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ouvertement violées (1). Ce fut alors qu'on vit le fameux comte de Boutteville aller se battre en plein midi sur la place Royale, et lendemain, sans se déconcerter, passer de la victoire à l'échafaud.

Et non seulement vos loix les plus sévères contre les duellistes seront méprisées et foulées aux pieds, mais encore elles seront inexécutables. Car pour qu'il y ait lieu à poursuivre le délit, il faut une plainte; or, qui est ce qui se plaindra, lorsque las deux champions seront également coupables, lorsque tous deux seront infracteurs de la loi ?

Mais, direz vous, l'accusateur public? Je le veux. Alors où trouverez-vous des témoins pour constater le délit? On ne se bat pas dans les lieux fréquentés, et ceux qu'on choisit pour être les juges et les spectateurs du combat, sont des amis à qui l'honneur fait un devoir de ne rien révéler. Donnerez vous, comme quelques uns le prétendent, une prime d'encouragement aux témoins? Alors o'est inviter au crime, à la trahison, au faux témoignage; c'est encourager tous les forfaits.

Laissez donc, et vous ferez mieux, laissez à l'opinion publique, le soin de faire justice des duels et des duellistes. La liberté de tout dire et de tout écrire, produira bien plus d'effet que toutes vos loix. Renoncez à vos épaulettes, à vos dragones, à vos habits bleus-de-roi. Oubliez cet esprit militaire, bon tout au plus sous le règne du despotisme, et très-dangereux pour la liberté; bientôt les duels cesseront tout-à-fait comme une institution barbare, qui ne doit pas survivre à la destruction de la féodalité et de l'aristocratie. Déjà les écrivains patriotes ont attaqué ce préjugé avec

(1) Sous Louis XIII, les duels étoient tellement fréquens, que la première nouvelle qu'on se demandoit le matin étoit : Qui est-ce qui se battit hier? Et l'aprèsdîner Savez-vous qui s'est battu ce matin?

quelque succès; déjà le cri public a improuvé les duels de MM. Barnave et Lameth; déjà quelques hommes célèbres par leur courage, par leur attachement aux vrais principes, ont eu la bravoure de refuser des cartels, et ils ont été loués par tous les honnêtes gens. Citoyens! vous n'avez plus qu'un pas à faire pour arriver au but; ne croyez plus que le spadassinage tienne lieu de probité, de loyauté, en un mot, de toutes les vertus; n'accordez plus votre estime qu'au genre d'héroïsme qui sera utile à la patrie, et vous verrez qu'on ne se battra plus que pour la cause de la liberté (1)

Affaire d'Avignon.

Le peuple avignonais gémissoit depuis longtemps sous le joug du pontife romain. Livré au despotisme d'un vice-légat, dévoré par une nuée d'Italiens intrigans qui venoient s'engraisser de sa substance, opprimé par une administration municipale organisée aristocratiquement, il a levé les yeux vers la constitution française. Son premier pas, pour se soustraire à l'oppression, a été de rédiger des doléances adressées à la cour de Rome pour obtenir le redressement de ses griefs. Ces écrits patriotiques démasquoient courageusement tous les abus, et frappoient sans ménage

(1) La compagnie des chasseurs du bataillon SainteMarguerite vient de trouver un bon moyen d'empêcher les duels entre les députés. Elle a arrêté que tout chasseur se porteroit à son tour vers le lieu des séances de l'assemblée nationale; qu'il regarderoit comme personnelle toute querelle suscitée aux députés patriotes, et qu'il les défendroit jusqu'à la dernière goutte de son sang. Si toute la garde nationale parisienne, si toutes les sociétés de patriotes prennent un pareil engagement, bientôt nous verrons les spadassins un peu plus modestes, bientôt ils n'oseront plus se montrer.

Ca

ment sur les gens en place qui en profitoient: comme de raison ils sont restés sans réponse.

Alors le peuple se soulève, s'empare des portes de la ville, et déloge les commis. Le vicelégat veut employer la force pour soumettre les citoyens; il fait emprisonner les défenseurs de la liberté. Le peuple ne contient plus son indignation; il menace le vice-légat, qui, devenu plus prudent, fait relâcher les prisonniers.

Les demandes de convocation des états généraux se renouvellent, le pape continue de les refuser; et les Avignonais, fatigués de l'anarchie où ils vivent, adoptent la constitution française par une délibération du 14 mars dernier, renouvelée et confirmée par une autre du 5 avril suivant. Une nouvelle municipalité s'organise selon les formes prescrites par l'assemblée nationale de France.

Cependant le pape casse, par un bref du 21 août, tout ce qui s'est fait au mépris de sa prétendue autorité. Le bref est conspué; la cour romaine envoie une espèce de ministre pour le protéger; on refuse au sieur Celestini l'entrée de la ville. C'est dans ces circonstances que l'aristocratie crut trouver le moment favorable à sa résurrection: les satellites du pape, les agens du gouvernement ultramontain s'emparèrent de l'hôtel de ville; ils se jettent sur les patriotes, et, sans leur valeur et leur prudence, ils les auroient infailliblement égorgés. Les Avignonais se déclarent indépendans; ils ne veulent plus reconnoître un souverain qui leur refuse justice, et demandent leur réunion à la France. L'assemblée nationale doit-elle accepter cette réunion? C'est ce qu'il s'agit d'examiner.

On dit que Jeanne, reine de Naples, pressée par les importunités du pape Clément VI, lui vendit le comté d'Avignon moyennant une somme de 80,000 florins. Cet argent ne fut jamais payé à la jeune reine; elle reçoit pour prix de la vente

l'absolution du meurtre de son mari, qu'elle avoit fait assassiner pour épouser le prince Louis de Tarente. Devenue majeure, Jeanne protesta contre cette vente, ainsi que contre tous les actes qu'elle avoit faits en minorité contre l'intérêt de ses sujets. Elle déclare dans sa protestation: Qu'entrainée par le malheur des temps, vaincue par l'importunité, abusée par des astuces, succombant à la fragilité de son sexe, à la foiblesse de son age; elle est contrevenue aux loix les plus sacrées des nations; elle révoque toutes les aliénations dont elle s'est rendue coupable, à quel titre et en faveur de quiconque elles ont été faites.

il

Ainsi la vente faite par la reine de Naples est le titre en vertu duquel Avignon a passé sous la domination pontificale. Il y a eu depuis plusieurs traités entre le pape et les rois de France, au sujet du territoire Avignonais; mais que nous importent ces traités ? Les rois peuvent-ils vendre les peuples comme un troupeau de moutons? Les conventions qu'ils font à ce sujet ressemblent à celles des brigands qui partagent les dépouilles d'autrui. Avignon forme un peuple séparé qui n'appartient ni au pape ni au roi de France, s'appartient à lui même. Tout le monde convient que la souveraineté réside dans le corps d'une nation; la France a fait à ce sujet sa profession de foi, et elle ne peut plus en revenir. Il n'est plus douteux aujourd'hui que les mandataires, que les délégués d'une nation, ne sont que de frêles reseaux qu'elle peut briser ou changer à son gré; il n'est plus douteux que tout peuple vivant sous un gouvernement quelconque, peut le changer à volonté lui seul peut juger des moyens à employer pour arriver au bonheur que peut pro curer l'ordre social.

Ces principes sont si clairs, si évidens, que les aristocrates et les miuistériels n'ont pas osé les combattre directement. Ils conviennent bien qu'un peuple réuni en corps de nation a le droit de

changer son gouvernement; mais, disent-ils, me section d'un grand empire peut-elle se soustraire à une grande association formée pour l'intérêt de tous? peut elle, sans le consentement de cette association, se soustraire aux loix qu'elle a adoptées? Non sans doute; mais cette objection n'est pas applicable au peuple avignonais; jamais il n'a fait partie d'une association libre, jamais il ne s'est réuni aux provinces ultramontaines, pour vivre avec elles sous la domination oppressive du prêtre de Rome; la seule chaîne qui l'unissoit à iui étoit celle de l'esclavage; aujourd'hui il est en force pour la briser, la nature lui donne le droit de le faire; son insurrection est légitime, il résiste à l'oppression, il recouvre sa liberté.

Le premier usage qu'il en fait est un hommage aux principes de la constitution française. Il sollicite à grands cris sa réunion aux 83 départemens. Son vou, quoi qu'on en dise, est prononcé de la mauière la plus solennelle. Les gardes avignonaises, au nombre de 12 compagnies, ont prononcé à la face du ciel, sur le rocher de Dom, le serment de ne jamais appartenir qu'à la France. Ce serment a été répété par tout le peuple assemblé qui a fait retentir les airs des mots de vive le roi,

VIVE LA NATION FRANÇAISE.

Le 26 octobre, les districts se sont assemblés de nouveau; ils ont renouvelé à l'unanimité le vœu de réunion au peuple français. Ce voeu est donc prononcé de la manière la plus légale, la moins équivoque et la plus authentique. Lorsque les Américains ont secoué le joug de l'Angleterre, lorsque nous avons protégé leur indépendance, ils étoient bien éloignés de réunir une volonté aussi générale et aussi constante.

A présent, l'assemblée nationale doit-elle accepter l'offre des Avignonais? Sans parler des convenances du territoire enclavé dans le nôtre, qui, à vrai dire, sont d'une très petite importance poli

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