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ARMAND-AUBRÉE,

ÉDITEUR DES OEUVRES DE VOLTAIRE, WALTER SCOTT, ETC.,
RUE TARANNE, N. 14.

149

M DCCC XXXIII.

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827. A M. D'IVERNOIS.

26 avril 1768.

QUOIQUE je fusse accoutumé, mon bon ami, à recevoir de vous des paquets fréquents et coûteux, j'ai été vivement alarmé à la vue du dernier, taxé et payé six livres quatre sous de port. J'ai cru d'abord qu'il s'agissoit de quelque nouveau trouble dans votre ville, dont vous m'envoyiez à la hâte l'important et cruel détail, mais à peine en ai-je parcouru cinq ou six lignes, que je me suis tranquillisé, voyant de quoi il s'agissoit; et, de peur d'être tenté d'en lire davantage, je me suis pressé de jeter mes six livres quatre sous au feu, surpris, je l'avoue, que mon ami, M. d'Ivernois, m'envoyât de pareils paquets de si loin par la poste, et bien plus surpris encore qu'il m'osât conseiller d'y répondre. Mes conseils, mon bon ami, me paroissent meilleurs que les vôtres, et ne méritoient assurément pas un pareil retour de votre part.

A mon départ pour Gisors, regardant cette course comme périlleuse, je vous envoyai un billet de cent francs sur madame Duchesne, afin que s'il mésarrivoit de moi vous n'en fussiez pas pour ces cent francs, dont vous m'aviez fait l'avance. Il vous a plu de supposer que cet envoi vouloit dire: Ne venez pas. Une interprétation si bizarre est peu naturelle: si je ne vous connoissois, je croirois, moi, qu'elle étoit de votre part un mauvais prétexte pour ne pas venir, après m'en avoir témoigné tant d'envie; mais je ne suis pas si prompt que vous à mésinterpréter les motifs de mes amis et je me contenterai de vous assurer, avec vérité, que rien jamais ne fut plus éloigné de ma pensée, en écrivant ce billet, que le motif que vous m'avez supposé.

Si j'étois en état de faire d'une manière satisfaisante la lettre

CORRESPONDANCE. T. IV.

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dont vous m'avez dit le sujet, je vous en enverrois ci-joint le modèle; mais mon cœur serré, ma tête en désordre, toutes mes facultés troublées, ne me permettent plus de rien écrire avec soin, même avec clarté ; et il ne me reste précisément qu'assez de sagesse pour ne plus entreprendre ce que je ne suis plus en état d'exécuter. Il n'y a point à ce refus de mauvaise volonté, je vous le jure; et je suis désormais hors d'état d'écrire pour moi-même les choses même les plus simples, et dont j'aurois le plus grand besoin.

Je crois, mon bon ami, pour de bonnes raisons, devoir renoncer à la pension du roi d'Angleterre; et, pour des raisons non moins bonnes, j'ai rompu irrévocablement l'accord que j'avois fait avec M. du Peyrou. Je ne vous consulte pas sur ces résolutions, je vous en rends compte; ainsi vous pouvez vous épargner d'inutiles efforts pour m'en dissuader. Il est vrai que, foible, infirme, découragé, je reste à-peu-près sans pain sur mes vieux jours, et hors d'état d'en gagner: mais qu'à cela ne tienne, la Providence y pourvoira de manière ou d'autre. Tant que j'ai vécu pauvre, j'ai vécu heureux; et ce n'est que quand rien ne m'a manqué pour le nécessaire que je me suis senti le plus malheureux des mortels: peut-être le bonheur, ou du moins le repos que je cherche, reviendra-t-il avec mon ancienne pauvreté. Une attention que vous devriez peut-être à l'état où je rentre seroit d'être un peu moins prodigue en envois coûteux par la poste, et ne pas vous imaginer qu'en me proposant le remboursement des ports vous serez pris au mot. Il est beaucoup plus honnête avec des amis, dans le cas où je me trouve, de leur économiser la dépense. que d'offrir de la leur rembourser.

Bonjour, mon cher d'Ivernois; je vous aime et vous embrasse de tout mon cœur.

J'espère que vous n'irez pas inquiéter ma bonne vieille tante sur la suite de sa petite pension. Tant qu'elle et moi vivrons, elle lui sera continuée, quoi qu'il arrive, à moins que je ne sois toutà-fait sur le point de mourir de faim, et j'ai confiance que cela n'arrivera pas.

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