l'article 14 du pacte. Il y a lieu cependant de mettre en lumière la nature de la nouvelle Cour. Il a été dit par l'éminent M. Politis que «< la nouvelle juridiction créée par la Société des Nations ne remplace pas l'ancienne Cour d'arbitrage; » qu'« elle la double et la complète » (La justice internationale, p. 177). Cela semble signifier que les procédures peuvent être engagées devant les deux cours, sinon simultanément au moins l'une après l'autre — ce que je n'oserais soutenir. Si la Cour de Justice complète la Cour d'Arbitrage, cela suppose qu'elle ne sont pas en opposition par nature. C'est ce que nous allons examiner maintenant. - 16. Le juge et la partie. — On connaît l'axiome : « Personne ne peut être juge et partie dans une même affaire. » Cela veut dire que le juge ne doit pas être intéressé à l'affaire, mais on ne saurait soutenir que le juge est indépendant des parties lorsqu'il est nommé ou désigné par elles. Tel est le cas dans l'arbitrage, dont voici la caractéristique : « L'arbitrage international a pour objet le règlement de litiges entre les États par des juges de leur choix » (I. Conv. de la Haye, 18 octobre 1907, art. 37). Bien au contraire, dans la justice internationale, les juges de la Cour permanente de Justice doivent être indépendants des parties. Car, « si pour une raison spéciale, l'un des membres de la Cour estime ne pouvoir participer au jugement d'une affaire déterminée, il en fait part au président. » Et, si « le président estime qu'un des membres de la Cour ne doit pas pour une raison spéciale, siéger dans une affaire déterminée, il en avertit celui-ci. » Enfin, « si en pareil cas, le membre de la Cour et le président sont en désaccord, la Cour décide » (Statut, art. 24). Certes, la justice internationale est issue de l'arbitrage, dont elle conserve encore certains défauts. Ainsi, « les juges de la nationalité de chacune des parties en cause conservent le droit de siéger dans l'affaire dont la Cour est saisie. » Et c'est ainsi également qu'en ce qui touche les juges nationaux, la loi de l'équilibre s'impose. « Si la Cour compte sur le siège un juge de la nationalité d'une seule des parties, l'autre partie peut désigner pour siéger, un juge suppléant, s'il s'en trouve un de sa nationalité. S'il n'en existe pas, elle peut choisir un juge pris de préférence parmi les personnes qui ont été l'objet d'une présentation, » etc. Enfin, « si la Cour ne compte sur le siège aucun juge de la nationalité des parties, chacune de ces parties peut procéder à la désignation ou au choix d'un juge, de la même manière >> (art. 31). En somme l'arbitrage subsiste comme un parasite au cœur de la nouvelle justice internationale. 17. La publicité des débats. — Lorsqu'un intérêt public est mis en cause dans une procédure, la publicité des débats doit être assurée. Elle n'est pas seulement une garantie pour la société qui toute entière est intéressée; c'est en même temps la citation collective, personnelle mais anonyme, du peuple, en bonne doctrine de démocratie directe. Par contre si l'intérêt privé est seul mis en cause par la plainte qui est déposée, la porte du prétoire se ferme, et toute publicité étant écartée, le peuple disparaît. Dans la « Commission internationale d'enquête, » les débats sont à huis clos (Règle 6). L'arbitrage et la justice internationale diffèrent sur ce point essentiel de la publicité des débats: Devant la Cour d'arbitrage, la non publicité est la règle, la publicité, l'exception. Les débats ne sont publics qu'en vertu d'une décision spéciale du tribunal et c'est seulement avec l'assentiment des parties qu'il peut prendre cette décision. Devant la Cour permanente, au contraire, la publicité est la règle : « L'audience est publique à moins qu'il n'en soit autrement décidé par la Cour ou que les deux parties ne demandent que le public ne soit pas admis >> (Statut, art. 46). Je me permets de signaler ici, dans la faculté réservée aux parties de faire cette demande, une autre survivance vicieuse de l'arbitrage dans la justice internationale. 18. La procédure par défaut. — L'élément moral n'est pas absent dans la procédure, et le refus de comparaître en justice, le défaut, n'y est point sans importance. En matière criminelle, le prévenu peut même être condamné par défaut. Seulement il y a des juridictions dans lesquelles le défaut est très rare en pratique. Tel est le cas de l'arbitrage, où la procédure par défaut est exceptionnelle; devant la Cour permanente au contraire, « lorsqu'une des parties ne se présente pas, ou s'abstient de faire valoir ses moyens, l'autre partie peut demander à la Cour de lui adjuger ses conclusions » (Statut, art. 53). 19. La solidarité judiciaire. -La justice ancienne était toujours une justice plus ou moins représentative : les juges représentaient le nombre, ou bien ils étaient qualifiés par leur titre; dans la justice moderne, au contraire, on cherche dans chaque juge une conscience et une mentalité, c'est-à-dire une vocation et une préparation. Leur valeur est donc avant tout personnelle. Comme type de justice ancienne, nous avons le jury; il diffère de la Cour moderne surtout dans le système anglo-saxon, où la voix de la majorité n'étouffe pas la voix du juge. En conséquence, parmi les juges anciens (et aujourd'hui parmi les jurys) il existe une véritable solidarité, le résultat de la délibération restant secret, et le vote anonyme. Il en est de même dans l'arbitrage: « les délibérations du tribunal ont lieu à huis clos et restent secrètes. » « Toute décision est prise à la majorité de ses membres» (Convention, art. 78). Avec la Cour permanente, la justice moderne se fait jour dans l'ordre international. Le vote devient personnel et retrouve toute sa valeur. « Si l'arrêt n'exprime pas, en tout ou en partie l'opinion unanime des juges, les dissidents ont le droit d'y joindre l'exposé de leur opinion individuelle » (Statut, art. 57). 20. Le domaine de la sentence. La différence d'origine, dans la justice, entraîne une pareille différence quant à la portée de la sentence. C'est ainsi que dans la justice privée de l'arbitrage civil, l'autorité de la chose jugée n'a qu'un domaine limité aux parties; dans la justice publique au contraire, cette autorité porte sur le cas. Son domaine y reste limité. Toutefois, limiter ici, c'est amplifier, car les parties dans une affaire sont déterminées une fois pour toutes, tandis que le cas peut servir de modèle à des jugements nouveaux. C'est ainsi que se forme la jurisprudence. Dans l'arbitrage international, « la sentence arbitrale n'est obligatoire que pour les parties en litige» (Convention, art. 84). De même pour la Cour permanente : « La décision de la Cour n'est obligatoire que pour les parties en litige, » mais on ajoute « et dans le cas qui a été décidé » (Statut, art. 59). Nous devons appliquer ce principe, d'abord à ce cas, puis à tous les cas pareils, car il s'agit d'une véritable justice publique. 21. La possibilité de la revision. - En présence de la découverte d'un fait nouveau, inconnu au tribunal, la possibilité d'un nouvel examen d'un procès jugé en dernier ressort est une condition de toute vérité judiciaire. En conséquence, la procédure de revision dans un système judiciaire quelconque doit toujours être de droit, toute dépendance de la volonté humaine étant, en cette matière, contre la nature de la justice. Or, dans l'arbitrage international, la revision ne peut avoir lieu que s'il y a convention. « Les parties peuvent se réserver dans le compromis de demander la revision de la sentence arbitrale, » et ce même compromis « détermine le délai dans lequel la demande de revision doit être formulée » (Convention, art. 83, §§ 1er et 4). Dans la justice internationale, par contre, la possibilité de revision est prévue par la loi même de la Cour, sans qu'il y ait besoin d'aucun compromis des parties de convention préalable. « La revision de l'arrêt ne peut être éventuellement demandée à la Cour qu'à raison de la découverte d'un fait de nature à exercer une influence décisive et qui, avant le prononcé de l'arrêt, était inconnu de la Cour et de la partie qui demande la revision sans qu'il y eût de sa part faute à l'ignorer. La procédure de revision s'ouvre par un arrêt de la Cour, etc. » (Statut, art. 61, §§ 1 et 2). C'est ainsi que la revision devient statutaire et non plus conventionnelle. 22. Différence entre l'arbitrage et la justice internationale. — Avec beaucoup de raison, l'éminent M. Loder définissait en ces termes, dans une conférence faite en 1923, la différence entre l'arbitrage international et la justice internationale : telle qu'elle existait alors. « Si en théorie disait-il le fond de l'arbitrage et de la justice est le même, la pratique en fait des choses bien différentes. Ce sont le but à atteindre et la méthode à suivre qui diffèrent1. » Or, la différence essentielle entre l'arbitrage et la justice internationale n'existait pas encore à l'époque de cette conférence. Voici en quoi elle consiste il est de la nature de l'arbitrage d'être facultatif, c'est-à-dire que chacune des parties peut s'y soumettre, tout en acceptant d'avance le résultat de l'arrêt. Justice volontaire que celle-ci, et aussi bien dans les Cours d'arbitrage ou tribunaux que devant la Cour permanente d'arbitrage. Il est de la nature de la justice, au contraire, d'être obligatoire, de même dans l'ordre international que dans les Cours ou tribunaux de tous les pays du monde. D'un côté l'amendement apporté à l'article 13, alinéa 3 du pacte, par la deuxième Assemblée (voir ci-dessus, no 10), d'un autre côté l'esprit du traité de Locarno (octobre 1925) ont fait progresser le sens de la Justice internationale vers l'idéal de l'obligation. Toutefois, le droit d'option entre l'arbitrage et la Cour permanente subsiste dans les conventions signées : « Seront soumises à un tribunal arbitral, soit à la Cour permanente de Justice internationale» (Conv. d'arb. franco-allemande, art. 1, dans la Revue de droit international, de Sottile, III, 1923, 263). 1. La différence.... Bulletin de l'Institut intermédiaire, IX (1923), p. 283. Résumé général. Nous venons d'examiner le développement d'un type de vie juridique. Nous y avons étudié tout d'abord, d'un point de vue réaliste, l'évolution des faits en laissant de côté celle des idées. Pour explorer utilement le vaste domaine des institutions qui sont devenues des faits juridiques, il nous a été permis d'employer des principes directeurs, des idées-guides. La première a été celle de l'assistance juridique internationale. Après avoir précisé le sens et la valeur de cette formule qui résume les devoirs d'assistance mutuelle et d'humanité qui s'imposent aux États (devoirs moraux qui se transforment en devoirs juridiques), nous avons vu apparaître la perspective puissante de la vie juridique internationale tout entière. Et la politique internationale a défilé sous nos yeux avec son état-major de chefs d'État entourés du cortège des diplomates, au milieu de ces fêtes appelées congrès et conférences, dont l'œuvre est les traités ou pactes — qui peuvent conduire à des résultats heureux s'ils sont fidèlement observés par les puissances. Puis, l'administration internationale nous a montré son organisation juridique, réalisée au moyen des unions et des instituts. La justice internationale enfin devait servir de couronnement à l'œuvre; mais là, les conventions internationales n'ont pas obtenu les résultats désirés. C'est ici que la critique s'est fait jour dans notre travail, et nous avons dû conclure à l'impuissance de l'assistance juridique internationale après avoir montré quels ont été ses résultats. Nous avons abordé ensuite l'examen du nouveau régime de la vie juridique internationale qui commence à se développer sous nos yeux le système de l'existence juridique supranationale, qui s'exprime dans la Société des Nations. Nous avons, comme pour l'assistance juridique internationale, précisé le sens et la valeur de la formule employée, qui définit la vie juridique d'après-guerre. Et de nouveau, une politique, une administration et une justice apparaissent, qui cette fois ne sont pas seulement internationales, mais supranationales. Elles s'expriment par de nouveaux organes : la politique supranationale, au moyen de l'Assemblée et du Conseil de la Société des Nations, l'administration supranationale, par le faisceau de ses organisations et de ses commissions, la justice supranationale, dans la Cour permanente de Justice internationale. Telle est l'évolution de la justice pénale internationale dans sa première |