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C'est trop accorder, que de consentir à voir dans l'assemblée nationale la tête de la nation, et d'ajouter que le roi en est le bras. Le monarque et les députés n'en sont que les représentans, mais de même que dans l'hiérarchie de l'église, le pape, qui s'intitule vicaire du Christ, n'a pas encore osé se dire le Christ lui-même, le roi et l'assemblée nationale ne peuvent non plus s'attribuer les droits effectifs du souverain qu'ils ne font que représenter. L'ombre n'est pas tout-à-fait le corps, dont elle n'offre que le profil.

Malheur à un peuple chez lequel il n'y a pas unité de puissance malheur à un peuple qui partage sa souveraineté, et qui souffre dans son sein deux pouvoirs égaux en force au sien! malheur à une nation qui se laisse éclipser par ceux qu'elle charge de la représenter, et qui a la foiblesse de céder des portions de son autorité suprême dont elle ne doit communiquer que des émanations. Malheur à elle, si elle se lasse de régner, et s'endort sur la foi de ses mandataires.

On craint la rivalité des deux pouvoirs législatif et exécutif. Vraiment le peuple auroit grande raison d'appréhender d'être froissé et moulu entre ces deux corps rivaux, entre ces deux rouages, pour peu qu'ils s'engrainassent mal, s'il se désaisissoit des deux principaux attributs de sa souveraineté, le veto et la sanction, s'il ne subordonnoit pas les deux pouvoirs représentatifs de sa force et de sa souveraineté à sa volonté suprême et toujours active. Il faut que le peuple réalise ce qu'on nous raconte de Dieu; il faut que son action se fasse sentir sans intervalle; il faut que le peuple soit présent partout. On ne compose point, on ne temporise point avec lui; lui seul est maître; et lui seul a droit d'être absolu et arbitraire; il n'a point de compte à rendre, point d'ordre à recevoir; le bon droit est toujours de son côté : Vox populi, vox Dei: ce proverbe latin exprime un grand

faut prendre garde à tout avec le pouvoir éxecutif, dont funique étude a pour but de regagner pied à pied le terrain qu'il a perdu. Exigeons donc que le typographe du roi, en tête de toutes les proclamations et lettrespatentes, place en double canon ces deux mots : décret national.

No. 72:

E

sens, une grande vérité, que l'expérience n'a pas encore démentie. La justice naturelle se trouve toujours au milieu d'un grand concours d'hommes livrés à eux-mêmes. Une multitude d'hommes abandonnés à eux-mêmes rencontre toujours ces principes éternels d'équité que ne trouve pas toujours l'élite d'une nation assemblée par représentans. Presque toutes les insurrections subites et non méditées portent un caractère de raison qui justifre les excès qui en sont inséparables. Et quel peuple est plus digre que la nation française d'exercer par luimême la sanction et le veto? La journée du 14 juillet est le moins équivoque de tous les titres. Quelles que puissent être les suites d'un soulèvement général, quard toute une ville n'a qu'un sen! cri, quand tout un peuple n'a qu'un seul mouvement bien déterminé; quand il y a unité dans l'insurrection, la bonne cause est toujours celle du peuple; le peuple a toujours raison; il est tout à la fois sa partie et son juge. La justice est toujours où se trouve la volonté générale. Une cité telle que Paris ne s'ébranle qu'en conséquence d'une raison suprême qui fait taire toutes les loix. Toute considération particulière cesse devant la détermination subite d'un grand peuple qui n'est point divisé en deux ou plusieurs factions égales en force. Toute une grande ville qui se soulève en même temps, exerce sur elle-même la grande magistrature de laquelle on n'appelle point. Il n'y avoit qu'un vœu le 14 juillet; et ce vou, depuis plusieurs semaines, étoit dans tous les cœurs, présent à toutes les pensées. Malédiction à ceux qui n'ont pas voulu reconnoître alors, et qui persistent encore à décliner la souveraineté du peuple, et ce grand veto absolu que la nation française jeta sur les priviléges, sur la distinction des ordres, sur tous les attentats commis trop long-temps, et trop long-temps impunis, contre 24 millions d'hommes! Malédiction à ceux qui dénient le droit de sanction à un grand peuple qui a su l'exercer avec tant d'énergie et de sagesse, dans un temps où il manquoit encore des lumières indispensables aux hommes en société qui se proposent de se gouverner eux-mêmes.

Le peuple (ou la nation) est le seul législateur suprême; à lui seul appartient de s'imposer des loix, ou tout au moins de sanctionner celles qu'il permet qu'on lui impose. Les arrêtés de l'assemblée nationale, qu'elle qualifie de décrets, ne sont que le conevas des arrêts

du peuple, tous définitifs et sans appel: le législateur seul, assemblé tout entier, peut les modifier, et changer ou détruire son propre ouvrage. Ces principes sont d'autant plus précieux à rappeler, que les plus grands maux découlent nécessairement de leur transgression.

Telle est donc toute la hiérarchie politique, pouvoir exécutif soumis aut législatif; et ces deux pouvoirs à la volonté générale du peuple.

Bonne nation! le complément de ta liberté est dans la plénitude de ta souveraineté. Le pouvoir suprême est chose indivisible et inaliénable; de même qu'on ne peut être libre à moitié, il faut aussi être souverain tout-à-fait. Tout doit se faire dans l'empire, non-sculement ca ton nom, mais par ton propre vouloir matériellement manifesté. Il est important que le dernier des individus qui te composent, sache qu'il fait partie de la souveraineté; qu'il a voix délibérative dans toutes les déterminations politiques; qu'on ne peut rien sans Jui, et que s'il a fait à la société le sacrifice de quelques-uns de ses droits naturels, il en est dédommagé par l'exercice des droits de citoyen.

Cette grande idée d'une souveraineté nationale toujours agissante, qui se communique jusqu'aux dernières classes de l'état; idée d'autant plus heureuse, qu'elle est prise dans la nature, dont le dernier des atomes est une fraction rigoureusement nécessaire ; cette grande idée, dont l'application est de rigueur, constituie véritablement ce qu'on appelle la majesté du peuple français; et cette dernière expression, empruntée aux Romains, est un non-sens, si le peuple français ne conserve pas son double droit de veto et de sanction, et si en le conservant il ne l'exerce pas.

Il importe sans doute au peuple d'avoir d'aussi bonnes loix que de bons juges. Bons cioyens! dites! n'y a-t-il pas un peu d'inconséquence de votre part à recevoir sans examen les loix toutes faites de votre assemblée, et à faire vous-mêmes vos juges d'après un choix réfléchi? Pourquoi vous en rapporter à vos représentans sur la bonté de vos loix, et ne vous en rapporter qu'à vous sur la bonté de vos magistrats? Plus d'ensemble dans votre conduite ne compromettroit pas la belle révoJution que vous avez si glorieusement commencée. Il faudroit pourtant vous en tenir à l'un ou à l'autre de ces deux parts: ou bien vous soumettre à cette foi

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implicite que vos représentans semblent exiger de vous, ou bien mettre précieusement en réserve cette faculté qu'on voudroit vous enlever, de ratifier vous-même les loix que vous avez données à délibérer à vos délégués.

Remettons donc nos députés à leur place. Nous leur avons dit en partant: allez nous préparer un code digne d'une nation libre et souveraine.

Qu'ils nous disent, à mesure qu'ils avancent dans la carrière législative voilà le résultat de nos lumières. Pesez nos décrets dans votre sagesse, et imprimez le caractère de loix à ceux que vous en jugerez dignes.

Ce n'est pas dans cet esprit que sont conçus les adresses et actes d'adhésion dont la lecture ouvre presque toutes les vespéries de l'assemblée nationale. La plupart de ces pièces d'éloquence, in genere laudativo, sont rédigées d'un stile d'esclaves. On n'y parle que de soumission aveugle, de dévoûment sans bornes. On ne s'exprimoit pas autrement à la cour de Louis, dit le grand.

Bonne nation! seras-tu donc toujours la même, toujours extrême? Quand donc te familiariseras - tu avec ces formes sévères, ce ton ferme que devroient t'inspirer le sentiment profond de tes forces et l'amour réfléchi de ton indépendance? Quand donc feras-tu disparoître les traces honteuses de ces chaînes que tu as traînées si Jong-temps? Quand te fixeras-tu à la hauteur où l'on t'a vu monter avec tant de courage et de rapidité?

La loi est l'expression de la volonté générale. De ce principe solennellement reconnu, découlent la sanction et le veto national et cependant, le corps législatif y déroge tout de suite dans ce qui suit immédiatement :

Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentans, à sa formation ». Cela n'est pas exact; mais il n'y a qu'un monosyllabe (1) à changer. Il falloit dire personnellement ET par leurs représentans. Car non seulement tous les citoyens ont

(1) Qu'on y prenne garde. C'est en dénaturant les mots qu'on vient à bout de dénaturer les choses. Que de procès dans les familles, à cause d'une expression glissée pour une autre, à dessein, dans un contrat! C'est bien d'une autre conséquence dans le contrat social d'une grande nation,

droit de concourir personnellement à la loi; mais encore ils doivent exercer ce droit, dont leurs représentans ne les dispensent pas. Leur acceptation personnelle est de rigueur. Que la formation, c'est-à-dire, apparemment la préparation de la loi, soit l'ouvrage des représentans, à la bonne heure; mais chaque citoyen a le droit non seulement de concourir à cette formation, mais encore de la sanctionner, c'est-à-dire, de reconnoître par luimême que la loi est véritablement l'expression de sa volonté.

Mais, objectera-t-on, comment recueillir toutes les voix d'une grande nation?

La nouvelle division du royaume rend des plus faciles la collecte des voix de 25 millions de votans. Et d'ailleurs, comment sous l'ancien régime, venoit-on à bout de percevoir les impôts, jusque dans leurs plus minces ramifications? Echappoit-il beaucoup d'individus à l'œil vigilant des receveurs? Sans doute qu'on aura moins de peine à faire dire à chaque citoyen son mot sur la chose publique, qu'on en avoit à en exiger une taxe arbitraire.

Et les impositions, dont on nous fait déjà pressentir un surcroît, comment s'y prendra-t-on pour les réaliser? De quel front se présentera-t-on à la porte de la chaumière du pauvre? Contribuez, lui dira-t-on, selon vos forces, à la force publique qui vous protège. Soumettez-vous à la loi, qui n'est que l'expression de la somme totale des volontés, où la vôtre se trouve comprise. Paycz l'impôt consenti par vous, et que vous même avez décrété par l'organe de vos représentans.

De mes représentans ! répliquera le pauvre, sur le seuil de sa chaumière. Il y a long-temps qu'ils ne me représentent plus. Il y a long-temps que je leur suis devenu étranger. Nous ont-ils rendu compte de ce qu'ils ont fait? Nous ont-ils soumis leur travail? Nous a-t-on demandé notre consentement définitif? Dans nos assemblées primaires, leurs décrets ont-ils été exposés à l'œil scrutateur de ceux qui n'ont juré d'obéir à la loi, qu'autant qu'elle seroit l'expression naïve de notre vœu?

Est-ce pour se mettre au-dessus de ces reproches et hors d'atteinte des suites, que nos représentans se sont attribué l'inviolabilité, qui seule appartient à la nation, après en avoir fait part au roi. Comment n'ont-ils pas vu, qu'en cumulant sur la tête du chef, le veto, la sanc

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