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singuliers, et des troubles qu'ils excitent dans la capitale, a arrêté qu'il seroit envoyé à l'assemblée nationale une députation de douze membres, pour la supplier de rendre, le plus promptement possible contre les duels, une loi qui rappelle les citoyens aux règles de la morale, et les prémunisse à jamais contre les suggestions d'un sentiment incompatible avec le caractère d'un peuple libre et bienfaisant ».

On ne sait pas trop quelle espèce de loi demande ici la municipalité. Est-ce une loi qui note d'infamie les duellistes, ou bien qui les dévoue à l'échafaud? Dans l'une et l'autre hypothèse, neus espérons prouver que la municipalité a tort, et que tout décret rendu contre le duel seroit absurde et inexécutable (1).

Le duel est un usagé particulier aux peuples de l'Europe; il a son origine dans la barbarie des siècles féodaux. C'est dans ces temps d'anarchie que des hommes, qui ne connoissoient d'autre loi que celle du plus fort, remettoient au sort d'un combat la vengeance de leurs injures personnelles. Ce combat servoit de jugement en toute matière, civile ou criminelle, l'usage des tribunaux étoit inconnu; et dans toute espèce de différent, l'adresse ou la force des contendans décidoit de leur loyauté et de leur probité. On supposoit que

(1) Quelques sections de la capitale, et quelques bataillons de la garde nationale sont également venus à la barre de l'assemblée pour y réclamer une loi sévère contre les duels. Le bataillon de Bonne-Nouvelle a été plus loin; il a demandé que le corps législatif livrât à toute la sévérité des loix l'agresseur de M. Lameth. Le zèle patriotique égare ces braves citoyens. Ils ne réfléchissent pas que la loi est égale pour les deux champions, et que si M. Castries étoit poursuivi, M. Lameth ne seroit pas à l'abri d'une procédure.

l'avantage da combat étoit toujours pour celui qui

avoit raison.

Le duel étoit si fort en vogue, qu'on alloit jusqu'à décider, par ce moyen absurde et féroce, des matières de législation et de culte. L'empereur Othon I consulta les docteurs allemands, pour savoir si dans les successions en ligne directe la représentation auroit lieu. Les avis furent partagés. Pour décider la chose, on fit battre deux braves; et celui qui soutenoit la représentation ayant eu l'avantage, l'empereur ordonna que la représentation auroit lieu.

Alphonse VI, roi de Castille, voulut supprimer l'office mosarabique, pour y substituer celui de l'église romaine. Le clergé et la noblesse s'y opposèrent d'abord. Ensuite ils consentirent à ce que la chose fût décidée par le duel. On choisit deux champions, et celui qui se battit pour la lithurgie romaine l'ayant emporté sur son adversaire, celle-ci fut adoptée préférablement à l'autre (1).

Un accusé pouvoit appeler en duel les témoins qui déposoient contre lui, et jusqu'au juge, qui souvent étoit forcé de rendre raison de son jugement dans un combat singulier.

Ce qui contribua sur tout à perpétuer les duels ce fut l'autorisation de l'église. Les prêtres, qui se fourrent par-tout et qui tirent parti de tout, préievoient un droit sur ceux qui alloient se battre; ils bénissoient leurs armes, ils disoient la messe du combat, appelée par les historiens du temps, missa pro duello.

(1) Avant l'épreuve du duel, on avoit eu recours à celle du feu. On jeta dans un brasier les deux missels, dans l'espérance que Dieu conserveroit celui qui lui feroit plaisir. Mais la divinité refusa d'être de la partie, et les deux saints volumes furent grillés.

Cependant à mesure que l'Europe se civilisa les décisions par le duel devinrent moins fréquentes, on ne les ordonna que dans les cas où les preuves étoient absolument insuffisantes pour condamner un accusé. En France il ne fut bientôt plus permis de se battre que par un arrêt du parlement. On discutoit froidement dans les cours de justice, si l'on devoit ordonner dans telle ou telle cause le combat singulier.

Les établissemens de Saint-Louis dimninuèrent singulièrement l'horrible jurisprudence des duels: ce prince, qui rendoit lui-même la justice, défendit, non pas les duels, mais les jugemens qui les ordonnoient. Malheureusement des loix aussi sages ne pouvoient avoir d'exécution que dans les terres du domaine royal. Les hauts barons, les aristocrates féodaux, qui étoient maîtres chez eux, refusèrent de les adopter; ils continuèrent de protéger le duel, et lorsque, par la jurisprudence des appels, leurs vassaux furent obligés de se conformer aux jugemens des cours royales, ils se maintinrent eux dans l'usage de décider leurs querelles le fer à la main. Ils auroient craint de passer pour des vilains s'ils s'étoient soumis à l'influence des loix.

Ainsi la féroce manie du duel se perpétua avec les chaînes de la féodalité; depuis le propriétaire du donjon jusqu'au possesseur de la plus petite girouette, tous se faisoient justice par le combat singulier; et lorsque l'invention des troupes réglées eut répandu l'esprit militaire, les duels n'en devinrent que plus fréquens.

Sous Louis XIII et Louis XIV la fureur des combats singuliers fut portée à son comble. Mais vers l'époque de la régence, elle commença à s'adoucir; et sous Louis XV, et au commencement du règne actuel, le bourgeois ne se battoit plus, et les militaires ne tiroient l'épée que pour le jeu, pour des passe-droits, et pour n'être pas forcés de quitter le service. Si depuis la révolu

tion elle a paru se ranimer, c'est à l'uniforme qu'il faut s'en prendre, et à l'esprit des troupes de ligne qu'on a inculqué aux bourgeois.

Vous voyez, citoyens, d'après ce que nous vanons de dire, que l'affreux usage des duels faisoit tellement partie des moeurs des Français, qu'il s'est mêlé à la jurisprudence des tribunaux, lors de leur première formation, et qu'il a survécu à ces mêmes tribunaux, lorsque les juges ont refusé de l'admettre. C'est de l'opinion que les duels tirent toute leur force; c'est donc en attaquant l'opinion et en la changeant qu'il est possible de les dé

truire.

Ne croyez pas que des loix puissent changer l'opinion. C'est au contraire l'opinion qui change et détruit les loix. Il faut, dit Montesquieu, réformer par les loix ce qui est établi par des loix, et changer par les mœurs ce qui est établi par les mœurs. Ainsi, tout ce qui a trait aux inceurs d'une nation n'est point soumis à la loi.

La loi a sa mesure de force, comparée à celle des vices qu'elle réprime. Si la résistance est telle que cette loi soit insuffisante, il vaut encore mieux laisser subsister le désordre: y pourvoir et le prévenir par des loix qui ne sont point observées, c'est moins remédier au mal qu'aviir la loi.

Supposons en effet qu'on porte une loi pour empêcher les duels (1); quelle sera la peine de

(1) Bien entendu que cette loi seroit générale et non point bornée aux seuls représentans de la nation, comme l'ont dit quelques écrivains ignorans. Ils ne veuJent pas que les députés se battent, parce que, disentils, ils sont inviolables: inviolables ! Et tous les citoyers ne le sont-ils pas, inviolables? Il est bon de dire à propos de cette prétendue inviolabilité, que le décret qui l'a prononcée, n'étoit qu'une loi de circonstance, rendue pour mettre les députés à l'abri des entreprises arbitraires du pouvoir exécutif. Dans les actions ordinaires de la vie, un député n'est pas plus inviolable qu'un

son

son infraction? Sera-ce l'infamie? Mais l'infamie, comme l'honneur, n'est point de la compétence des législateurs. Si ceux-ci se mêloient de déclarer un homme infâme pour s'être battu en duel, il pourroit très-bien se faire que l'opinion publique annullat ce décret. Et si le peuple s'obstine à penser qu'un homme est poltron pour avoir refusé de se battre, tous les décrets du monde auront beau le déclarer brave, il n'en sera pas moins déshonoré.

Sera-ce la peine de mort? Mais toute peine qui n'est pas proportionnée au délit est injuste ; et celle que vous proposez n'établit aucune différence entre le duel et l'assassinat. La peine de mort décernée contre les duellistes seroit de la dernière atrocité, puisqu'elle puniroit un homme d'avoir craint le déshonneur et l'infamie, d'avoir mis dans la balance l'opinion et la loi.

D'ailleurs, l'expérience ne vous apprend elle pas que les loix les plus sévères, rendues contre les duels, n'ont fait qu'en accroître la fureur? Parcourez les ordonnances de vos rois, celles mêmes qui ont été rendues sur les doléances de vos étatsgénéraux. Par-tout la prohibition du duel y est tracée en caractères de sang.

L'ordonnance de Blois défend les duels sous peine de la vie; elle prononce qu'il ne sera expédié aucunes lettres de grace aux duellistes. HenrilV, Louis XIII et Louis XIV renouvelèrent les loix contre les duels, et sous les mêmes peines. Eh bien! jamais il n'y eut peut-être autant de duels que sous ces trois règnes; jamais les loix les plus sanguinaires ne furent plus impuissantes et plus

autre citoyen; comme tous il est soumis à la loi. Français ! si vous avez la sottise de regarder vos députés comme des dieux, vous redeviendrez bientôt esclaves.

N. 72

C

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