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tot on cria qu'il falloit fermer la discussion. La sainte colère de M. Biauzat, l'humanité de l'abbé Goutte, de M. Roberspierre, détruisent l'effet de la présence du héros. M. Barnave propose qu'avant de verser le sang on donne aux soldats trompés une preuve que l'assemblée n'avoit pas voulu, ne vouloit pas assurer l'impunité aux officiers. Il propose une proclamation paternelle et l'envoi de deux commissaires patriotes chargés de diriger la force publique. Les ministériels attérés eurent l'air de se rendre à cette proposition, pour sauver les apparences d'une défaite.

Pendant que cette proclamation de paix se rédigeoit à Paris, le sang couloit à Nancy: Voici la nouvelle qu'on en eut ici le 2 septembre, à 6 heures du soir, et qui se répandit le lendemain. C'est une lettre de M. la Tour-du-Pin à l'assemblée.

«Un courrier extraordinaire arrivé hier de Nancy à six heures du soir, a remis chez moi une lettre qui, à la vérité, n'est pas officielle, mais dont mon devoir est de rendre compte à l'assemblée nationale. Les détails qu'elle contient n'étant donnés par mon fils, je crois pouvoir compter sur son exactitude. Voici ce qu'il me mande en substance: M. Bouillé est accablé de fatigues, et n'a ni la force, ni le temps de vous écrire. Il vous avoit mandé que son intention étoit de réunir toutes les troupes, tant nationales que de ligne à Frouard, pour leur lire le décret de l'assemblée nationale, sanctionné par le roi. Elles ont témoigné une ardeur qui donnoit la plus grande confiance dans leurs dispositions. Il est arrivé une députation des de Nancy. Le général a répondu qu'il ne pouvoit corps capituler avec des rebelles aux décrets de l'assemblée et aux ordres du roi ; que si dans deux heures M. Malseigne et M. Denoue n'étoient rendus, et si les régimens n'étoient tous les trois en bataille reposés sur les armes hors de la ville, il se disposeroit à faire exécuter le décret. Après quelques

pourparlers, on a ramené M. Malseigne et M. De noue, et on a dit que les régimens sortoient dans la prairie; mais en même temps on a remarqué une porte gardée par le régiment suisse. Alors l'ardeur des troupes a été grande; elles se sont approchées; on leur a tiré des coups de fusil, et sur le champ l'affaire s'est engagée avec les volontaires qui composoient notre avant-garde. Elle a été même fort vive ».

« Le général est accouru pour arrêter le premier feu; cela étoit devenu impossible. Il n'est plus resté d'autre ressource que la rigueur; elle a été employée. La fusillade dans les rues et des fenêtres a été très-forte. On ne peut savoir encore le nombre des tués ou blessés. Sur quatre officiers qui commandoient nos volontaires, trois ont été tués ; enfin, le régiment du roi s'est réuni dans son quartier, et a envoyé un drapeau et quatre hommes pour capituler. Le général lui a ordonné de se rendre sur le chainp à Verdun, ce qu'il a fait. Le Mestre-de-camp est dispersé ou prisonnier, et a ordre d'aller à Toul. Château-Vieux est partie tué, partie prisonnier. Ce qui reste a reçu l'ordre de se rendre à Vic, Moyen-Wie et Marsal. Il n'est point d'éloges qu'on ne doive donner aux gardes nationales et aux autres troupes. Leur courage a égalé leur patriotisme. Plusieurs sont morts pour cette juste cause; mais l'ordre est rétabli. Nancy respire, et ses concitoyens sont heureux de la voir rendue à la tranquillité ».

A cette lettre étoit jointe une lettre du roi qui est singulièrement remarquable.

« J'ai chargé M. de la Tour-du-Pin de vous informer des événemens qui ont rétabli l'ordre et la paix dans la ville de Nancy; nous le devons à la fermeté et à la bonne conduite de M. Bouillé, à la fidélité des gardes nationales et des troupes qui, sous ses ordres, se sont montrées soumises à leur serment et à la loi. Je suis douloureuse

ment affecté de ce que l'ordre n'a pu être rétábli sans effusion de sang; ma's j'espère que ce sera pour la dernière fois, et que désormais on ne verra plus aucun régiment se soustraire à la discipline militaire, sans laquelle une armée de-viendroit le fléau de l'état ».

Est-ce là le ton d'un homme douloureusement affecté? Ah! ce n'est pas Auguste criant dans tout son palais : Varus, rends-moi mes légions!

D'après les nouvelles du ministre, la bonne conduite de M. Bouillé n'auroit eu aucune part au succès; le combat se seroit engagé sans lui, si fort contre son avis, qu'il courut pour arrétér le premier feu.

La lettre adressée à M. la Tour-du-Pin n'étant point officielle, l'assemblée ne pouvoit pas délibérer à cet égard, mais ce n'étoit pas la le compte du héros la Fayette: il eût été fort bon d'escamoter à l'assemblée un décret d'approbation et de remercimens pour le général Bouillé; il s'empresse de certifier la vérité des détails donsés par le ministre; ils lui avoient été rapportés, dit-il, par M. Desmotte, son aide de camp, qui s'étoit trouvé en cette même qualité (chose étrange) près de M. Bouillé pendant l'action de Nancy, et qui y avoit été blessé. Il sembloit que l'assemblée n'avoit qu'à répéter les mots d'éloge qui se trouvoient si à propos dans la lettre du roi; mais l'assemblée témoigna le désir d'attendre des nouvelles officielles, et M. Chapelier s'empressa de demander qu'on passat à l'ordre du jour.

Nous imiterons la prudente circonspection de l'assemblée nationale, nous attendrons de plus grands éclaircissemens pour donner une opinion sur ce triste événement. Nous avons présenté à nos lecteurs une masse de faits qui fournissent matière à de vastes réflexions. La disposition

actuelle

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actuelle des esprits et l'idée de la mort de trois cents de nos frères ne nous permettent pas de nous atta cher plus long-temps à cette affaire.

(La suite à l'ordinaire prochain ).

Effet produit à Paris par les nouvelles de Nancy

Dès que l'on sut à Paris la victoire de M. Bouille et la perte de tant de citoyens et de soldats de part et d'autre, il n'y eut qu'un cri contre le choix qu'on avoit fait de ce général : on disoiti qu'un chef patriote auroit fait mettre bas les armes aux régimens, sans tirer un seul coup de fusil; on demandoit pourquoi il n'avoit pas attendu les deux commissaires qu'il avoit appelés lui-même; on se plaignoit de ce qu'il n'avoit pas écouté les soldats, lorsqu'ils lui envoyèrent une députation; pourquoi il ne s'étoit pas trouvé à la tête du premier corps, pour empêcher que l'affaire ne s'engageât par un mal-entendu. Enfin, on citoit la proclamation décrétée par l'assemblée nationale, comme une preuve que le décret du 16 août lui ávoit été surpris.

La colère publique se tourna contre les mintstres, c'étoient eux, disoit-on, qui avoient fait passer de faux renseignemens à l'assemblée, après lui avoir caché les crimes que commettoient depuis long-temps les officiers. C'étoient eux qui avoient bravé l'opinion publique, en nommant pour chef de la réduction de Nancy un officier généralement regardé comme ennemi de la révolution et particulièrement des soldats de Nancy.

Ces réflexions devoient produire une explosion, et elles la produisirent; 40 mille hommes se rendirent aux Tuileries, devant la salle de l'assemblée nationale, et un cri universel demanda le renvoi des ministres.

Lorsque les têtes furent échauffées, les motions se multiplièrent; on proposa d'aller les enfermer dans leurs hôtels, et de leur donner des gardes; No. 60.

C

d'autres vouloient qu'on placât une garde de citoyens aux barrières pour les empêcher de partir. Tout-à coup une voix crie: Allons à SaintCloud. Un NON universel rejette la motion, qui fut inutilement répétée plusieurs fois : ce fait prouve qu'il n'est pas aussi facile qu'on le dit de faire prendre au peuple, tumultuairement assemblé, le plus mauvais parti. Quatre jeunes gens voulurent grinper aux croisées de la salle, pour y répéter la demande du peuple; on se porta unanimement à les en empêcher.

Enfin, on se décide à envoyer une députation à la barre de l'assemblée. On nomme six députés; ils partent; mais la députation n'est pas légale; elle n'est pas reçue. Cependant les cris, qui contiauoient sur la terrasse des Feuillans, effrayèrent sans doute les aristocrates; car plusieurs d'entre eux passèrent du côté gauche, fait essentiel à noter, et qu'il faut opposer à ceux qui prétendert qu'il faudroit entrer dans l'assemblée, et en chasser les noirs. S'ils portoient sur leur front un signe de réprobation, cette opinion pouvoit être regardée comme un délire patriotique; mais comme il seroit impossible de distinguer les aristocrates des patriotes, on ne peut voir dans cette idée qu'une suggestion aristocratique.

Quand le peuple fut fatigué de crier sur la terrasse des Tuileries, il résolut d'aller arrêter la Tour du Pin, ou de demander à M. la Fayette d'en répondre; le premier parti prévalut, quatre à cinq mille hommies partirent pour aller à l'hôtel de la guerre; mais en arrivant ils trouvèrent une garde nombreuse, deux pièces de canon, et la mèche allumée. Ils devoient s'y attendre; car si la Tour-du-Pin est coupable, le sieur la Fayette ne peut pas être innocent.

Le lendemain vendredi 3, une égale quantité de citoyens se rasembla aux Tuileries, et cria long temps le renvoi des ministres. Tous les papiers remplis d'éloges pour M, de Bouillé, que

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