la question de l'exécution des jugements étrangers se trouverait à peu près résolue. Mais pour qu'il en soit ainsi, il faut se tenir fermement à une première idée : C'est que les questions de compétence générale doivent rester séparées et totalement distinctes des questions de compétence spéciale et que le juge chargé de trancher la question de compétence générale n'est pas nécessairement le juge qui est supplémentairement chargé de trancher la question subséquente de la compétence spéciale. Dans la matière d'exécution de jugements étrangers, le juge du pays d'importation a sans doute le droit et même le devoir de s'enquérir de la compétence du juge étranger qui a rendu le jugement dont l'exécution est demandée (puisque tout jugement rendu par un juge incompétent n'est qu'un simulacre de jugement), mais il faudrait qu'il limite son examen strictement à la question de compétence générale sans se préoccuper de la question de compétence interne. On comprend fort bien qu'un tribunal belge sollicité de rendre exécutoire en Belgique un jugement hollandais examine si le pouvoir judiciaire hollandais a été légitimement saisi de ce litige conformément aux principes du droit international privé, et qu'il refuse d'accorder l'exéquatur à ce jugement si la compétence du juge hollandais repose sur la seule situation du domicile du demandeur en dépit de la loi hollandaise qui admet ce genre de compétence inauguré par l'article 14 du Code Napoléon. Admettre l'exécution d'un pareil jugement impliquerait la viclation d'un principe de droit international privé belge, c'est-à-dire d'une loi belge. Mais une fois reconnu que le pouvoir judiciaire hollandais pouvait être légitimement saisi du litige, on ne comprend plus l'intérêt qu'on peut avoir en Belgique à ne pas abandonner la solution de la question de compétence spéciale, et à refuser l'exéquatur d'un jugement rendu par le Tribunal d'Amsterdam, en donnant comme raison que le Tribuual de Middelbourg devait être saisi de la demande contrairement à ce qu'a décidé le Tribunal d'Amsterdam. N'est-il pas plus logique, plus pratique et plus sûr d'abandonner au juge hollandais lui-même cette matière de la compétence spéciale qui appartient tout entière au droit interne hollandais? Si des divergences nombreuses et regrettables se trouvent tant dans les traités conclus sur cette matière que dans les décisions de jurisprudence, ce sera presque toujours parce que la distinction entre la compétence générale et la compétence spéciale n'est pas nettement aperçue, et non pas parce que délibérément on prétend soumettre au tribunal du pays d'importation non seulement la question de la compétence générale du juge étranger, mais aussi la question de la compétence spéciale de l'auteur de la décision étrangère. Lorsque tous ceux qui ont à s'occuper de la matière des jugements étrangers sauront unanimement maintenir présente à l'esprit cette distinction essentielle des deux compétences que nous venons de définir et de préciser, un des principaux obstacles au progrès du droit international en cette matière se trouvera définitivement écarté. § 4. LE GROUPEMENT DES SYSTÈMES ADOPTÉS PAR LES DIVERSES LÉGISLATIONS DANS LA MATIÈRE DES JUGEMENTS ÉTRANGERS. Les législations concernant l'exécution des jugements étrangers sont extrêmement variables d'un pays à l'autre, et, pour se retrouver avec aisance dans ces divergences, il est bon de les ramener à des groupements généraux d'après le genre auquel chacune d'elle appartient. Une première division peut être établie : c'est la distinction entre les législations qui maintiennent cette matière des jugements étrangers exclusivement dans le droit commun, traitant donc d'une façon identique tous les jugements étrangers quelle que soit la nationalité du tribunal qui les a rendus; et les législations qui comprennent à côté du droit commun un ou plusieurs traités conclus avec des pays particuliers accordant en cette matière un régime de faveur aux jugements émanant de ce pays. L'on pourra donc en cette matière s'occuper des régimes de droit commun, ou des régimes fondés sur des traités particuliers. Ce groupement est trop large et trop superficiel pour apporter beaucoup de clarté dans ce domaine. Une division plus intéressante est celle qui distingue les législations qui adoptent et celles qui ignorent la procédure de l'exéquatur. Dans sa forme procédurière l'action en exéquatur ne se distingue pas généralement de tout autre procès. Ce qui caractérise ce genre d'action, c'est son objet. Ce que le demandeur en exéquatur sollicite en effet, c'est de revêtir de la formule exécutoire indigène un jugement rendu par un juge étranger. L'action poursuivant ce but, inconnu dans tout autre procès, apparaît ainsi comme un litige extraordinaire. Si des textes précis ne l'autorisaient pas, elle devrait être déclarée non recevable. Certains législateurs instituent et organisent ce genre spécial d'action; d'autres législations l'ignorent dans leurs textes de lois, et par conséquent la repoussent dans leur pratique procédurière. Beaucoup d'auteurs adoptent cette distinction des divers régimes et nous nous y référons également. Il importe de faire observer dès l'abord cependant que ce mode de groupement des diverses lois, si utile qu'il puisse paraître, se base sur une vue superficielle des choses et ne pénètre pas leur caractère intime; il se fonde sur une divergence des formes procédurières; il ignore les divergences sur le fond de la question. Ce qui est intéressant avant tout, en effet, ce n'est pas de savoir quel est le genre de procédure organisé par un pays pour permettre l'exécution d'un jugement étranger, mais c'est la mesure dans laquelle le pays facilite ou entrave cette exécution. Or ce serait une erreur profonde de s'imaginer que les législations qui instituent le système de l'exéquateur sont celles qui favorisent le plus généreusement l'exécution des jugements étrangers, alors que les législations restrictives à cet égard, se trouvent toutes rangées dans le groupe des pays qui ignorent l'exéquatur. Dans chacun de ces deux groupes voisinent des législations très libérales et des législations très défiantes. Si l'on se rapporte exclusivement au degré de facilité avec lequel l'exécution d'un jugement étranger peut être obtenue dans les divers États, il faudra abandonner totalement le groupement en systèmes instituant ou ignorant l'exéquatur et établir les catégories suivantes : 1o Système du refus d'exécution des jugements étrangers. Dans les pays adoptant ce régime la partie qui a obtenu un jugement étranger devra recommencer le procès, comme si aucune action n'avait été introduite encore. Eventuellement le jugement étranger pourra être invoqué comme élément de conviction, mais comme élément de fait seulement. Dans ce groupe se trouve notamment les pays du Nord de l'Europe (Hollande, Pays scandinaves, Russie). 2o Système de la revision absolue. Régime qui permet l'exécution du jugement étranger, mais ne l'autorise qu'après avoir accordé un droit de revision absolue au juge indigène chargé d'octroyer la formule exécutoire. Le tribunal du pays d'importation pourra ainsi substituer un jugement nouveau au jugement étranger avant de permettre l'exécution. Dans sa forme radicale, ce système diffère fort peu du système précédent. Pratiquement en effet, il revient à autoriser le gagnant du procès étranger à réintroduire la même action dans le pays d'importation en invoquant le jugement étranger comme élément de conviction. Théoriquement c'est à ce système que se réfère la jurisprudence française, tout en y apportant de notables adoucissements dans l'application. 3o Système du contrôle illimité. Ce système ne se confond pas avec le système de la revision. Ce dernier système permet de modifier le jugement étranger, et d'y substituer un jugement nouveau. Le système du contrôle illimité, au contraire, ne permet pas de modifier le jugement étranger, mais uniquement de le rejeter. L'action du magistrat dans le pays d'importation ayant adopté ce régime a été comparée à l'action du douanier. Le douanier aussi se contente de jouer le rôle d'un filtre : il arrête certaines marchandises, il en laisse passer d'autres, mais jamais il ne modifie un colis qui est soumis à son contrôle. Ce système est adopté en Belgique. 40 Système du contrôle limité. Régime qui limite à certains points strictement déterminés le contrôle qui sera exercé par le juge national. D'après que cette limitation de contrôle sera plus ou moins étroite ou large, l'exécution des jugements étrangers sera plus ou moins facile. C'est le régime adopté par l'Italie et les pays anglo-saxons. Ce groupement en quatre catégories ne permet pas d'ailleurs de classifier strictement toutes les législations, car certaines d'entre elles se rattachent à plus d'un groupe et combinent les systèmes. Ainsi un groupe important d'États acceptent de limiter leur contrôle du jugement étranger à condition qu'il y ait réciprocité de fait dans la législation de l'État qui a rendu le jugement. C'est le régime adopté de l'Allemagne, qui se rattache ainsi à la fois au premier et au quatrième groupe. Mais malgré cette faiblesse qui ne permet pas de catégoriser strictement chaque législation, ce groupement garde son utilité parce qu'il est le plus rationnel en permettant de ranger les législations dans un ordre progressif qui va du régime le plus restrictif jusqu'au régime le plus libéral. Or, c'est là ce qui importe avant tout et bien plus que la forme que prend la procédure pour parvenir à obtenir l'exécution d'un jugement étranger. Aussi, tout en divisant les législations en deux catégories d'après qu'elles adoptent ou ignorent l'exéquatur, nous nous référerons en sous-ordre à ce classement en quatre groupes d'après le degré de respect accordé à la décision étrangère. |