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nous sommes les premiers fous de l'univers connu ancien et moderne qui, ayant 3,600,000 soldats nationaux ayent poussé l'inconséquence juqu'à solder 15,000 Suisses pour les défendre, et l'extravagance jusqu'à ramasser 20,000 étrangers ou vagabonds de tous les coins du monde, baptisés du nom de leur chef, pour leur commettre la garde et la défense de la patric (1).

Puisque vous avez une armée de ligne soldée, vous devez, citoyens, la considérer sous deux aspects: comme votre défense, et alors la surveiller; comme un instrument dangereux entre les mains du pouvoir exécutif, et alors la redouter. Il résulte donc que vous, citoyens réunis en corps d'armée nationale, vous ne devez en aucune manière ni dans l'esprit, ni dans la forme, ressembler à la troupe de ligne. Vous devez être l'opposé, sans quoi vous serez bientôt confondus et asservis avec elle.

Ne vous laissez pas prendre à ces mots de fraternité, de frères d'armes, de fédération militaire, d'union, d'enfans d'une même famille. Tous ces mots sont pris dans le dictionnaire des charlatans ambitieux tout cela est vrai et appréciable dans un sens, mais faux et impolitique dans le fonds. Vous n'êtes point des MILITAIRES (2), vous êtes

(1) S'il vous faut, citoyens, un motif perpétuel de défiance, et vous en avez besoin, jetez les yeux sur les troupes étrangères que l'on a conservées, et s'il faut que vous sachiez, à ne pas s'y méprendre, pourquoi on les a conservées, à votre service, jetez les yeux sur RoyalAllemand et sur Royal-Liégeois, &c.

(2) Le mot militaire n'a plus son acception naturelle. On s'en sert tant qu'on peut, il est vrai, pour désigner tout ce qui a rapport aux armes qui défendent la patrie ; mais dans l'opinion ce mot renferme un autre sens. Un maire de ville défendroit sa patrie l'épée au poing; un officier de l'armée de ligne diroit que ce maire n'est point un militaire.

des propriétaires armés; vous n'êtes point des SOLDATS, car vous n'avez point de SOLDE, vous êtes des CITOYENS ARMÉS; vous n'êtes point des agens passifs subordonnés aveuglément selon l'échelle des grades régimentaires, vous êtes des citoyens mus par votre libre arbitre, agissans par votre raison, des citoyens enfin tous égaux, tous frères, tous faits pour être le premier et le dernier, suivant le vœu d'une élection fréquente et libre. Observez bien ces différences; gardez-vous de l'esprit d'imitation, car c'est le chemin qu'ont choisi et que choisiront les ambitieux pour vous maîtriser et pour ruiner votre liberté.

Sans doute, il est vrai, très-vrai, citoyens, que chaque soldat, chaque officier de l'armée de ligne est individuellement votre frère, votre égal, l'enfant de votre patrie; sous ce rapport nulle différence entre eux et vous. Mais ces individus réunis en corps, les régimens, l'armée, changent d'aspect pour vous qui êtes la patrie. Vous êtes le souverain, ils sont les sujets; vous êtes l'ordonnateur, ils sont les agens, ils sont les instrumens secondaires de l'état, et vous, la fin pour laquelle tout agit et se meut dans l'état. Vous ne devez donc pas être régis comme les troupes de ligne, vous devez être armés sous une forme opposée. Mettez-vous bien dans la tête et dans le cœur, qu'entre votre épée et celle du roi, il y a une grande différence: la vôtre fait la loi et l'autre l'exécute; celle-ci tend à l'asservir, la vôtre doit toujours être hors du fourreau pour la défendre.

Ces considérations établies, l'organisation des gardes nationales doit être fondée sur le principe

suivant:

LE CITOYEN ARMÉ, en tout état de choses, doit étre considéré comme un CITOYEN ACTIF; à moins que, pour une guerre extérieure seulement, il n'ait renoncé plus ou moins à ses droits, et au gré de la loi, par un contrat individuel, librement consents et pour un temps déterminé,

Tel étoit le principe de l'organisation de la garde nationale romaine: tant qu'il n'a pas été altéré, la liberté de Rome a subsisté. La décadence de la république romaine est sortie de l'altération successive de ce principe.

En conséquence, les citoyens armés ne doivent pas être enrégimentés, ni rangés par légions, selon la proposition faite à l'assemblée nationale par les comités de constitution et militaire.

Rien n'est plus séduisant pour les foibles, et surtout pour les jeunes gens, que la spéculation des comités. Quiconque passe sur le principe, ne peut s'empêcher d'admirer l'ordre dans lequel on présente l'organisation de la garde nationale.

Soixante-six mille six cent soixante-six compagnies dans le royaume ! que cela est grand, imposant et beau!

Les compagnies seront de cinquante-quatre hommes seulement, dit le mûr ambitieux ou le jeune vaniteux, c'est presque autant d'officiers que de soldats: j'aurois bien du malheur si je n'attrapois pas une ou deux épaulettes. Il est vrai que ce n'est pas pour toujours; mais les comités proposent une durée de quatre ans, on a le temps de voir venir.

Vient ensuite la réunion de dix compagnies par bataillon; voilà bien des état-majors et beaucoup d'épaulettes. Ces bataillons formeroient ensuite une légion par district, ce qui nous vaudroit encore cinq à six cents état-majors, et cette hiérarchie aboutiroit sans doute à une armée par département, ce qui donneroit un produit de généraux égal à celui de l'almanach royal, et force aidesde-camp.

Citoyens que va devenir la liberté avec tant de maîtres? Nous dira-t-on que ce n'en seront pas? Voyez ce qui se passe. On abolit la noblesse, et en voici une d'un genre bien plus terrible, car elle seroit légale. La défunte noblesse exerçoit une tyrannie de fait, il est vrai; mais quand on pou

voit faire parler la loi, la loi prononçoit l'égalité; en seroit-il de même avec ce peuple d'officiers ? Eh! bon Dieu! les Français, ce peuple aimant et doux, est donc devenu bien méchant, qu'il faille tant de gens pour le régir et le contenir! Quoi!. une compagnie de quarante hommes, officiers exceptés, auroit dans le royaume environ huit centmille supérieurs? Et qu'on ne dise pas que l'officier de tel département ne seroit pas maître dans. un autre. Reposez-vous sur les état-majors, sur leurs comités militaires, sur leurs conseils de guerre, pour être assurés que bientôt cette caste de gens, à épaulettes auroit fait une coalition générale, pour établir la domination la plus monstrueuse dont les annales du monde nous puissent offrir l'exemple.

M. le commandant de bataillon du district seroit. bientôt un petit tyran, ramenant toutes les affaires à son comité militaire, courant d'un endroit à l'autre, étaler son importance dans les revues qu'il commanderoit. A la moindre expédition vous le verriez, troublant la tranquillité des citoyens, les arrachant de leurs foyers, faire une espèce de campagne pour arrêter un braconnier. A plus forte raison, le général du département se trouveroit à même de faire, dans le même sens, les plus belles choses du monde. La France entière ne seroit plus qu'un camp volant, et rien n'empê-. cheroit que, pour les noces d'un aide-de-camp, il n'y eût des fêtes militaires à déranger la moisson, ou les vendanges de toute une contrée. Des loix, dira t on. Cela est vrai; mais on peut assurer que pour des corporations de cette espèce, les loix. seront d'autant moins sacrées qu'elles seront plus,

utiles.

Les comités ont proposé de laisser en place les officiers de la garde nationale pendant quatre ans. Les comités veulent donc que la tyrannie d'une part, et la résistance de l'autre, tiennent perpó

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tuellement la patrie dans un état de guerre et de désolation?

Il n'est pas une seule bonne raison valable, pour laisser les officiers en place au-delà de six mois. La permanence dans les emplois, tant civils que militaires, est une des plus grandes causes du dé périssement de la liberté.

Il ne faut pas que le fonctionnaire s'accoutume trop à la prééminence et à la domination que ses concitoyens lui ont accordée.

Nous n'éprouvons déjà que trop dans la capitale combien il seroit dangereux de laisser plus long temps en place les officiers de la garde na

tionale.

Il est temps que l'homme à épaulettes prenne le fusil et le porte un année au moins, avant d'être apte à reprendre l'épaulette.

Vous avez vu, citoyens, avec quel art on a employé la séduction, pour que l'officier trouvât tant de charmes à commander, qu'il opposât une résistance marquée à sa destitution. Or, cette résistance ne peut se renforcer qu'en changeant de principes, qu'en se liant au parti des mal-intentionnés, qui voudroient tirer de la garde nationale un secours tout-à-fait opposé à son institution.

La garde nationale de Bordeaux change ses officiers tous les six mois. Voyez citoyens, quels sont les heureux fruits de cette mutation. La garde nationale de Bordeaux est l'une de celles du royau me qui a manifesté la vigueur la plus décidée, et qui à le mieux servi la chose publique.

C'est en imitant cet exemple, citoyens, que vous déjoûrez les intrigans et les hypocrites, qui après avoir long-temps travaillé pour séduire ou égarer les chefs, pour apprendre à mal faire à ceux qu'ils ont pu gagner, seront obligés de recommencer leurs pratiques, et se retrouveront encore plus reculés que lorsqu'ils les avoient commencées.

Car les citoyens qui ont vu tel commandant, tel capitaine trop assidus à la table du général,

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