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délits ordinaires.... Pareils actes peuvent à la rigueur être atteints par les textes ordinaires, mais ne sont pas en réalité les crimes et délits d'assassinat, meurtre, homicide, coups et blessures, ou vols, prévus par le code pénal » (Le droit pénal international, I, 63). On peut, semble-t-il, admettre les deux postulats suivants : la spécialité de cette matière criminelle exige une loi pénale spéciale; la possibilité de contestation sur les préceptes posés par cette loi de la part des États en guerre, nécessairement partiaux, impose une loi pénale universelle. M. Travers est lui-même de cet avis. « Cette législation particulière doit-elle revêtir un caractère international? Nous croyons, répond-il que la réalisation de ce caractère serait préférable » (loc. cit.). En dehors des lois et des statuts, des ordonnances et des règles de tout ordre, les écrivains anciens et modernes qui ont écrit sur la guerre les uns cherchant à en réprimer les abus, les autres en la blâmant complètement nous ont laissé des pages remarquables sur la Criminologie de la guerre. Dans les Instructions à un jeune prince, on parle de la responsabilité de ceux qui causent les maux incalculables de la guerre; Innocent III (de 1198 à 1216), dans une de ses Décrétales, essaya de défendre l'emploi d'armes empoisonnées; de son côté, Honoré Bonet (m. 1398), dans son Arbre des batailles, attaque les mauvais usages de la guerre. François de Victoria (1480-1546) dans ses Relectiones, dit qu'« il paraît être admis par les habitudes et les usages de la guerre que les prisonniers ne sont pas mis à mort » (De jure belli, P. III, p. 6). D'après Alberico Gentilis, dans son traité De iure belli (1598), livre second, on ne peut tuer l'ennemi au moyen du poison ou d'eaux empoisonnées. C'est ainsi que l'idée de guerre criminelle se fait jour dans le monde.

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5. Autonomie du crime de guerre. La guerre, tout en étant une violation de l'ordre juridique international, suppose un autre ordre juridique, toute violation de cet ordre constitue le crime ou délit de guerre. Ce délit est un délit autonome, un type légal d'une loi pénale propre, loi internationale quand même, qui n'a pas encore été promulguée. Ainsi, le crime international de guerre ne peut nullement dériver d'une loi nationale. Et c'est pourquoi le Manuel des lois de la guerre, de l'Institut international, en 1880, est dans l'erreur, quand il affirme que « les violateurs des lois de la guerre sont passibles des châtiments spécifiés par la loi pénale (de celui des belli

gérants au pouvoir duquel ils se trouvent) (art. 84). (Voir Annales de l'Institut int., V, 1882, p. 174.) En conséquence, aucune nation ne peut rédiger seule, c'est-à-dire motu proprio, un « Manuel des lois continentales de la Guerre », tel que celui publié, sans aucune valeur continentale, par l'État-Major allemand en 1902. C'est également en vain, qu'on a essayé de la meilleure foi du monde, de faire des lois de la guerre, dans un État et pendant une guerre. Tel est le cas de la France, où des propositions de loi ont été déposées à la Chambre des Députés, par M. Engerand en 1916, et par M. Ignace, le 23 mars 1917, et où des juristes éminents, comme MM. Paul Pic (1916), Louis Renan (1915), Jullien (1916), Ramberg, Nisard et Merignac (1917), ont traité cette question dans les revues de droit international, en même temps que des écrivains célèbres la mettaient à la portée du grand public.

La question de la punition des crimes de guerre est à vrai dire très complexe. D'abord, il faut distinguer la question générale des réparations pour dommages causés par les batailles, au cours d'une guerre, de celle des peines qui doivent frapper les crimes et délits contre les lois de la guerre et qui peuvent comprendre la réparation. Il faut préciser en second lieu si les délits et crimes commis pendant la guerre cessent d'être punissables au lendemain d'un traité de paix, c'est-à-dire : a) si la « clause d'amnistie » inscrite dans un tel traité, est valable et juste; b) si, dans tout traité de paix, on doit admettre une clause d' « amnistie tacite ». La plupart des internationalistes sont de ce dernier avis: Blunstchli, Heffter, Hall, Halleck, PradierFoderé, Simon, Geffken, et d'autres encore. Par contre, et tout en acceptant la clause d'amnistie, M. Travers croit « qu'il appartient à chaque gouvernement belligérant de voir, après la cessation des hostilités, s'il y a lieu pour lui, de continuer à poursuivre, en faisant état de sa propre loi, les infractions nées de la guerre ou s'y rattachant » (Ob. cit., I, 22). Pour nous, le traité de paix doit se borner à régler le conflit qui a donné lieu à la guerre, et il ne doit jamais assurer aux coupables une impunité imposée par la victoire. Si la guerre est par elle-même un crime, elle deviendrait le plus grand crime, si elle était dénuée de toute justice. Et la paix ne doit pas devenir à son tour un autre crime.

6. Le code de la guerre.

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- Un code de la guerre est donc nécessaire à l'humanité; il doit comprendre l'ensemble des règles morales de

portée universelle applicables dans toute guerre possible et dont la violation constitue le crime ou le délit de guerre. D'après Spinoza et d'autres philosophes, une certaine morale est nécessaire dans toute entreprise, même a-t-on dit, -- parmi les bandits ou dans une maison close. Des projets historiques de ce code existent depuis le moyen âge, l'âge d'or de la guerre. Il convient de rappeler ceux d'Abou-I-Hosain, mort en 1036; le Décret ou Concordia discordantium canonum, de Gratien, vers 1151, le Vikayah, de Borhan-el-Sheriah et de Mahmoud-el-Mahmoud, vers 1280; les Ordonnances de Jean II et de Charles VI de France, en 1351 et 1413; les Statutes, ordonnances and customs to be observed in the army, de Richard d'Angleterre, en en 1835; les Règlements militaires de Charles le Téméraire, en 1468 et 1471, les Statuts et ordonnances que doivent garder les compagnies d'hommes d'armes et gens de trait tant à pied qu'à cheval, de France, en 1473; les Règles de l'administration de la justice militaire, données par Charles V aux Pays-Bas, en 1347; la Reuter Bestallung et la. Fussknecht Bestallung, de 1570, et le Articul Brief des Provinces Unies, de 1590.

C'est seulement à notre époque que les lois de la guerre ont été rédigées et même codifiées, et que les crimes et délits de guerre peuvent être définis et étudiés. Aux États-Unis, tout d'abord, le président Abraham Lincoln chargea en 1859 le professeur François Lieber de la rédaction d'un code des lois de la guerre. Sous le titre d'Instructions de campagne pour l'armée des Etats-Unis; il fut mis en vigueur au cours de la guerre de Sécession (de 1860 à 1863). Il faut citer ensuite la Déclaration de Bruxelles, de 1874, et le Manuel des lois de la guerre, de l'institut de droit international (Oxford, 1880).

7. Le code pénal de la guerre. -Les conventions de la Haye, de 1899 et 1907, ont rédigé le « Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, » c'est-à-dire, le Code pénal de la guerre. Parmi les crimes et délits de guerre qui ont été définis en 1907, nous trouvons les suivants : « Il est notamment interdit:

a) D'employer du poison ou des armes empoisonnées.

b) De tuer ou de blesser par trahison des individus appartenant à la nation ou à l'armée ennemie.

c) De tuer ou de blesser un ennemi qui, ayant mis bas les armes ou n'ayant plus les moyens de se défendre, s'est rendu à discrétion. d) De déclarer qu'il ne sera pas fait de quartier.

e) D'employer des armes, des projectiles ou des matières propres à causer des maux superflus.

f) D'user indûment du pavillon parlementaire, du pavillon national ou des insignes militaires et de l'uniforme de l'ennemi, ainsi que des signes distinctifs de la convention de Genève.

g) De détruire ou de saisir des propriétés ennemies, sauf les cas ou ces destructions ou ces saisies seraient impérieusement commandées par les nécessités de la guerre.

h) De déclarer éteints, suspendus ou non recevables en justice, les droits et actions des nationaux de la partie adverse.

Il est également interdit à un belligérant de forcer les nationaux de la partie adverse à prendre part aux opérations de guerre dirigées contre leur pays, même dans le cas où ils auraient été à son service avant le commencement de la guerre » (Règlement, Section II, chap. 1, art. 23).

8. Les nouveaux codes de la guerre. - Le code de la guerre, commun et universel, que nous étions en droit d'espérer de l'œuvre législative de la Société des Nations, n'existe pas encore. Toutefois, il y a dans tous les traités conclus à la fin de la guerre, des dispositions concernant les crimes et délits contre les lois et usages de la guerre. D'après le traité de Versailles, « les personnes accusées d'avoir commis des actes contraires aux lois et coutumes de la guerre, » peuvent être traduites devant les tribunaux militaires (art. 228); le même droit est reconnu aux puissances alliées par l'Autriche (Int. Germain, art. 173 et Prot. 1er), par la Bulgarie (Neuilly, art. 118 et Prot. 1er), par la Hongrie (Trianon, art. 157 et Prot. 1er), par la Turquie (Sèvres, art. 226).

Dernièrement, la conférence de Washington (12 novembre 1921, 6 février 1922) a établi pour le monde entier un nouveau code des lois de la guerre. Voici quel en est le préambule : « Les États-Unis d'Amérique, l'Empire britannique, la France, l'Italie, le Japon, dans le désir de rendre plus efficaces les règles acceptées par les nations civilisées pour la protection de la vie des neutres et des noncombattants en mer en temps de guerre, et d'empêcher dans la guerre l'emploi des gaz et produits chimiques délétères, ont décidé de conclure un traité à cet effet, etc. » On y voit figurer comme délits : la prise d'un navire marchand avant la visite et l'inspection, l'attaque de celui-ci, sauf en cas de résistance; la destruction avant le sauve

tage des personnes du bord (art. 1er, § 1). Ces règles sont déclarées applicables aux sous-marins (art. 1er, §2). L'emploi des sous-marins, pour la destruction du commerce ennemi est prohibé (art. 4). De même l'emploi des gaz asphyxiants, ou des liquides corrosifs (art. 5) Enfin, « toute personne au service d'une puissance qui viole une de ces règles sera tenue comme ayant violé les lois de la guerre et elle pourra être jugée et châtiée comme ayant commis un acte de piraterie » (art. 3).

9. L'espionnage.- La notion de l'espionnage, qui est le plus redoutable des crimes militaires interétatiques, est toujours imprécise; elle est susceptible d'interprétations diverses d'État à État, d'un moment à un autre au cours d'une guerre. La conduite la plus licite en apparence peut constituer un acte d'espionnage. La convention de la Haye a heureusement compris toute la difficulté de ce sujet, et le règlement qui y est annexé déclare : « Ne peut être considéré comme espion que l'individu qui, agissant clandestinement ou sous de faux prétextes, recueille ou cherche à recueillir des informations dans la zone d'opérations d'un belligérant, avec l'intention de les communiquer à la partie adverse » (Chapitre 11, art. 29). Après la définition, on cite des exemples de cas ou il n'y a pas d'espionnage: Ainsi, les militaires non déguisés qui ont pénétré dans la zone d'opérations de l'armée ennemie, à l'effet de recueillir des informations, ne sont pas considérés comme espions, de même que les militaires, accomplissant ouvertement leur mission, chargés de transmettre des dépêches destinées, soit à leur propre armée, soit à l'armée ennemie. A cette catégorie appartiennent également les individus, envoyés en ballon pour transmettre les dépêches, et, en général, pour entretenir les communications entre les diverses parties d'une armée ou d'un territoire » (art. 29, al. 2o). Des garanties juridiques suivent, tout imprégnées d'esprit humain. « L'espion pris sur le fait ne pourra être puni sans jugement préalable » (art. 30). « L'espion qui, ayant rejoint l'armée à laquelle il appartient, est capturé plus tard par l'ennemi, est traité comme prisonnier de guerre et n'encourt aucune responsabilité pour ses actes d'espionnage antérieurs » (art. 31). A côté de cet espionnage terrestre ou maritime, on prévoit déjà (art. 29, 2o alinéa in fine), l'espionnage aérien, dont l'importance n'a fait que croître depuis cette époque jusqu'à nos jours, surtout après l'expérience de la guerre mondiale. Toutefois, il faut recon

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1925.

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