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defiance contre lui; ton éloge ne sera point une loi martiale pour dissiper la foule de mes lecteurs. O mon ami! je suis le dépositaire de ta gloire! je la conserverai pure. Le ciel s'est chargé de l'immortalité de ton ame; le patriotisme a prononcé celle de ton cœur. L'immortalité de ton epit m'échut en partage, et c'est la continuité de mon ouvrage qui la lui dispensera..

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L'empire a changé de face: il est temps que république des lettres en change à son tour. Les jours doivent être passés où l'on jugeoit les livres sur les noms; où la dictature des réputations littéraires, toujours mendiées et rarement méritées, prodiguoit les palmes à ses flatteurs et les dédains aux vrais talens. Loin des lettres pour jamais cette aristocratie d'esprit, si meurtrière pour les sciences, si pernicieuse pour les peuples. Laissons aux nations dégradées à pâlir sur le vernis brillant du style; laissons-les ouvrir un livre pour y chercher. le rire et jamais la raison, le goût et jamais les principes, les fleurs et jamais les fruits. Souvenons-nous que la vérité est une; que l'homme, qu'elle embrase assez pour avoir le courage d'écrire. sous sa dictée, est celui-là seul qui mérite l'auguste, titre d'écrivain. Et comme cette vérité est l'éternelle compagne de la liberté, je te donnerai donc,

Loustalot! des successeurs dignes de toi; des successeurs que je n'irai point choisir dans ces manufactures d'encens et de parfums dont la ré-, publiques des lettres s'honoroit tant jadis; des successeurs que je n'irai point choisir. parmi les lettrés qu'on ne voit maintenant à genoux devant la patrie, que parce que la pourpre des rois, des prê-. tres et des grands est aujourd'hui trop courte pour que leur bouche esclave puisse la baiser sur les, pavés des palais; mais des successeurs que je pren. drai parmi ces hommes dont l'apre génie est devenu d'acier sous les marteaux du despotisme, qui ne connurent les Sejan que par leurs injustices les grands que par leur abandon, le peuple que

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par ses larmes, et le besoin d'écrire que par humanité; ces hommes enfin, qui sont nés avec la liberté de la France, et qui out trouvé leurs titres académiques gravés sur les marches de l'autel de la fédération.

Loin de nous, sur-tout, le vil et sordide intérêt qui met à l'encan les lumières que l'on doit au monde, qui, vraiment assassin de la liberté, oseroit se repaître de l'espoir de la décadence d'un ouvrage patriotique, et feroit un agiotage de l'attention des lecteurs! Que celui là, s'il existoit, soit à jamais rayé de l'honorable liste où sont inscrits les noms des journalistes patriotes. Soyons beaucoup, nous ne serons jamais trop. Le champ est assez vaste pour ne pas nous heurter, les devoirs assez nombreux pour nous les partager, l'emploi trop noble pour permettre à la jalousie d'ea approcher. N'oublions pas que nous veillons autour du berceau de la liberté, et que la postérité nous demandera compte de son enfance.

Maintenant, ô ma patrie! que je t'ai rendu ce que je te devois en te mettant avant mon ami; maintenant que par le tableau de mon courage et de mes ressources j'ai prémuni mes lecteurs contre un découragement pernicieux à la chose publique; maintenant que j'ai déjoué la politique de l'aristocratie, dont la coupable adresse chargea les cent bouches de la renommée de la nouvelle de la mort de Loustalot, et se flattoit déjà d'une victoire insigne, si par là sa perfidie m'arrachoit un seul de mes auditeurs; maintenant, ô ma patrie! souffre que je pleure avec toi mon frère d'armes et mon ami. Hélas! il est le funèbre objet du spectacle le plus auguste pour la philosophie! La mort d'un citoyen mise au nombre des calamités publiques, c'est le premier triomphe de la liberté sur l'antique corruption des mœurs! O Loustalot! tu vécus assez grand pour n'être pas au-dessous de l'époque!

Ce 12 octobre 1790. Signé, PRUDHOMME.

Affaire de Saint-Domingue; colonies françaises.

C'est une tâ he bien pénible à remplir pour un ami de la vérité, que celle d'écrire l'histoire de son pays. Environné de préjugés de toute espèce égaré souvent par des considérations personnelles, comment parvenir à cette heureuse impassibilité qui le rend inaccessible a tous les partis, première qualité de celui qui se charge d'instruire ses concitoyens? Comment se garantir des dangers de l'erreur sur des faits qui se passent au-delà des mers, à deux mille lienes de nous, et dans un moment de révolution, surtout lorsque ces faits se trouvent transmis par des hommes vendus ou uleérés, accoutumés à rejeter sur la faction opposée toute la défaveur de leur cause?

L'assemblée nationale elle-même n'a eu que des notions très-imparfaites sur l'affaire de Saint-Domingue, et M. Barnave est bien loin d'avoir dit là-dessus toutes les vérités. Pour nous, qui n'avons jamais sacrifié à de vaines convenances, essayons de déchirer sans ménagement le voile qui les enveloppe; attachons-nous sur-tout à ces principes måles et sévères de liberté dont nous avons toujours, fait profession.

On se rappelle (1) que l'assemblée générale de Saint-Domingue, forcée de s'exiler de la Colonie', s'étoit embarquée sur le vaisseau le Léopard, qui avoit fait voile ensuite pour l'Europe. Son arrivée à Brest fut marquée par l'insurrection des matelots' de l'escadre, qui commença par le vaisseau qui l'avoit amenée. Mandée à la suite de l'assemblée nationale, elle a paru à la barre. L'orateur qui a parlé en son nom, a rejeté sur le ministre de la marine et sur le gouverneur général tous les

(1) Voyez le No. 63.

troubles qui règnent dans la colonie; il a entrepris de justifier ses collègues de l'accusation d'avoir voulu se rendre indépendans. Leur apologie n'a pas été goûtée, et leur conduite a paru si répréhensible à l'assemblée nationale, que, sur le rapport de M. Barnave, elle a rendu le décret suivant:

« L'assemblée nationale considérant que les prin cipes constitutionnels ont été violés, que l'exécution de ses décrets a été suspendue, et que la tranqualité publique a été troublée par les actes de l'assemblée générale séante à Saint-Marc, et que cette assemblée a provoqué et justement encouru sa dissolution;

Considérant que l'assemblée nationale a promis aux colonies T'établissement prochain des loix les plus propres à assurer leurs propriétés ; qu'elle a, pour calmer les alarmes, annoncé d'avance l'intention d'entendre leur voeu sur tous les changemens qui pourroient être proposés aux loix prohi bitives du commerce, et la ferme volonté d'établir comme articles constitutionnels dans leur organi sation, qu'aucunes loix sur l'état des personnes ne seront décrétées pour les colonies, que sur la demande formelle et précise de leurs assemblées coloniales.......

«Declare les prétendus décrets et actes émanés de l'assemblée constituée à Saint-Marc sous le titre d'assemblée générale de la partie française de SaintDomingue, attentatoires à la souveraineté natio nale et à la puissance législative; décrète qu'ils sont nus et incapables de recevoir aucune exécution.

« Déclare ladite assemblée déchue de tous ses pouvoirs, et tous ses membres dépouillés du caraetère de députés à l'assemblée coloniale de SaintDomingue.

« Déclare que l'assemblée provinciale du Nord, les citoyens de la ville du Cap, la paroisse de la Croix-des-Bouquets, et toutes celles qui sont restées invariablement attachées aux décrets de l'as

semblée

semblée nationale......; et tous les citoyens qui ont agi dans les mêmes principes, ont rempli glorieusement tous les devoirs attachés au titre de Français, et sont remerciés au nom de la nation par l'assemblée nationale.

« Déclare que le gouverneur général de SaintDomingue, les militaires de tout grade qui ont servi fidélement sous ses ordres, et notainment MM. Vincent et Mauduit, ont rempli glorieusement les devoirs de leurs places.

« Décrète que le roi sera prié de donner des ordres pour que les décrets et instructions des 8 et 28 mars dernier reçoivent leur exécution dans la colonie de Saint-Domingue: qu'en conséquence il sera incessamment procédé, si fait n'a été, à la formation d'une nouvelle assemblée coloniale, suivant les règles prescrites par lesdits décrets et instructions, etc. ».....

D'abord il nous parolt très-douteux que l'assemblée générale de Saint-Domingue représente réellement la Colonie. Il y a à Sai it-Domingue plus de trente mille citoyens blancs, sans compter ix ou sept mille gens de couleur et nègres bres. Cependant la confirmation de l'assemblée n'a eu lieu qu'à la pluralité de quatre-vingt-dix-sept suffrages contre quatre-vingt-cinq; ce qui suppose une disproportion immense avec la population de l'ile. Le premier tort de l'assemblée coloniale est donc un défaut de pouvoir pour représenter la colonie; vice radical qui détruiroit toutes ses opérations, quand même elles auroient été conformes aux décrets de l'assemblée nationale.

Bien loin de respecter les instructions qu'elle avoit reçues, elle les a foulées aux pieds avec la dernière audace. Sitôt qu'elle a été constituée, e le s'est arrogée la puissance législative, elle a envahi le pouvoir exécutif; elle a affecté une espèce de N. 66.

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