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fendent, et l'on parvient à dégager l'assassin, qui est conduit à l'hôtel de ville au milieu d'une escorte de gardes rationales. On lui donne une garde composée de soldats de Mestre-de-Camp et du régiment du Roi, et sa personne est en sureté. Le 26, à sept heures du soir, Malseigne donne ordre à Château-Vieux de partir pour Sarrelouis. La circonstance n'étoit pas favorable, aussi les soldats refusèrent-ils absolument.

Jusque-là les autres régimens avoient été tranquilles; et voici la manière dont on s'y prit pour les mettre en mouvement. Quelques membres du directoire, de concert avec Malseigne, résolurent d'appeler à Naucy les gardes nationales du voisinage, sous prétexte de contraindre le régiment de Chateau-Vieux à partir. Le sieur Desmottes, aide-de-camp de M. la Fayette, avoit des lettres de son général toutes prêtes pour les inviter; illes fit partir dans la nuit, et le lendemain 27 elles furent accompagnées dun ordonnance du directoire du département, par laquelle les gardes nationales du département de la Meurthe furent requises de se rendre à Nancy sans délai (1), pour préter main-forte à M. Malseigne. Le même jour les gardes nationales arrivèrent au nombre de 4000 hommes on leur donna des logemens; on leur distribua des munitions.

Il n'en fallut pas davantage pour causer de l'ombrage aux régimens du Roi et de Mestre-de-Camp,

(1) On doit s'étonner de ce que M. de la Fayette a tenu constamment auprès de Malseigne et de Bouillé, deux de ses observateurs. On doit s'étonner de ce que cet homme, qui a fait à l'assemblée nationale la motion que nul commandant des gardes nationales ne pûr l'être en plusieurs départemens, se mêle d'étendre son influence jusqu'en Lorraine, et de faire mouvoir, par le moyen de ses aidesde-camp, les soldats citoyens de cette province. Cela seul suffiroit pour prouver le concert qui régnoit entre lui, la Tour-du-Pin, et son cousin Bouillé.

qui n'avoient pris aucune part à la querelle des Suisses avec M. Malseigne. Le bruit se répandit que les gardes nationales avoient été convoquées pour marcher contre la garnison entière; et ce qui contribua le plus à faire fermenter les têtes, ce fut le silence affecté de la municipalité et des directoires, qui refusèrent de prendre aucune mesure pour instruire les soldats et les citoye de ́ Nancy, des motifs de leur réquisition. Les commissaires excusent les administrateurs, sous le prétexte que les soldats de Mestre-de Camp et du régiment du Roi s'étant montrés indisciplinés, il n'étoit pas prudent de compter sur eux, pour les employer à faire sortir de la ville le régiment de Chateau-Vieux.

Mais quand cela seroit, les corps administratifs de Nancy n'en sont pas moins oupables d'avoir laissé leurs concitoyens et les soldats dans une incertitude désolante sur la destination des gardes nationales étrangères; ils n'en sont pas moins coupables d'avoir refusé d'en instruire les députés du régiment du Roi et de Mestre-de-Camp; ils n'en sont pas moins coupables de s'être refusés à la convocation du conseil général de la commune, sous le prétexte spécieux et insultant qu'eux seuls étoient responsables de la tranquillité publique.

C'est alors que le peuple et les soldats se sont ausorisés des refus et du silence obstiné de la municipalité et des directoires, pour se livrer à des conjectures qui n'étoient pas sans fonde

ment.

Le bruit se répandit que Malseigne étoit un faux général, qui n'étoit muni d'aucun pouvoir, et qu'il étoit d'accord avec Bouillé pour faire une contrerévolution. En effet, les pouvoirs de Malseigne n'avoient point été notifiés aux soldats de la garnison, et les citoyens qui étoient à Nancy, ainsi que les étrangers qui y étoient accourus, n'en avoient aucune connoissance.

L'agitation s'accrut à un tel point, que la mu

nicipalité se crut obligée de défendre les attrou pemens; mais on se mocqua de la défense, les attroupemens continuèrent; et comme si ces indignes municipaux avoient pris plaisir à voir augmenter une effervescence, dont ils connoissoient parfaitement la cause, ils continuèrent à laisser le peuple dans la même incertitude, au sujet de leurs préparatifs 'hostiles.

Les commissaires prétendent que plusieurs citoyens prirent connoissance à l'hôtel de ville do la réquisition du directoire, et qu'ils auroient pu la répandre parmi le peuple. Cette observation ne prouve rien, parce que tant que cette réquisition n'étoit pas proclamée, le peuple étoit dans l'ignorance; et il falloit se servir des formes légales pour lui dessiller les yeux.

Alors le général Malseigne, craignant pour sa vie, se sauva à Lunéville, et Nancy fut plongé dans le plus grand désordre. On surprit, sur un cavalier de maréchaussée, des lettres écrites par le prévôt général à M. de Bouillé, dans lesquelles il étoit question du projet de disposer des maré chaussées, pour conduire les soldats du régiment de Château-Vieux hors du royaume. La commotion est devenue générale; tout le peuple a pris le fait et cause des soklats, et les gardes nationales étrangères sont entrées dans les mêmes dispositions.

Malseigne a été poursuivi sur la route de Lunéville par des soldats de Mestre - de - Camp; mais étant arrivé dans la ville quelques minutes avant eux, il fit volte face à la tête de quelques carabiniers; la plupart des poursuivans furent blessés et faits prisonniers, le reste se sauva à Nancy.

La garnison résolut alors de marcher vers Lunéville, pour se venger des carabiniers et amener le sieur Malseigne mort ou vif. Une partie des régimens et quelques gardes nationales se réunirent en corps d'armée; ils allèrent camper sur la hauteur de Flinyal, et se disposoient à entrer

dans la ville, lorsqu'ils reçurent une députation de la municipalité. Après quelques, pourparlers, ils nommèrent des députés qui se réunirent à la maison commune avec ceux des carabiniers.

Il fut convenu que le sieur Malseigne se rendroit à Nancy, dès qu'il en seroit requis par le corps municipal de cette ville; qu'il s'y rendroit escorté par douze carabiniers, et deux fusiliers choisis dans chacun des trois régimens de Nancy, et dans la garde nationale;

Que trois heures après son départ, l'armée de Nancy partiroit aussi pour se rendre dans cette ville; et qu'il ne seroit attenté ni à la personne, ni à la liberté de M. Malseigne, jusqu'à ce que l'assemblée nationale eût statué sur les griefs respectifs.

Le sieur Malseigne, prévenu de cet accord, vint lui-même à l'hôtel de ville; et invité par tous, il signa l'acte qui en exprimoit les conventions.

On fit partir alors un cavalier de Mestre - deCamp, pour inviter la, municipalité de Nancy à donner la réquisition nécessaire. Celle-ci renvoya la demande au département qui n'étoit point assemblé. Oa perdit le temps en messages et ea débats oiseux, et on finit par ne rien faire.

Cependant le sicur Malseigne, sortant de la maison commune de Lunéville, se disposoit à retourner au Champ-de-Mars, où les carabiniers étoient rangés en bataille, lorsqu'il fut arrêté par quelques soldats de Nancy, qui le contraign rent de marcher du côté de cette ville.

Il étoit à peine hors de Luneville, qu'il parvient à échapper à ses conducteurs. De deux coups de pistolet, il tue deux carabiniers qui l'accompagnoient, et s'enfuit à toute bride, par des chemins de traverse, jusqu'au Champ de Mars. La fuite du sieur Malseigne devient le signal d'un combat entre les carabiniers et des soldats de l'armée de Nancy. Vingt-cinq carabiniers sont tués ou blessés. Arrivé au Champ-de-Mars, il fut très-mal reçu

de

de ses soldats, il fut forcé de retourner à la mu nicipalité, et de là il se rendit à Nancy selon sa promesse, accompagné d'un détachement de carabiniers.

Nous remarquerons ici que les commissaires. semblent révoquar en doute le fait des deux carabiniers assassines par le sieur Malseigne; mais il est confirmé par deux dépositions faites à la municipalité de Lunéville, et par celle d'un soidat suisse ces dépositions ont été faites par des témoins oculaires.

Le sieur Malseigne traversa les rues de Nancy: il vint jusqu'au quartier du régiment du Roi, au bruit des injures et des imprécations du peuple; et il faut avouer que ce peuple a été bien modéré, si on songe à la peine que méritoit ce général, après s'être rendu coupable de plusieurs assassinats sur les Suisses et les carabiniers. On se contenta de lemprisonner.

A cette époque, c'est à dire, le 30 du mois d'août, on apprit à Nancy l'approche de l'armée de Bouillé. Cette nouvelle combinée avec les bruits de contre-révolution, avec les atrocités de Malseigne, ne fit qu'aigrir de plus en plus les esprits. Il étoit plus que jamais temps de détromper le peuple; mais la municipalité, de concert avec les directoires, ne chercha qu'à augmenter ses craintes et ses défiances. On distribut des cartouches; on ordonna des préparatifs pour soutenir le siége; et en même temps on députa à M. de Bouillé, pour le requérir de faire retirer ses troupes. Le département avoit même envoyé sur toutes les routes des gardes citoyennes, pour sommer les régimens qui venoient joindre Bouillé de rebrousser chemin. Ce fut le directoire qui fit lui-même placer des canons à la porte de la ville. Ainsi les corps administratifs de Nancy, d'accord avec Bouillé, fai oient semblant de se mettte en défense contre lui. Ils traitolent comme ennemi celui que dans le fond de l'ame ils regardoient comme leur libérateur.

No. 71.

B

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