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considérer par deux juges différents un même délit comme commis dans leur territoire à chacun, même s'il n'y a point divergence entre les lois et les traités d'un même pays, simplement en raison des interprétations divergentes de la jurisprudence.

En somme, la raison véritable, nécessaire et suffisante pour fonder la compétence de la souveraineté nationale à l'égard des navires se trouvant dans des eaux territoriales étrangères, est celle que nous avons exposée, sans qu'il soit aucunement nécessaire de recourir à des fictions. De là, la conséquence que les faits abandonnés à la juridiction de l'État auquel appartient le navire doivent être considérés par cet État comme ayant eu lieu en territoire étranger. S'il n'en est pas toujours ainsi, cela est dû à la consécration par les traités ou les lois internes de la conception hybride que nous avons critiquée et à la force d'attraction que la fiction exerce sur l'esprit des juges, toujours lents à suivre le progrès scientifique.

En partant du principe que l'État exerce sur ses eaux territoriales le même droit de souveraineté que sur la terre ferme, les distinctions deviennent inutiles entre les diverses parties physiques qui constituent ces eaux, vu qu'elles sont toutes semblables au point de vue juridique. La doctrine traditionnelle distingue, au contraire, entre la mer côtière et les golfes, les baies, les rades et les ports jugeant que, pour ces derniers, le fait d'être entourés de la terre ferme et isolés du reste de la mer doit les faire considérer comme incorporés dans le territoire de l'État et, par conséquent, comme étant soumis entièrement aux lois de la terre ferme1. Or, il semble qu'à un point de vue purement logique, la distinction ne soit permise qu'aux écrivains pour lesquels l'État n'a pas, sur la mer côtière, le droit de souveraineté territoriale, mais seulement des droits spéciaux de diverse nature: alors, on comprend que les ports et les autres eaux maritimes entourées par la terre ferme puissent, contrairement à la mer côtière, être considérés comme des parties du territoire et par conséquent comme étant sujettes au même droit de souveraineté territoriale. Par contre, la distinction n'a pas de sens pour ceux

actuellement accepté par quelques auteurs allemands, comme Schwarze dans son Commentaire du code pénal allemand, cité par Perels, Manuel de droit international maritime, p. 83, no 1.

1. Voir Fauchille-Bonfils, op. cit., t. I, 2o partie, p. 389 et les auteurs cités. 2. L'institut de droit international, dans son projet de règlement sur le régime légal des navires et de leurs équipages dans les ports étrangers, a établi que les

qui pensent que ce dernier droit existe, même pour la mer côtière1; et pourtant, elle est faite par des écrivains qui croient que la mer littorale fait partie du territoire et que, à ce titre, l'État peut y exercer tous les droits découlant de la souveraineté 2.

La distinction pourrait, semble-t-il, avoir une valeur quantitative, dans ce sens que l'État côtier exercerait sur les ports, les rades, les baies, etc., un plus grand nombre de facultés juridiques émanées de la souveraineté qu'il n'en exerce sur la mer territoriale. Et l'on pourrait dire que, l'intérêt étant la mesure des renonciations conventionnelles et unilatérales faites par l'État à ses droits de souveraineté territoriale, ces renonciations sont moindres près de la côte et deviennent de plus en plus grandes à mesure qu'on s'en éloigne, parce que l'intérêt de l'État va en diminuant progressivement. Mais ce ne serait pas exact parce qu'en réalité, c'est dans les ports que l'on constate le plus grand nombre de limitations à la souveraineté territoriale, spécialement en raison des nombreuses fonctions consulaires; par contre, le simple passage dans la mer territoriale donne beaucoup moins d'occasions d'appliquer des lois territoriales et, par conséquent, d'établir des exceptions à l'exercice des facultés juridiques se rapportant à la souveraineté territoriale. Le nombre des limitations à la souveraineté territoriale résulte d'une simple situation de fait et n'a pas de signification juridique.

L'affirmation du principe que la mer territoriale est une dépendance du territoire et que, par conséquent, l'État a sur elle le même droit de souveraineté territoriale que sur la terre ferme, ne dispense en aucune façon d'analyser la condition juridique des navires marchands étrangers. D'abord, s'il est vrai, comme nous le croyons avec une grande partie de la doctrine, que l'État a un droit sur son

ports, les anses, les rades, les baies et havres, non seulement sont placés sous un droit des ouveraineté des États dont ils bordent le territoire (selon la formule adoptée dans les résolutions de Paris (1894) pour la mer territoriale), mais encore font partie du territoire de ces États (Annuaire de l'Institut de droit international, t. XVI, 1897, p. 231).

1. Cette exigence logique est reconnue par Nys, op. cit., I, p. 442, et cela bien qu'il accepte la thèse d'un droit de souveraineté atténuée (un droit de souveraineté, selon la formule de l'Institut de droit international, et non le droit de souveraineté).

2. Ainsi par exemple Rivier, t. I, p. 145, 148, 155.

3. Voir Engelhardt, Quelques considérations sur le régime des eaux maritimes dites territoriales (Revue de droit internat. et lég. comparée, t. XXVI, p. 211). 4. Voir Donati, Stato e territorio, dans la Rivista di dir. internazionale. 1923,

territoire, il faut admettre aussi que ce droit se manifeste de différentes manières suivant que l'exigent les nécessités et les contingences de fait, et que partant, il se manifeste sur le territoire aquatique d'une manière différente que sur le territoire terrestre1. En second lieu, les pouvoirs juridiques qui normalement appartiennent à la souveraineté territoriale, constituent fréquemment, dans leur manifestation sur les navires étrangers, la matière d'une réglementation internationale, en vertu de laquelle l'État laisse à d'autres l'exercice de certaines de ses facultés, ou bien s'oblige à ne pas les exercer, ou à les exercer d'une manière déterminée; quelquefois, l'État limite l'exercice de ses propres pouvoirs d'une manière autonome et cela indépendamment de tout lien international; ce qui lui est toujours permis quand la faculté à laquelle il renonce n'est pas liée à quelque devoir international. Tout cela oblige à faire une analyse particulière des différents pouvoirs juridiques de la souveraineté territoriale relatifs aux navires marchands étrangers, à rechercher si l'État les exerce et de quelle façon.

Cette analyse sera faite dans un esprit totalement différent de celui qui guide les auteurs qui affirment que l'État n'a pas sur la mer territoriale le même droit de souveraineté que sur la terre, mais seulement des droits spéciaux reconnus par une coutume internationale. Pour ces auteurs, l'énumération doit être logiquement limitative, et, si l'on fait des réserves à ce propos, elles sont dues à la préoccupation d'un oubli possible; en réalité, si un doute surgit sur le bien-fondé d'une prétention de l'État côtier, la constatation que cette prétention n'est pas sanctionnée par la coutume doit suffire pour l'éliminer. Tout cela est, si possible, plus clair encore dans la conception de M. de Lapradelle: en effet si les droits de l'État sur la mer territoriale sont autant de servitudes internationales, la nécessité s'impose évidemment d'une interprétation rigoureusement restrictive, laquelle ne permet pas d'affirmer l'existence d'une servitude sans une règle bien claire qui la sanctionne ou sans l'existence d'une nécessité bien reconnue dans le doute, ce n'est pas la servitude qu'on présume, c'est la liberté 2. Pour nous, 1. Ghirardini, La sovranità territoriale nel diritto internazionale, Cremona 1913, p. 44.

2. De Lapradelle, loc. cit., p. 309-310. Dans une condition encore moins favorable se présente la théorie de Fauchille, laquelle, concevant les droits de l'État sur la mer territoriale comme des manifestations du droit fondamental de con

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1925.

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la position est complètement différente, et complètement différent est aussi notre mode d'interprétation.

A notre avis toutes les innombrables facultés juridiques qui se rapportent à la souveraineté territoriale peuvent aussi s'exercer par rapport à la mer territoriale: on se borne à énumérer les principales, sans aucune intention d'exclure les autres qui donnent lieu à des rapports occasionnels; le principe d'où l'on part dissipe toute préoccupation sur le caractère plus ou moins complet de l'énumération. Pour nous, en effet, toutes les manifestations de l'autorité de l'État seront possibles si l'État n'a pas, par convention ou d'une manière autonome, renoncé à son droit : il suffira donc de constater l'absence de cette renonciation, soit d'une manière, soit d'une autre, pour admettre l'exercice du pouvoir de l'État vis-à-vis des navires marchands étrangers se trouvant dans les eaux territoriales 1. Le modus procedendi est donc l'antithèse parfaite de celui qui résulte d'une conception différente de la nature des droits de l'État sur ses eaux territoriales 2.

servation, n'admet l'existence d'aucun de ces droits si on ne peut pas démontrer qu'il trouve sa base dans le droit de conservation de l'État. Même en admettant l'existence des droits fondamentaux, qui est si contestée, tout le monde voit la profonde incertitude des conclusions auxquelles conduit une doctrine, qui rentre en plein dans le domaine du droit naturel.

1. Une application intéressante de ce concept a été faite par la Cour arbitrale de la Haye dans l'affaire des pêcheries des côtes septentrionales de l'Atlantique entre la Grande-Bretagne et les États-Unis d'Amérique. La sentence de la Cour, en date 7 septembre 1910, adopte comme point de départ le principe que la souveraineté de l'État s'étend à tout son territoire, y compris les eaux territoriales, et elle en tire la conséquence que pour écarter la compétence réglementaire de la Grande-Bretagne sur ses eaux territoriales, il aurait fallu justifier des motifs spéciaux, dont la preuve devait être fournie par les États-Unis (voir à ce propos Basdevant, dans la Revue générale de droit international public, 1912, p. 500 et 511).

2. Le critérium dogmatique d'interprétation, adopté dans le texte, se combine avec le critérium historique proposé par Anzilotti dans une note à la sentence des 9-14 janvier 1908 de la Cour d'appel de Venise (Rivista di diritto internazionale, 1908, p. 396-9 et Giur. Italiana, 1908, II, 702). Il démontre qu'aux XVII et XVIII siècles la doctrine et la pratique concordaient dans l'affirmation du principe que les navires marchands sont complètement soumis aux lois et à la juridiction du pays dans lequel ils se trouvent : ce principe étant resté toujours en vigueur, on ne peut admettre que les exceptions dont on peut démontrer le fondement juridique.

I

CHAPITRE II

ÉTENDUE DE LA MER TERRITORIALE

L me semble qu'on peut réduire au nombre de quatre et formuler ainsi les thèses relatives à l'extension de la mer territoriale :

1re thèse. Il existe une coutume internationale générale qui fixe à la mer territoriale la limite correspondant à la plus grande portée des canons de côte.

2e thèse. Il existe une coutume internationale générale qui oblige les États à fixer la limite de leur mer territoriale à trois milles de la côte, et l'extension plus grande que s'attribuent quelques États résulte, en somme, de la tolérance des autres.

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3e thèse. Il existe une coutume internationale générale qui laisse aux États la faculté de fixer la limite de leur mer territoriale entre un minimum de trois milles et un maximum donné par la plus grande portée des canons de côte.

-

4e thèse. Il n'existe aucune coutume générale internationale ni celles des trois milles, ni celle de la plus grande portée des canons de côte; on peut considérer tout au plus comme conforme à l'idée de trois milles une coutume particulière qui lie seulement un certain groupe d'États, tandis que, par l'absence de règles internationales obligatoires, les autres États restent libres de déterminer d'une

manière autonome la limite de leur mer territoriale.

Examinons séparément ces quatre thèses, déclarant tout de suite que nos recherches auront un caractère critique et positif, c'est-àdire qu'elles auront essentiellement pour but de constater la volonté concordante des États, cette volonté qui seule, selon nous, peut déterminer les règles obligatoires de leur conduite.

Première thèse. Avancée par Grotius et précisée par la formule très connue de Bynkershoek, la théorie de la plus grande portée des

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