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navire, lorsqu'elles doivent se transporter à bord du même navire pour procéder à la poursuite, à la recherche et à l'arrestation du réfugié. Seul le gouvernement allemand a soutenu, à propos de deux affaires arrivées en 1905 et en 1909 dans ses rapports avec l'Angleterre, que l'autorité locale ne peut procéder à l'arrestation d'un délinquant à bord du navire de commerce étranger sur lequel il a trouvé refuge que si elle s'est assurée au préalable de l'agrément du pays dont le navire relève1. Mais cette prétention semble inadmissible et ouver tement contraire au droit international. En effet, si un accord préalable des gouvernements est indispensable pour la recherche et l'arrestation du réfugié, cela signifie que l'asile est admis en l'absence d'un tel accord; mais justement le bien-fondé de cette conséquence est nettement démenti par la règle coutumière dont nous venons de parler et qui ne semble pas manquer de valeur obligatoire à l'égard de l'Allemagne.

Par contre, les solutions ne sont pas concordantes en ce qui concerne les réfugiés politiques; pourtant, il faut reconnaître que si certains pays, surtout les États-Unis et l'Angleterre, ont quelquefois contesté la prétention des autorités locales d'arrêter des délinquants politiques réfugiés à bord de navires marchands, dans la plupart des cas, au contraire, cette prétention a été pacifiquement admise2. Toutefois, j'hésiterais à admettre qu'il existe pour les réfugiés politiques une coutume aussi bien établie ou tout au moins aussi générale que pour les délinquants de droit commun. De même que la pratique n'est pas sûre, la doctrine n'est pas unanime; et de même que le droit interne donne lieu à quelque doute3, de même quelques éléments d'incertitude proviennent du droit conventionnel. A cet égard, on peut faire allusion au traité général de paix et d'amitié, signé à Washington le 20 décembre 1907 et ratifié par les États signataires (Costa-Rica, Guatemala, Honduras, Nicaragua et Salvador)

1. Cf. Fauchille-Bonfils, op. et vol. cit., p. 1072. A la p. 1071, on trouve une courte indication de l'opinion exprimée en 1890 par M. Blaine, secrétaire d'État américain, en sens conforme à la prétention soutenue ensuite par le gouvernement allemand.

2. Cf. Scelle et Planas Suarez, loc. cit., et Fauchille-Bonfils, op. et vol. cit., p. 1070-1.

3. Les dispositions, déjà rapportées, du Code maritime marchand italien défendent d'accorder l'asile à des individus recherchés par la justice pour délits de droit commun; il semble donc qu'elles permettent d'accorder l'asile aux délinquants politiques.

en février et mars 1908, dans lequel la disposition suivante est insérée à l'article 10: « Les gouvernements des Républiques contractantes s'engagent à respecter l'inviolabilité du droit d'asile à bord des bâtiments marchands de nationalité quelconque mouillés dans leurs ports. En conséquence on ne pourra extraire des dits bâtiments que les coupables des délits de droit commun, en vertu d'un ordre du juge compétent et avec les formalités légales. Les individus poursuivis pour délits politiques, ou pour délits de droit commun connexes à des délits politiques, ne pourront être extraits que dans le cas où ils se sont embarqués dans un port de l'État qui les réclame, tandis qu'ils se trouvent dans ses eaux juridictionnelles, et après qu'auront été remplies les conditions requises précédemment pour le cas de délits de droit commun 1. » Évidemment, avec une conception aussi limitée du droit d'asile, la fiction d'exterritorialité n'a rien à voir, car il serait absurde de penser que le navire marchand est une partie du territoire de l'État dont il bat pavillon seulement pour ce qui concerne les réfugiés politiques et non pour ce qui concerne les délinquants de droit commun, et que, de plus, le navire marchand n'a ce caractère juridique que dans le cas où le criminel s'est réfugié à bord du navire en haute mer ou dans des eaux territoriales différentes de celles de l'État qui le poursuit. Ceux qui soutiennent rationnellement la thèse admise par le traité entre les États du Centre de l'Amérique, la font reposer, en effet, sur le motif que recevoir à bord le fugitif hors des eaux territoriales de l'État qui le poursuit ne viole pas les droits de police et de juridiction de cet État 2. Le motif est d'une exactitude douteuse : la loi pénale est violée au moment où le crime s'accomplit dans le territoire, et le droit de juridiction garde toute sa force, même s'il n'a pas la possibilité matérielle de s'exercer : le fait de la présence du délinquant dans les eaux territoriales fait disparaître l'obstacle matériel à l'exercice de la juridiction; si le droit de police n'est pas violé au moment de la permission d'embarquement, il l'est certainement par l'acte qui permet au délinquant de rester à bord lorsque le navire se trouve dans les eaux territoriales de l'État qui le poursuit.

1. Descamps et Renault, Recueil international des traités du XX• siècle, année 1907, p. 462-3.

2. Cf. Fauchille-Bonfils, op. et vol. cit., p. 1068 et les auteurs cités dans les notes de cette page.

Il faut aussi ajouter que si le motif indiqué était exact, on ne comprendrait pas que le traité eût limité le bénéfice de ses dispositions aux délinquants politiques et ne l'eût pas étendu aux délinquants de droit commun, comme le soutient logiquement la doctrine favorable au droit d'asile. La disposition conventionnelle que nous avons rapportée est donc peu louable, mais sa valeur de droit positif accentue le doute, déjà soulevé par d'autres circonstances, sur l'existence d'une coutume internationale générale excluant l'asile à bord de navires marchands pour ce qui concerne les délinquants politiquess

CHAPITRE XIII

POLICE JUDICIAIRE. FONCTIONS

DES CONSULS : DÉSERTION MARITIME

-

L est à peine utile de relever car c'est la conséquence naturelle

I'

des principes dont nous avons déjà vu tant d'applications

que le droit d'exercer la police judiciaire revient à l'État, dans les eaux territoriales duquel est arrivé le fait qui donne lieu à cet exercice. Toutefois, cette règle subit dans la pratique de nombreuses exceptions car l'État territorial renonce souvent à son droit faute d'un intérêt suffisant à l'exercer; cette renonciation peut être unilatérale ou conventionnelle. Avant d'examiner l'extension et la portée de ces exceptions, il est intéressant de mettre en relief que la doctrine ne s'occupe presque jamais ex professo de la police judiciaire, étudiant les modalités de son exercice avec celui de la juridiction pénale ou même la confondant avec cette dernière. Cette méthode me semble critiquable. En effet, à un point de vue abstrait, il ne semble pas possible de nier la liaison logique entre l'action de la police judiciaire et l'action de juger, qui rend cette dernière dépendante de la première; mais dans la pratique des rapports internationaux, cette liaison ne garde plus toute sa rigueur, et il est fort possible que la reconnaissance matérielle du délit et la réunion des preuves soient accomplies par une autorité appartenant à un État différent de celui auquel appartient le juge.

Par rapport à la matière qui nous intéresse, je ne peux donc approuver, d'une manière absolue, l'opinion d'Ortolan, d'après laquelle le droit de police et d'enquête, quant à la détermination de la souveraineté à qui il appartient, doit marcher de concert avec le droit de juridiction. Et dans le domaine du droit international positif, je ne trouve pas non plus tout à fait exacte la règle qu'il affirme et selon laquelle, lorsque le droit de juridiction est reconnu aux autorités du

navire, le droit de police et d'enquête est confié au consul ou au commandant du vaisseau de guerre de la nationalité du navire marchand ancré dans les eaux territoriales étrangères; c'est, au contraire, aux autorités locales qu'il est dévolu, lorsqu'elles ont le droit de juridiction, mais avec l'obligation pour elles de donner avis préalable de leurs opérations au consul ou au commandant du vaisseau de guerre de la même nation qui se trouve devant dans le port, afin que ceux-ci puissent, s'ils le veulent, y assister et y veiller 1.

A un point de vue plus général, on doit reconnaître que l'État territorial peut très bien avoir intérêt à rétablir par ses propres moyens l'ordre troublé à bord d'un navire étranger, à constater l'existence objective de ce qui est un délit selon sa propre loi, enfin à assurer à la justice des preuves qui, autrement, seraient peut-être destinées à s'évanouir; et cela sans avoir ni besoin ni intérêt à procéder au jugement. On peut ajouter, en se fondant sur une théorie dont nous traiterons plus loin, que l'exercice de la police judiciaire est souvent un moyen pour l'État territorial de déterminer s'il a, dans l'espèce, intérêt ou non à punir. Vu la diversité des affaires qu peuvent se présenter dans la pratique, l'État peut se réserver la faculté de renoncer, espèce par espèce, au droit de police et au droit de juridiction, ou bien seulement à l'un de ces deux droits, ou bien il peut établir conventionnellement l'une ou l'autre de ces renonciations.

En face du grand nombre de conventions consulaires et de traités de commerce et de navigation, il est difficile de dire quel est le système le plus employé dans le droit international positif. Quelques-uns des accords internationaux les plus récents comprennent deux dispositions, visant, l'une l'exercice du droit de police, l'autre l'exercice du droit de juridiction. D'autres, au contraire, et c'est peut-être le plus grand nombre, sans employer cependant une formule très claire, contiennent une disposition qui semble limitée au droit de police. C'est à cette seconde catégorie qu'appartiennent les conven

1. Ortolan, Règles internationales et diplomatie de la mer, 4o éd., t. I, p. 276-8. 2. Ainsi les traités de commerce et de navigation entre le Japon et l'Union économique belgo-luxembourgeoise du 27 juin 1924, à l'art. 17 (Dor, XII, 523) et entre le Danemark et la Lettonie du 3 novembre 1924, à l'art. 27 (Dor, XII, 534-5), après avoir édicté des dispositions concernant le droit de police, ajoutent que la juridiction appartiendra aux autorités territoriales dans le cas de désordres que les mêmes autorités jugeraient de nature à troubler ou à pouvoir troubler la paix ou l'ordre.

V.

1925.

12

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