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l'on fait répandre avec beaucoup de profusion n'ont pas empêché que l'on n'ait persisté à croire que si on eût envoyé contre Nancy un gẻnéral patriote, il n'y auroit pas eu de sang

versé.

Au reste, tout s'est passé avec beaucoup de tranquillité; les citoyens, à force d'égards pour la garde, et la garde, à force de patience et d'honnêteté, ont su prévenir que les désastres de Nancy ne se répétassent sous nos yeux.

Sans doute que M. Necker a craint que les eris du peuple ne fussent enfin entendus, et que le dieu du mois de juillet 1789 ne fût renvoyé. Il a voulu prévenir cette humiliation; il est parti dans la nuit du vendredi au samedi, après avoir envoyé à l'assemblée nationale sa démission, mais assez tard pour qu'elle ne pût pas être lue. On assure qu'il ne donne point les motifs d'un départ si brusque. Les morts de Nancy auroientils assiégé son ame? Auroit-il enfin senti des remords? L'iniquité ministérielle, qui prépare depuis si long-temps les malheurs de la France, l'auroit-elle effrayé par sa profondeur? Auroit-il voulu sortir du gouffre avant qu'il se fermât sur lui? Nous ne serons pas long-temps sans avoir la clef de cette conduite.

Nouveaux détails sur l'affaire de Nancy.

Une lettre de M. Bouillé au ministre de la guerre donne des détails de ce qui s'est passé au dehors de Nancy. Une autre lettre du directoire du département de la Meurthe décrit ce qui s'est passé au dedans. Nous donnons ces deux pièces pour ce qu'elles valent, et nous désirerions que les soldats, la garde nationale de Nancy, et les gardes nationales du département qui ont assisté à cette bataille, publiassent leurs relations; elles ne seroient pas moins intéressantes que les relations ministérielles.

Extrait de la lettre de M. Bouillé. A Nancy, le premier septembre.

J'ai été trop occupé de toutes les manières depuis mon entrée dans cette ville, pour vous faire le rapport de ce qui s'est passé; je vous en enyoye aujourd'hui le récit. J'ai réuni, le 31, dans la matinée, à Fouare et à Champigneule sur la route de Pont-à-Mousson à Nancy, les troupes destinées à l'exécution du décret de l'assem blée nationale. Je leur ai lu ce décret, ainsi que la proclamation que j'avois faite, et j'ai yu, à la disposition des gardes nationales et des troupes de ligne, que je pouvois tout entreprendre. Je reçus, à onze heures et demie, une députation de la municipalité et de la garnison de Nancy. Je lui donnai audience au milieu des soldats, dont j'eus peine à retenir l'ardeur. Je dis que je voulois que la garnison sortit de la ville, et que MM. Denoue et Malseigne fussent mis en liberté. A midi et demi je continuai ma marche; à deux heures j'arrivai à une lieue et demio de la ville; je trouvai encore des députés, à qui je répétai les mêmes ordres ; j'ajoutai de plus que je voulois qu'on me livrat quatre des coupables par régiment, pour les enyoyer à l'assemblée nationale, qui disposeroit de leur sort.

Un délai d'une heure fut demandé; je l'accordai, A quatre heures il étoit expiré. J'approchai de la vile; je fis arrêter mes troupes à trente pas des murs. Une députation de la municipalité et du régiment du Roi, m'apprit que pour obéir à mes ordres, les soldats partoient. Je courus à mon avant-garde, composée des gardes nationales, pour empêcher toute action. Pendant que s soldats sortoient par les autres portes, une seule étoit gardée par des soldats des trois corps. J'y marche avec l'avant-garde; je fais sommer de rendre la porte, On répond par un coup de canon

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à mitraille, et par une décharge de mousqueterie, Les volontaires ripostent par un feu très-vif; ils enfoncent la porte; il n'est plus possible de les arrêter; ils tuent tout ce qu'ils rencontrent. Arrivés sur la place, je les forme en bataille. On tire sur nous des fenêtres : je fais avancer mes troupes par différentes rues, pour gagner l'arsenal et les quartiers des régimens. Il s'engage un combat furieux qui dure pendant trois heures. Je n'avois alors que 2,400 hommes, et 6 ou 700 gardes nationales; et 10,000 hommes nous attaquoient depuis les maison's et dans les rues. Enfin à sept heures les soldats du régiment de Château-Vieux étant en partie tués ou blessés, en partie faits prisonniers, Mestre-deCamp s'étant sauvé, le régiment du Roi me fait dire qu'il veut se rendre. Je vais seul à son quartier. Les soldats étoient sous les armes ; ils parois sent très-repentans. Je leur ordonne de sortir de la ville, et de se rendre à la destination que j'avois indiquée. Je fais passer les mêmes ordres aux débris de Château-Vieux, et je vais à la municipalité.

Aujourd'hui l'ordre est entièrement rétabli, les citoyens sont satisfaits. J'ai trois régimens Suisses qui restent ici avec moi. Quelques-uns des prisonniers ont été remis au ministère public. J'attends vos ordres sur les soldats de Château-Vieux. Demain il y aura un conseil de guerre, beaucoup seront peut-être condamnés à être pendus. Si le roi ne licencie pus son régiment, il sera peut être convenable de le reduire à deux bataillons, et de le mettre à la queue de l'armée. Nous avons perdu beaucoup de monde, je ne puis encore indiquer le nombre des morts, mais je crois qu'il s'élève à trois cents hommes. Les gardes nationales ont montré le plus grand zèle et le plus courageux dévoûment. Trente hommes de oclles de Metz ont été tués. Auçun citoyen paisible n'a été molesté, Les troupes méritent le plus grand éloge pour leur courage et pour leur zèle patriotique,

Extrait de la lettre du directoire du département de la Meurthe.

«La garnison,inquiète aux approches de M. Bouillé, força le directoire à déclarer que les troupes n'arri voient pas par ses ordres, et à envoyer des députés pour les arrêter. Cette députation consentit à partir pour prévenir le général des obstacles qui se prépareient. lis naissoient du pillage de l'arsenal et des magasins à poudre, de la réunion de la classe indigente de la garde nationale avec les rebelles, de l'obligation où se trouvoient les officiers de marcher à leur tête, et de la position de MM. Malseigne et Denoue, qui pouvoient être égorgés, au premier coup de fusil. Rien n'a arrêté M. Bouillé il étoit nécessaire de sauver la discipline prête à périr. Le 31 août, jour de l'expédition, la fermentation de la garnison étoit à son comble ».

<< La municipalité et le directoire furent forcés de requérir le secours des carabiniers. Le directoire et la municipalité firent plusieurs dépu tations aux troupes de la garnison pour les engager à rentrer dans l'ordre, et à prévenir les malheurs qui alloient fondre sur la ville. Les soldats annoncèrent qu'ils étoient disposés à faire une vigoureuse résistance. Les propositions de M. Bouilié ne furent pas adoptées en entier. On consentit seulement à mettre en liberté MM. Denoue et Malseigne. Les officiers, obligés de marcher à la tête des soldats de la garnison, ont fait tous leurs efforts pour retenir ces troupes. Dans le moment où M. Bouillé fit sommation de rendre la porte, M. Silly, officier des chasseurs du régiment du Roi, s'attacha à la bouche d'un canon pour empêcher le signal du carnage; les soldats furieux Je menacèrent; il ne voulut pas quitter ce poste d'honneur et d'héroïsme, et il ne cessa d'embrasser l'embouchure du canon qu'après avoir reçu quatre coups de fusi, qui heureusement ne sont pas

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mortels. Le combat s'engagea.... Les vainqueurs alloient devant les maisoas où l'on avoit commis lẹ plus d'horreurs, d'où l'on avoit avec le plus d'acharnement tiré sur les soldats fidèles.....».

Lorsque ces lettres furent lues à l'assemblée nàtionale, un profond silence prouva quelle étoit la douleur que chaque membre éprouvoit d'avoir concouru au décret tout brûle, cause véritable des malheurs de Nancy. Mais bientôt un autre sen timent l'emporta; et quoique la conduite de M. Bouillé fût absolument en contradiction avec celle que l'assemblée avoit adoptée par la proclamation de M. Barnave, elle n'en a moins approuvé la conduite de M. Bouillé, et voté des remercimens à la municipalité de Nancy, et à tous ceux qui ont secondé le général.

Il n'y a cependant point de milieu. L'assemblée, après avoir entendu la députation de la garde nationale de Nancy, a préjugé dangereux son décret du 16, et s'est déterminée sur ce motif à éclairer, par une proclamation, des soldats égarés, vexés, abusés. Dès lors, ou elle a eu tort de faire cette proclamation, ou elle a dû blamer M. Bouillé d'avoir précipité la démarche qu'il annonçoit avoir suspendue, d'avoir fait attaquer les troupes quoiqu'elles sortissent, et sur-tout de n'avoir pas répondu plus humainement aux diverses députations. Certes, il ne s'agissoit point de capituler, il s'agissoit d'épargner le sang; et un général, qui n'auroit pas été avide de carnage, avoit une belle Occasion pour l'éviter. M. Bouillé a agi comme le général d'un despote, et non comme général d'une nation libre.

Armée parisienne.

Le grand général La Fayette a fait assembler & la maison commune des députés de tous les ba

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