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Le jury une fois épuré, et réduit à douze jurés par le moyen des récusations, le procès est dit étre ouvert, et l'accusateur produit les preuves de son accusation. Les témoins déposent en présence de l'accusé; il peut leur proposer des questions, produire même des témoins en sa faveur et les faire déposer de ses faits justificatifs. Son conseil peut lui indiquer les questions à faire, ou même les faire pour lui.

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Telles sont les précautions que la loi a prises dans les cas d'accusation ordinaire; mais pour le crime de lèse-majesté et autres de cette nature qui supposent un parti et des accusateurs puissans, la loi a donné à l'accusé de nouvelles res

sources.

D'abord il a le droit de récuser péremptoirement jusqu'à 35 jurés; il peut choisir deux conseils pour l'assister pendant tout le temps de la procédure. Pour empêcher que les témoins qu'il a produits ne soient écartés, les tribunaux doivent lui accorder, pour les obliger à paroître, tous les moyens qui sont usités en pareils cas. On doit lui livrer dix jours avant le jugement, en présence de deux témoins et pour cinq schelings (1), une copie de la procédure, qui doit contenir tous les faits sur lesquels porte l'accusation, le nom, la demeure et la profession des jurés qui doivent composer l'assemblée, et même de tous les témoins que l'on se propose de produire contre lui.

Sitôt que sa procédure est instruite, et après que l'accusateur et l'accusé ont respectivement donné leurs raisons, le juge prend la parole pour

notre n°. 68, que l'accusé peut récuser 35 jurés sans donner ses motifs. Cela est vrai pour l'accusation du crime de lèse-majesté.

(1) Cinq schelings font environ six livres de notre monnoie.

récapituler les faits et les moyens des parties. II explique aux jurés ce qui constitue l'état de la question; il leur donne son opinion, non sur le fait, mais sur le point de droit qui peut servir à les guider dans leur décision. Les jurés se retirent ensuite dans une chambre voisine, et ils doivent y rester sans feu, sans boire ni manger, jusqu'à ce qu'ils soient d'accord entre eux sur le jugement qu'ils ont à rendre. Leur déclaration doit porter précisément que l'accusé est coupable où non du fait dont on l'accuse. Enfin la maxime fondamentale de ce genre de procédure est que les accusés, pour condamner, doivent être unanimes.

Et comme le principal but de la procédure par jurés est de soustraire les accusés à la décision des personnes revêtues d'une autorité permanente, le juge n'a que voix consultative, et la déclaration des jurés doit porter sur le point de droit qui se trouve immédiatement joint au fait.

Le bill d'indictement ou d'accusation doit avoir absolument ces deux choses pour objet. Ainsi, une plainte pour meurtre doit porter que le crime a été commis de malice délibérée. Une accusation de vol doit porter également, que la chose a été prise avec intention de voler. Animo furandi.

On a si fort pour maxime qu'une assemblée de jurés doit décider du fait et du droit, que si un recueil de suffrages n'avoit pour objet que la simple réalité du fait à la charge de l'accusé, le juge ne pourroit infliger aucun châtiment. Voilà pourquoi, dans le procès de Voodfall, qui avoit été accusé d'avoir imprimé la lettre de Junius au roi, les jurés ayant prononcé coupable d'avoir imprimé et publié seulement, le prisonnier fut renvoyé absous.

Si donc la sentence porte, non coupable, l'accusé est mis en liberté, et ne peut, sous aucun prétexte, être jugé de nouveau, pour raison du même crime. Si, au contraire, elle porte, coupable, alors le juge prononce la peine que la loi

décerne. Il doit suivre cette loi à la lettre ; aucune interprétation vague ne peut avoir lieu. Quelque criminel que fût un fait, il resteroit impuni, s'il se trouvoit n'entrer expressément dans aucun des cas sur lesquels la loi prononce. Le mal de l'impunité d'un crime n'a pas paru, dans la législation anglaise, pouvoir entrer en comparaison avec le danger de compromettre la sureté d'un citoyen, par une condamnation arbitraire.

Ce n'est pas tout; pour ôter jusqu'à la possibilité des abus, c'est encore un usage invariable que la procédure soit publique. Le coupable ne comparoit, et ne répond que dans les lieux dont l'accès est ouvert à tout le monde; et les témoins, lorsqu'ils déposent; le juge, lorsqu'il donne son opinion; les jurés, lorsqu'ils rendent leur sentence, sont tous sous les yeux du public. Enfin, le juge ne peut changer ni le lieu, ni la manière de l'exécution d'un jugement; et le sheriff qui feroit ôter la vie à un homme d'une manière différente de celle que la loi prescrit, seroit coupable de meurtre, et poursuivi comme tel.

Disons encore que, par l'institution des jurés, le pouvoir judiciaire est absolument hors des mains du pouvoir exécutif; il est hors des mains du juge lui-même. Et ces hommes, auxquels la loi a donné exclusivement le droit de décider qu'il y a lieu à infliger une peine, ces hommes, sans le suffrage desquels les deux pouvoirs sont condamnés à l'inaction, ne forment pas entre eux une assemblée permanente, où ils aient eu le temps de voir en quoi leur puissance peut servir à leur intérêt particulier. Choisis par le sort sur la masse du peuple, ils n'ont pas pu prévoir leur élévation; l'esprit de corps ne peut donc influer

sur eux.

Les nombreuses récusations, déroutant les manœuvres de l'intrigue et excluant les passions particulières, l'unique sentiment qui puisse diriger les jurés, dans l'instant de pouvoir qui leur est

confié, est uniquement le souvenir que leur sort, comme citoyens, est lié à celui de l'homme sur le destin duquel ils vont prononcer.

Enfin, cette heureuse institution est telle que le pouvoir judiciel, ce pouvoir, par lui-même si formidable pour la liberté, qui dispose sans résistance de la vie et de la fortune des citoyens, et qui, malgré toutes les précautions qu'on peut prendre pour le restreindre, est toujours un peu arbitraire; ce pouvoir, disons-nous, reste avec toute son activité, et n'est cependant entre les mains de personne.

Nous ajouterons que, dans le cours ordinaire des choses, l'instinct de l'humanité dirige toujours les décisions des jurés. Ce n'est qu'en tremblant qu'ils exercent leurs redoutables fonctions ; et dans les cas douteux, ils penchent toujours du côté de la douceur. Si étant d'accord sur le fait, ils sont embarrassés sur le degré de crime qui s'y trouve attaché, ils rendent alors ce qu'on appelle un verdict spécial; et alors ne prononçant que sur la réalité du fait, ils laissent la chose à la prudence du juge, qui, lui-même, craignant d'infliger une peine à un innocent, renvoie l'accusé

absous.

Souvent, lorsque par un verdict général, l'accusé est reconnu coupable, les jurés le recommandent à la merci du roi; ce qui ne manque jamais d'opérer tout au moins une commutation de peines. Dans le cas d'absolution, on ne peut jamais ordonner une nouvelle procédure par jurés. On l'accorde cependant dans le cas d'une condamnation rendue sur pièces fausses. Enfin, les fonctions des jurés finies, ils rentrent dans la classe ordinaire des citoyens ; et comme nous l'avons déjà dit, ils ne peuvent jamais être inquiétés pour raison de leurs jugemens.

Voilà, citoyens, une esquisse de la procédure par jurés. Nous disons une esquisse, car il fau droit un gros volume pour traiter à fond une

matièro

matière si importante. L'organisation du pouvoir judiciaire en matière criminelle touchoit de trop près à vos intérêts, pour nous permettre de la passer sous silence. Il falloit vous éclairer et vous prémunir d'avance sur la difformité des plans qu'on vous présenteroit jugez-en par celui que vous a donné M. Chapelier. On vous offrira des jurés de sa façon, et ce n'est pas cette espèce de procédure qu'il vous faut; elle est trop absurde et trop défectueuse.

Demandez à grands cris la procédure anglaise ; c'est la seule qui protége la liberté et la sureté du citoyen. Assemblez-vous; réunissez-vous dans vos communes; faites connoître votre vœu ; inondez l'assemblée nationale de pétitions. N'oubliez pas sur-tout d'insister, et sur l'application littérale de la loi criminelle et sur l'unanimité des jurés pour la sentence de condamnation. Sans la première, Vous êtes soumis à l'arbitraire le plus effrayant; faute de l'unanimité, vous êtes exposés aux dangers d'une majorité prévenue (1).

Quelques écrivains anglais, vendus au parti mi nistériel, ont à la vérité déclamé contre l'unanimité des jurés. Ils ont osé dire qu'elle favorisoit l'impunité des crimes, et qu'ils étoient plus communs en Angleterre que par-tout ailleurs. Mais ce raisonnement n'est qu'un sophisme. Ce n'est pas à une institution sage en elle-même, et protec trice de la liberté individuelle, qu'il faut attribuer

(1) Nous répétérons à ce sujet un trait bien connu, déjà rapporté dans notre, n°. 37. « Un citoyen anglais étoit accusé d'avoir assassiné un de ses voisins. Des témoins, ou séduits ou abusés, le chargeoient de l'assassinat. Le crime étoit évident aux yeux de onze jurés. Le douzième s'obstina à soutenir qu'il étoit innocent, et lui sauva la vie. C'étoit ce douzième juré qui étoit l'auteur de l'assassinat imputé à l'accusé. Ce cas est singulier; mais il n'est pas le seul qui fonde la nécessité de l'unanimité des jurés »

No. 69.

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