter enfemble, & fi les hommes font obligés, pour conferver l'ordre extérieur, de fe tenir dans le rang qui leur appartient, ils ne doivent pas laiffer pour cela de fe tenir dans une égalité parfaite avec le refte des hommes, qui les rende doux, compatiffans, & charitables envers tous. Qu'il eft difficile d'allier ces fentimens, quelque conformes qu'ils foient à la raison! L'efprit de l'homme eft étroit qu'il ne faut prefque rien pour le remplir: ainsi, il arrive d'ordinaire que la qualité de grand lui fait prefque oublier qu'il eft homme. Les grands ne fe regardent prefque jamais que par l'ordre extérieur, par leurs richeffes, par leur nobleffe, par leurs charges; & ils ne regardent de même les autres hommes, que par le degré d'infériorité où ils font à leur égard...V я KIA C

Le même instinct nous porté à reconnoître que nous ne fommes pas moins tenus d'aimer les autres que de nous aimer nous-mêmes...Voyant toutes chofes égales entr'eux, les hommes ne peuvent pas ne pas comprendre qu'il doit y avoir auffi entr'eux une même mefure. Si, conftitué comme je fuis, je ne puis éviter de défirer de recevoir du bien, même. par les mains de chaque particulier, autant qu'un autre homme en peut défirer pour foi, comment puis-je prétendre que mon défir fera fatisfait lorfque je n'ai pas foin de fatisfaire le même défir, qui eft infailliblement" dans l'efprit d'un autre homme, lequel eft d'une feule & même nature avec moi?

La fociété n'eft proprement qu'un commerce réciproque d'amour, de fentimens, de fervices. Nous nous devons aux autres autant que les autres fe doivent à nous. Ne regarder les autres que comme des inftrumens faits pour nous, & ne s'eftimer fait que pour foi, c'eft fupprimer un des

deux côtés de la balance, c'eft fe tirer du centre même de la fociété, & vouloir cependant que les autres y reftent pour nous.

S'il fe fait quelque chofe de contraire au défir que chacun a de recevoir du bien, il faut néceffairement qu'un autre en foit auffi choqué que je puis l'être. Si je nuis à quelqu'un, je dois me difpofer à fouffrir le même préjudice ou le même mal que je lui caufe. Nulle raifon n'oblige les autres à avoir pour moi une plus grande mefure d'affection que celle que j'ai pour eux. Donc le défir que j'ai d'être aimé, autant qu'il eft poffible, de ceux qui font mes égaux dans l'ordre de la nature, m'im pofe une obligation naturelle de leur potter & de leur témoigner une femblable affection.

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I

De-là, les devoirs naturels de ceux qui commandent & de ceux qui doivent obéir. Ceux qui font dans la dépendance, y doivent demeurer avec foumiffion; ceux que la providence a destinés au commandement, doivent adoucir le joug des perfonnes qui font dans leur dépendance. L'u fage de l'autorité n'eft légitime, dans les regles du droit naturel, qu'autant qu'il contribue à la fin pour laquelle l'autorité a été établie.

La raifon prefcrit à l'homnie pour fon pere, la même obéiffance qu'il exige de ses enfans; pour fon Prince, la même fidélité qu'il fouhaite de trouver en ceux qui le fervent; pour fes concitoyens, le même zele qu'il défire que fes concitoyens aient pour lui.

Zoroaftre a donné cette inftruction aux Mages de Perfe; Confucius aux Chinois; Ynca Manco-Capac, fondateur de l'Empire du Pérou, à fes Sujets. Les Romains, plufieurs autres Peuples, tous les Sages du Paganifme, en ont fait le fondement de leurs Loix.

Confucius en avoit bien fenti l'équité, & il la développe dans fes ou vrages, d'une maniere qui ne permet pas de douter qu'il n'en ait été pénétré. » Parmi ceux avec qui vous vivez, dit ce grand homme, vous avez des » fupérieurs, des inférieurs, des égaux ; il y en a qui vous ont précédé, » il y en a qui doivent vous fuivre, vous en avez à votre main droite, » vous en avez à votre gauche; faites réflexion que tous les hommes ont » les mêmes paffions que vous, & que ce que vous fouhaitez qu'ils vous » faffent ou qu'ils ne vous faffent pas, ils fouhaitent que vous le leur faf>>fiez ou que vous ne le leur faffiez point. Ce que vous haïffez & blâmez » dans vos fupérieurs, gardez-vous bien de le pratiquer à l'égard de vos » inférieurs. Ce que vous haïffez & blâmez dans vos inférieurs, ne le pra»tiquez pas à l'égard de vos fupérieurs. Ce qui vous déplait dans la vie » de vos ancêtres, évitez-le, pour n'en pas donner l'exemple à votre pof» térité. Enfin, ce que vous blâmez à l'égard de ceux qui font à votre » main droite, ne le pratiquez pas à l'égard de ceux qui font à votre main » gauche; & ce que vous blâmez dans ceux qui font à votre main gau» che, gardez-vous bien de le pratiquer à l'égard de ceux qui font à > votre main droite. «< Que ce principe eft lumineux ! Qui eft-ce qui ne

veut pas que les autres s'y conforment envers lui? Qui n'est pas bien-aise de trouver dans les autres cette exacte fidélité que les autres exigent de lui? Qui ne croiroit pas avoir fujet de fe plaindre de ceux qui y manqueroient.

L'équité naturelle nous oblige de garder envers les autres la même fidé lité que nous voulons que les autres pratiquent envers nous; & de-là naiffent ces deux propofitions inconteftables: » Nous ne devons pas faire à » autrui ce que nous trouverions injufte, s'il nous étoit fait à nous-mêmes; » & nous devons faire pour les autres ce que nous fouhaitons que les » autres faffent pour nous. « Ce font deux maximes évidentes par ellesmêmes, & qui rentrent l'une dans l'autre. C'a été pour tout le genre humain, en tout tems, en tout lieu, une inftruction de la raifon avant que le droit divin en ait fait un précepte à tous les hommes. C'eft le premier principe de la morale, & ce premier principe eft certain, nécessaire, invariable. Pour connoître ces deux vérités, il ne faut ni promeffes ni conventions expreffes.

De l'amour du prochain fe déduifent aifément les maximes générales de la Loi naturelle, qu'il faut vivre felon les Loix, parce que les Loix font faites pour le bien des hommes; qu'il faut rendre à chacun ce qui lui appartient; qu'il ne faut faire de tort à perfonne; qu'il ne faut tromper perfonne; qu'il faut être fidele à fes engagemens; qu'on doit obéir à fon Souverain, &c.

Chez les Egyptiens, celui qui pouvant fauver un homme attaqué, ne le faifoit pas, étoit puni de mort auffi rigoureufement que l'affaffin. D'où dépend notre fûreté, dit le Philofophe Séneque, fi ce n'eft des fervices mutuels que nous nous rendons ? Če Philofophe penfe qu'il faut obferver religieufement les Loix de cette fociété qui nous unit tous les uns envers les autres, & que comme les membres font en bonne intelligence, parce que de leur confervation dépend la confervation du tout, les hommes doivent fe rendre de bons offices les uns aux autres, puifqu'ils font nés pour la fociété, qui ne fauroit fubfifter, fi toutes les parties qui la compofent ne s'entr'aidoient & ne travailloient mutuellement à fe conferver. Nous devons nous regarder (dit encore ce même Philofophe) comme étant les membres d'un grand corps. La nature nous a tirés tous de la même source, & par-là elle nous a tous fait parens les uns des autres. Ceft elle qui a établi l'équité & la juftice felon l'inftitution de la nature. On eft plus à plaindre lorfqu'on caufe du dommage que lorfqu'on en reçoit. La nature nous a donné des mains pour nous aider les uns les autres.

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Un mot de Socrate que Montaigne cite, mérite d'être rapporté avec la réflexion de l'auteur des Effais. » On demandoit à Socrate (dit Montaigne) -> d'où il étoit, il ne répondit pas d'Athenes, mais du monde. Lui qui » avoit l'imagination plus pleine & plus étendue embraffoit l'univers comme fa ville, jettoit fes connoiffances, fa fociété, & fes affections à

» tout le genre humain, non pas comme nous qui ne regardons qu'à nos > pieds.

» Le Sage (dit Confucius) a pour bafe de toutes fes vertus l'huma»> nité. L'amour que l'on doit avoir pour tous les hommes, n'eft point » quelque chofe d'étranger à l'homme. C'est l'homme lui-même, fa nature » le porte à les aimer tous; & ce fentiment lui eft aufli naturel que l'amour » de lui-même. C'eft le caractere qui le diftingue de tous les autres êtres » créés, c'est l'analyfe de toutes fes loix. L'amour qu'on doit à fon pere » & à fa mere eft d'une force fupérieure à celui qui a pour objet tout le » genre humain; il lui fert comme de degré, & nous y mene infenfible» ment, c'eft de cet amour univerfel que vient cette juftice qui fait qu'on »rend à chacun ce qui lui appartient. La différence qui fe trouve entre » l'amour qu'on a pour fes parens & celui qu'on a pour les autres hom» mes, entre l'amour qu'on a pour les hommes vertueux & habiles, & » celui qu'on a pour ceux qui ont moins de vertu & d'habileté, eft » comme une harmonie & une fymétrie de devoir que la raison du ciel » a gardée, & à laquelle nous ne pouvons rien changer. « Le Philofophe Chinois, rempli de cet amour qu'on doit à tous les hommes, difoit que c'étoit pour lui un véritable plaifir que de vanter le mérite de quelqu'un. Interrogé quels étoient fes défirs: Mes défirs (répondit-il ) ont pour objet tout le genre humain; de fes intérêts, je fais les miens. Parmi les inftructions de ce Philofophe à fes difciples, on trouve ces deux traits remarquables: le premier, d'un homme du Royaume de Lû, qui fe confoloit de la perte de fon manteau par ces belles paroles: Un homme de Lú a perdu fon manteau, un autre homme l'aura trouvé le fecond, d'un Empereur qui diftinguoit fa haine pour le crime, de fon amour pour la perTonne du criminel; qui n'exigeoit des criminels que le repentir de leurs crimes, & qui faifoit enforte que ceux même qui les avoient commis, pouvoient, en quelque façon, les oublier & perdre une partie de la honte qui demeure après les grandes chûtes, & qui décourage à entrer dans le chemin de la vertu.

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Si, après avoir entendu parler un Chinois de cette maniere, on veut entendre un Romain, le droit naturel ne perdra rien de fa beauté dans la bouche de Ciceron. A quel point de pureté ne porte-t-il pas les mœurs des hommes dans fes Offices! On y trouve toujours cette doctrine : » Que » l'ufage que nous devons faire de notre efprit, c'eft de rechercher la » vérité; que nous ne devons accorder au corps que ce qui eft nécessaire » pour le foutenir; que de deux principes de mouvemens qui font en nous, » l'appétit & la raison, il faut réfifter à l'un & ne nous conduire que par » l'autre; que notre premier foin doit être de nous tenir exempts nonfeulement de toute paffion, mais des moindres mouvemens qui pour»roient tant foit peu altérer cette fituation calme & tranquille qui con» vient à la dignité de notre nature; que nous fommes nés pour les autres,

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