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rivalité avec le corps législatif de France, qu'elle a copié jusques dans la formation de ses comités. Elle a institué un comité des rapports, ua comité des finances, des affaires extérieures, enfia, un comité des recherches. De sa propre autorité elle a établi des municipalités sur des bases absolument différentes de celles adoptées par la métropole; elle a investi ces municipalités du pouvoir militaire, elle leur a donné la police des ports, et peu s'en est fallu qu'elle n'en fi des corps judi ciaires pour décider les différens de la vie civile.

Ce n'est pas tout, quoique les farines fussent à bon marché, quoique le prix du pain eût cons tamment baissé depuis le mois de juin; sous le prétexte d'une prétendue disette, elle ouvrit tous les ports de la colonie aux bâtimens étrangers; et quoiqu'elle affectât de faire répandre que l'im portation ne se faisoit que pour les subsistances, on ne laissoit pas de voir dans les différentes rades de l'ile des vaisseaux chargés de toutes sortes de marchandises. Autori és ensuite à payer, avec des productions du pays, les importations étrangères, les colons rompoient ainsi de fait tous les rapports commerciaux qu'ils avoient avec la métio pole, tous les liens qui les attachoient à la mère. patrie.

L'assemblée générale, suivant toujours son plan de souveraineté et d'indépendance, s'empara des forces de terre et de mer; elle licencia l'armée pour la recréer sous un nouveau mode; elle alla méme jusqu'a destituer M. Peynier, gouverneur général, et tous les officiers qui commando:ent pour le roi. Tout cela s'est fait sous le nom de loix et réglemens provisoires, pour lesquels on s'est bien gardé de demander la sanction du gouverneur. Voilà quelle a été la conduite de l'assemblée générale de Saint-Domingue pendant son administration; quant à ses principes en fait de légis

lation, ils sont consignés dans son fameux décret du 28 mai dernier.

Les bases de ce décret sont, 1o. que le pou voir législatif, en ce qui concerne le régime intérieur de Saint - Domingue, réside dans l'assemblée de ses représentans const tués en assembléa générale; 2. que la sanction du roi suffira pour readre la loi exécutoire; 3°. que, dans les cas urgens, les actes du corps législatif, en ce qui concerne le régime intérieur, seront exécutés provisoirement sans avoir besoin de la sanction du gouverneur, et sur la simple notification qui lui en sera faite; 4°. que les loix, par rapport au régime extérieur, seront le résultat des plans proposés par l'assemblée coloniale, et qu'elles ne seront obligatoires que lorsqu'elles auront été consenties par elle après avoir été décrétées par l'assemblée nationale de France, toujours sous la réserve de la sanction du roi.

Il est clair, d'après les vues qu'annonce ici l'assemblée générale, qu'elle marchoit à l'indépendance absolue du corps législatif de France, puisqu'elle ne veut d'autre formalité pour l'exécution de ses loix intérieures que la sanction du roi; elle se déclare par-là former un état séparé, n'ayant rien de commun avec la France, que le chef de son gouvernement. Dans son systême, elle n'est plus partie intégrante de l'empire; elle cesse d'être province française; elle est précisé. ment dans le même rapport avec la France que l'Irlande avec l'Angleterre. Sous ce point de vue, la soi-disante assemblée générale mérite d'autant mieux l'animadversion de l'assemblée nationale, qu'elle a choisi, pour faire scission, le moment où la métropole est affoiblie et fatiguée par les efforts qu'elle fait pour briser le despotisme et échapper à l'anarchie.

Quant au patriotisme du gouverneur et de l'asseniblée provinciale du nord de Saint-Domingue,

hous n'y croyons pas plus qu'à celui de l'assem blée générale. Le moyen, en effet, de se persuader qu'un vice-roi et ses agens, que les délégués des nini tres de France soient de bonne foi dans les intérêt de l'assemblée nationale. D'ailleurs, M. Peynier, dans une lettre à l'assemblée générale, laisse passer le petit bout d'oreille; par-tout il appelle le roi le souverain avoué par la nation française, comme le representant de tous les pouvoirs; il appelle les colons ses sujets; il ne parle que des loix que le monarque a droit de faire. Est-ce là le langage d'un ami de la liberté ? N'y reconnoîton pas au contraire le caractère d'un tyran subalterne, professant loin d'une cour imbécille et corron pue les principes qu'il y a puisés ?

Si l'assemblée provinciale du Nord s'est montrée contraire aux projets de l'assemblée générale, si elle a appuyé la résistance du gouverneur, c'est uniquenient parce qu'étant presque toute composée de négocians, elle a intérêt à maintenir le régime prohibitif, et à écraser les planteurs de tout le poids du monopole. Tous ceux qui la composent sont bien éloignés d'être à la hauteur de la révolution française, et l'on peut dire avec vérité qu'il n'y a pas un grain de patriotisme dans nos colonies, et encore moins d'humanité.

En effet, dans ce conflit d'opinions et de prétentions opposées, s'est il élevé une seule voix qui proposat d'améliorer le sort de nos infortunés frères, les esolaves africains? Au contraire, les mouvemens de la colonie ont leur origine dans la crainte de voir l'affranchissement des nègres devenir la suite des décrets de l'assemblée nationale. Les colons sont tellement les ennemis des esclaves, qu'ils perpétuent leur haine et leur mépris jusque sur ceux qui ont échappé à leur infàme domination. Les gens de couleur et les nègres libres sont exclus de toutes les places, et même du droit de cité.

Ce n'est pas que nous voulions proposer d'affranchir tout d'un coup les esclaves des colonies; nous savons combien cette opération seroit dangereuse, non pas pour les nègres, mais pour leurs tyrans. Mais seroit - il dangereux de proscrire à jamais la traite et toutes ses horreurs? Seroit-il dangereux d'accorder la liberté aux enfans qui naîtroient de la co habitation d'un maître avec son esclave? Seroit-il dangereux de leur fournir les moyens d'acquérir cette liberté, et de la leur montrer comme une récompense de leur attachement et de leur fidélité? Seroit-il dangereux enfin de réformer et de jetter au feu cet abominable code noir, qui fera à jamais la honte de ceux qui l'ont rédigé et qui s'en servent encore?

C'est à l'assemblée nationale à défendre ces malheureux contre la cupidité et la cruauté des colons; et l'on ne conçoit pas comment elle a entendu de sang-froid ce blasphême politique et moral du rapporteur des colonies: que l'assemblée se propose de décréter comme article constitutionnel, qu'aucunes loix sur l'état des personnes ne seront décrétées pour les colonies, que sur la demande formelle et précise de leurs assemblées coloniales. Voilà donc les nègres abandonnés à la fureur, à la discrétion des habitans des colonies! Voilà leurs fers éternellement rivés, et jamais les espérances de la philosophie ne seront réalisées ! jamais les nègres ne seront libres! Que disons-nous ? ils le seront malgré leurs tyrans, malgré l'assemblée nationale elle-même; mais leur liberté coûtera du sang, et leurs barbares oppresseurs seront cruellement punis d'avoir repoussé le cri de la nature et de l'humanité. Déjà la déclaration des droits les rend libres de droit, et la nature des choses achèvera le reste.

Mais les nègres, dira-t-on, sont une espèce d'hommes nés pour l'esclavage; il, sont bornés, fourbes et méchans; ils conviennent eux-mêmes de la supériorité des blancs, et presque de la lég gitimité de leur empire.

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Il n'est pas vrai que les nègres soient bornés; l'expérience a prouvé qu'ils réussissoient dans les sciences; et si l'abrutissement dans lequel ils sont plongés leur fait croire que les blancs sont d'une espèce supérieure, la liberté les mettroit bientôt au niveau. Quand à ce qu'on raconte de leur méchanceté, elle n'égalera jamais la cruauté de leurs maîtres (1).

Les apologistes de la traite et de l'esclavage des nègres prétendent que si les nègres sont libres, ils ne voudront plus travailler, et qu'il faut renoncer aux colonies. J'ai trop bonne opinion des Français devenus libres pour croire que rien ne les

(1) Un bâtiment anglais, qui en 1752 commerçoit en Guinée, fut obligé d'y laisser son chirurgien, aquel le mauvais état de sa santé ne permettoit plus de soutenir la mer. Murrai s'occupoit du soin de se rétablir lorsqu'un vaisseau hollandais s'approcha de la côte, init aux fers des noirs que la curiosité avoit attirés sur son bord, et s'éloigna rapidement avec sa proie.

Ceux qui s'intérois, oient à ces malheureux, indignés d'une trahison si noire, accourent à l'instant chez l'hôte du chirurgien qui les arrête à sa porte, et leur de-. mande ce qu'ils cherchent : « Le blanc qui est chez » vous, s'écrient-ils, il doit être mis à mort, puisque » ses frères ont enlevé nos frères. Les Européens qui ont >> ravi nos concitoyens, répond l'hôte généraux, sont des » barbares; tuez les quand vous les trouverez; mais » celui qui loge chez moi est un être bon; il est mon >> ami; ma maison lui sert de fort; je suis son soldat » et je le défendrai. Avant d'arriver à lui, vous passerez » sur mon corps expirant. O mes amis ! quel homme > juste voudroit entrer chez moi, si j'avois souffert » mon habitation fût souillée du sang d'un innocent » ? que Ce discours calma le courroux des noirs; ils se retirèrent tous, honteux du dessein qui les avoit conduits. Malheureux calomniateurs des nègres! rougissez et admirez une générosité bien au-dessus de votre portée. Histoire des deux Indes.

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