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la plus civique armée du monde, et l'ayant gratis, n'avoit pas besoin de s'imposer une contribution onéreuse, pour en solder une entre les mains et à la disposition du pouvoir exécutif. La faute est faite ; c'est aux législatures à venir à réparer cette faute très grave; c'est à la garde nationale du royaume à redoubler de zèle et d'activité, pour se trouver toujours en état de garder elle-même sa liberté, emploi precieux qu'il ne faut jamais confier à autrui, et sur tout à ceux qui ont intérêt à la ruiner.

SECONDE

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QUESTION.

Puisqu'il est décrété qu'il y aura une armée de ligne soldée, puisque la constitution de cette armée est décrétée, en quoi cette constitution est-elle plus ou moins utile, ou nuisible au bien de l'état ?

Deux opinions fondamentales se sont manifestées sur la manière de constituer l'armée. Les uns vouloient que les chefs fussent tous élus par les soldats, les autres qu'ils fussent tous à la nomination du roi, soit par sa voix immédiate, soit par celle de ses préposés. L'assemblée nationale semble avoir voulu prendre un terme moyen entre ces deux opinions; mais, dans le fait, elle attribue au roi directement ou indirectement la nomination presque absolue des chefs supérieurs et subalternes de l'armée; car si les colonels dépendent des ministres, et ne veulent, ne peuvent que vouloir plaire aux ministres, les capitaines ne peuvent que vouloir plaire aux colonels, et les sous-officiers à tous leurs supérieurs; or, entre les chefs, le choix le plus important pour le soldat est celui des sousofficiers, par la raison que leur pouvoir est tou jours actif, toujours présent, toujours immédiat, et le plus pondérant de tous à cause de l'adulation et de la responsabilité des sous-officiers envers leurs supérieurs. Ainsi, cette présentation de sujets

aux capitaines, par les sous-officiers, ensuite ce choix fait par les capitaines entre les sujets présentés et en définitif, cette nomination du sousofficier faite par le colonel entre les trois sujets choisis par le capitaine, tout cela peut paroître en spéculation merveilleusement combiné; mais en pratique et en effet, c'est une pure momerie. Nous pouvons assurer que, d'après cette nomenclature, nul sous-officier ne sera nommé qui ne l'ait été d'avance in petto, et qui ne soit parfaitement à la convenance de l'état-major. Il reste à savoir si les nominations arbitraires, qui avoient lieu précédemment, ne valoient pas mieux que cette liste de candidats qui, par l'influence de l'opinion, deviennent des privilégiés intermédiaires entre les sous-officiers et les simples soldats; distinction dangereuse qui peut produire des divisions parmi ceux-ci, faire germer l'envie chez les uns, opérer le découragement dans les autres, amener l'asservissement de tous, et que je regarde enfin comme une véritable pomme de discorde et comme un joug artificieux. Cette spéculation de cabinet ne peut qu'échouer dans les chambrées.

Quant aux nominations aux places d'officiers, l'assemblée nationale s'exprime mal, lorsqu'elle dit que ces emplois seront partagés entre les sousofficiers en exercice et les privilégiés qui arriveront immédiatement à ces emplois.

La dénomination de privilégiés me semble juste, puisque ces officiers d'emblée passeront sur le corps de tous les soldats et sous-officiers; je demande de quel droit, à quel titre, d'après quel principe ces messieurs seront ils dispensés d'être soldats, caporaux et sergens? Ou l'égalité constitutionnelle est une chimère, ou c'est ici un passedroit bien clair et bien étrange admis en faveur des ci-devant gens comme il faut. Or, maintenant les gens comme il faut étant les citoyens actifs uniquement distingués par leurs vertus et leurs

talens, il seroit essentiel et nécessaire que celui qui voudra être un homme comme il faut, pour être officier, fit preuve de vertus et de talens dans le rang de soldat et de sous-officier; il n'est pas de raison valable pour excuser cette foiblesse de l'assemblée nationale.

Je disois donc que c'est une dérision de dire que les emplois de sous-lieutenant seront partagés entre ces privilégiés et les sous-officiers, puisque sur quatre places de sous-lieutenant, une seule est réservée à tout le corps des sous-officiers; encore cette seule place, sur quatre, est-elle partagée entre le droit respectable d'ancienneté et le choix d'un sujet, voté par tous les officiers du corps, parmi lesquels l'influence des officiers supérieurs n'est pas douteuse, et tant on semble avoir eu peur que quelque étourdi zélé ne contrariât le choix des maîtres. On a poussé le calcul jusqu'à exclure du droit de voter, dans ce choix, tout officier âgé de moins de vingt-quatre ans, age, en effet, où commence à faire prévaloir sur sa conscience le soin de plaire à ses supérieurs.

Cette unique sous-lieutenance, sur quatre, étant donc accordée alternativement aux choix et à l'ancienneté, il résulte de cette alternative une chance dangereuse pour la chose publique; car il ne faut pas douter que le sous-officier choisi ne soit un courtisan fieffé, une créature éprouvée de l'étatmajor, de sorte, qu'il eût encore mieux valu un privilégié qu'un parvenu de cette espèce; le hasard nous auroit peut-être mieux servi que les hommes.

D'après cette distribution de sous-lieutenans, je calcule donc que soixante imberbes sortant du collége, et dix valets deviendront officiers, dans le temps que sur cent cinquante bons guerriers sans reproche, dix seulement porteront l'épaulette à mesure qu'ils auront les cheveux gris.

Tout cela n'est pas peut-être pire que ci-devant; mais cela ne vaut pas mieux.

Le

Le même esprit règne dans les articles qui déterminent l'ascendance des grades. Une seule amélioration s'y trouve, c'est que les capitaines pourront devenir colonels, et le deviendront en effet quelquefois avantage essentiel et important dans la Constitution militaire; car nous oserons dire que la cause principale des abus honteux qui affligeoient l'armée, étoit cette loi du cabinet des ministres, de ne porter au rang de colonel que des talons rouges.

Quoi qu'il en soit de ces vices de constitution militaire, que l'influence de nos mocurs, de nos usages, de nos préjugés et de la disproportion des fortunes, a sans doute conservés plus que l'influence ministérielle ne les a calculés, il est cependant certain que le régime militaire décrété par l'assemblée nationale est préférable et bien supérieur en utilité au systême qui attribueroit aux soldats la nomination de leurs chefs; c'est ce qu'il nous sera facile de prouver. Dans la spéculation, rien ne sembleroit en effet plus juste et mieux ordonné, que de considérer l'armée comme une portion de la nation, détachée de sa totalité, et commise par la famille commune pour un temps donné, à l'effet de se porter dans toute l'étendue du royaume pour le protéger et le défendre. Il sembleroit que par cela même que cette portion de citoyens se charge, au péril de sa vie, d'un soin si fraternel et si recommandable, ces citoyens devroient, à double titre, conserver leur activité civile, et que la conservant, ils ont le droit, comme tous les membres de l'empire de se nommer des chefs et des magistrats, soit par élection immédiate, soit par l'intervention de leurs représentans. Ce raisonnement, tout spécieux qu'il est, porte cependant à faux. Il est malheureux que les romans de la raison soient démentis par les passions humaines.

« Tout ce qui n'est point dans la nature, dit N°. 64.

B

Rousseau, a ses inconvéniens, et la société civile plus que tout le reste. Il y a telles positions malheureuses où l'on ne peut conserver sa liberté qu'aux dépens de celle d'autrui, et où le citoyen ne peut être parfaitement libre, que l'esclave ne soit extrêmement esclave. Telle étoit la position de Sparte »,

Français ! vos soldats de ligne sont vos Ilotes, et vous n'êtes pas cependant des Spartiates.

Du moment que vous ne savez vous passer d'une armée soldée et permanente, vous vous donnez un besoin dangereux; la liberté publique vous prescrit de rendre ce besoin le moins funeste qu'il se pourra.

Si votre garde nationale étoit votre seule armée, cette armée n'auroit, ne pourroit même avoir le droit exclusif de nommer ses officiers ; cette nomination appartiendroit de droit à la totalité des citoyens, c'est-à-dire, que chaque commune partielle devroit voter en entier dans l'élection des officiers du corps militaire pris dans son sein. De ce qu'un citoyen prend les armes pour l'intérêt de la chose publique, il ne s'ensuit pas qu'il acquerre le droit exclusif d'attribuer une portion d'autorité à tel homme contre le veeu du citoyen qui ne seroit point armé. De ce que vous avez plus de zèle ou plus de facultés physiques à employer au service de la patrie, il ne s'ensuit pas que vous ayiez plus de droits qu'un autre citoyen de la commune; si cela se pouvoit, vous seriez privilégiés, et dès-lors plus d'égalité, plus d'équilibre dans les droits du citoyen; telle a été l'origine de la différence des castes; ainsi s'est opérée l'institution de la noblesse.

Si donc la garde nationale, exerçant dans ses propres foyers son activité civile, n'ayant que des chefs amovibles, et pour un temps limité, n'a pas le droit exclusif de nommer ses officiers, sur quel principe, sur quel raisonnement politique vous

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