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de la mère-patrie. Ils répandent que l'assemblée générale de la Colonie, dont ils sont membres, a été insultée par les ennemis de la liberté, que le gouverneur lui-même, au moment de leur départ, se préparoit à faire tirer à boulets rouges sur le vaisseau qui les a amenés.

Cette idée de péril, par rapport à des gens qui se disoient patriotes, a trompé, séduit jusqu'à la société des amis de la constitution de Brest. La municipalité les reçut avec distinction, ils furent logés chez les citoyens, qui se disputoient l'honneur de les recevoir et de les fêter.

En même temps on fait circuler dans tous les vaisseaux de l'escadre, que M. de Marigny, major général de la marine, devoit se faire envoyer à Saint-Domingue, pour mettre à la raison et tailler en pièces les partisans de l'assemblée générale de la Colonie.

Ce propos incendiaire, faussement attribué à M, de Marigny, devient le signal de la rebellion.

Un matelot du vaisseau le Léopard se rend à bord du patriote; là il se répand en propos injurieux contre M. d'Entrecastreaux, commandant du vaisseau, qui le renvoya cuver son vin.

Alors tout l'équipage crut qu'on voulait punir sévèrement le matelot; et il dit hautement qu'il ne le souffriroit pas. Comme on rappeloit aux insubordonnés le serment de fidélité et d'obéissance qu'ils avoient prêté, ils répondirent, dit-on, qu'ils n'avoient point fait de serment, qu'ils étoient les plus forts et qu'ils feroient la loi. Un matelot de l'équipage du patriote a crié à celui qui con, duisoit le canot où étoit M. Albert de Rioms, pour se rendre à terre, fais chavirer le canot.

Pour se venger de M. de Marigny, les matelots sont allés pendant la nuit planter une potence à sa porte. Elle a été déplacée le lendemain sans le moindre tumulte.

· L'assemblée nationale, pour faire cesser le dé sordre, a rendu le décret qui suit : « Que le roi sera prié de donner des ordres 19. pour faire poursuivre et juger suivant les formes légales, les principaux auteurs de l'insurrection, et ceux de l'insulte faite au sieur de Marigny, major général de la marine ».

2. « Pour faire désarmer le navire le Léopard, et en congédier l'équipage, en envoyant ceux qui le composent dans leurs quartiers respectifs, en enjoignant aux officiers de rester dans leur dépar

tement ».

3o. « Pour faire sortir de Brest, dans le plus court délai, et transférer dans les lieux qui lui paroîtront convenables, les individus appartenans au régiment du Port-au-Prince, arrivés à bord dudit vaisseau ».

« Décrète que les ci-devant membres de l'assemblée générale de la partie française de SaintDomingue, ceux du comité provincial de l'ouest de ladite colonie, et le sieur Santo-Domingo, arrivé à Brest, commandant le vaisseau le Léopard, se rendront à la suite de l'assemblée nationale, immédiatement après la notification du présent décret, etc ».

« Décrète en outre que le roi sera prié de nommer deux commissaires civils, lesquels seront autorisés à s'adjoindre deux membres de la municipalité de Brest, tant pour l'exécution du présent décret que pour aviser aux mesures ultérieures qui pourroient être nécessaires au rétablissement de la discipline et subordination dans l'escadre, et de l'ordre dans la ville de Brest: à l'effet de quoi, tous les agens de la force publique seront tenus d'obéir à leur réquisition ».

Avant toute réflexion sur ce décret, nous converons d'abord que, d'après les faits que nous avons rapportés, l'assemblée générale de Saint-Domingue peut être soupçonnée de la sédition qui a eu lieu

à bord du patriote, et qui paroît être l'effet de la communication avec le Léopard. C'est elle qui a fait révolter l'équipage de ce vaisseau dans la rade du Port-au-Prince contre son capitaine; c'est elle qui l'a amené en France en état d'insubordination.

Mais est-ce là la seule cause de la rebellion? N'y en a-t-il pas de plus directes, de plus réelles, dont on ne parle pas? Un équipage, une troupe d'hommes quelconque ne se révolte pas sur parole, il faut des sujets de mécontentement; car jamais on ne parvient à inspirer aux autres que les passions, les mouvemens dont ils ont eux-mêmes le germe dans le cœur.

Les classes de la marine française, comme toutes celles du peuple, avoient à se plaindre du régime oppressif qui pesoit sur elles. Les matelots étoient absolument esclaves, et l'armée de terre, si mal traitée sans doute, étoit gouvernée avec douceur, en comparaison des troupes de mer. S'ils sont restés paisibles plus long temps que les autres corps de l'armée, c'est que le genre de vie qu'ils mènent, les tenoit à une plus grande distance des idées nouvelles. Aujourd'hui que les circonstances d'une station plus continue sur nos côtes, et d'un commerce plus habituel avec le reste des citoyens, les rapproche d'avantage des grands principes de la révolution, il n'est pas étonnant qu'ils aient suivi l'impulsion générale, et qu'ils aient enfin songé à secouer leurs chaines.

Rien n'étoit plus juste que leurs réclamations sur la peine des fers avec un anneau au pied, ou d'un anneau simple avec la chaine trainante. Il suffisoit que cette peine les assimilat extérieurement avec les forçats, pour qu'elle leur parût insupportable. L'assemblée nationale aura beau décréter, dans une belle proclamation, qu'une pareille punition ne doit rien avoir d'infamant, parce que la faute qui y donne lieu n'est point un crime,

les matelots n'en sont pas moins en droit de so plaindre, parce que l'opinion est tout, en fait de peine et de délit, et qu'il n'est pas plus au pouvoir de l'assemblée nationale de changer avec des loix la façon de penser des marins sur l'anneau et la chaine trainante, que celle des troupes de terre sur les coups de plat de sabre.

D'un autre côté, les matelots qui sont encore dans la fervenr d'un zèle patriotique, qui commence à peine à embrâser leur coeur, doivent voir avec chagrin le commandement des forces navales de la nation entre les mains d'un aristocrate décidé, reconnu pour tel, qui a refusé de prendre la cocarde, et qui ajourd'hui est un des opposans à ce que la marine arbore le pavillon national. Pour nous, nous ne cesserons de le répéter, et nous le crierons, s'il le faut, sur les toits: il n'y aura point de révolution, tant que les forces actives de l'empire seront dirigées par des chefs connus ou soupçonnés d'être les ennemis de la liberté publique. Quelle confiance, en effet, peuvent-ils inspirer? Quelle obéissance peuvent ils exiger de ceux qui sont destinés à servir sous leur commandement, si leur conduite et leurs opinions manifestées laissent aux soldats mille raisons de croire qu'il peut être dangereux de marcher sous leurs drapeaux ? Mais les ministres ne se corrigeront jamais de leurs perverses inclinations; tant qu'il y aura des ennenis du peuple, ils seront préférés dans la distribution des graces et des places. Dans la marine il ne manque pas de chefs, autant et plus capables que M. Albert de Rioms, qui lui-même n'a jamais commandé qu'une petite escadre de parade sur la Méditerranée. Nous en nommerons un distingué par une théorie savante, et connu pour un excellent officier, c'est M. de Kersaint; mais ses liaisons avec les patriotes ne sont pas une recommandation aux yeux de la cour.

Quant au décret de l'assemblée nationale, au

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