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quillité de Nancy, tandis que la garde nationale de cette même ville certifie que les citoyens étoient tranquilles, quand on représentoit ici la ville en feu, que le mouvement des troupes étoit tout intérieur, et qu'aucun citoyen n'a été ni insulté, ni menacé.

Mais avec ces procès-verbaux exagérés, on produisit à l'assemblée une lettre de ce sieur Denoue, coupable d'avoir si long-temps laissé vexer les soldats patriotes par les officiers, coupable de les avoir traités de brigands, et irrité d'avoir eu des excuses à faire à des inférieurs cette lettre écrite sans doute dans un accès de rage, et qui fut lae la première par M. Emmery, porte: « La glace est rompue; malgré le décret du 6 août, les comités ont continué»: fait absolument faux, et dont le procès-verbal municipal ne parle pas. Le régiment du Roi a commandé un détachement de 200 hommes pour aller s'emparer de ce qui restoit dans la caisse.

De ce qui restoit, monstre! Non, ce n'étoit : pas de ce qui restoit, c'étoit de la cisse scellée ét cachetée, pour la porter chez le major, au quartier, où elle devoit être, et parce qu'on avoit insulté, provoqué les soldats en la faisant garder par la maréchaussée.

Enfin la lettre de Denoue portoit autant de on que la fameuse proclamation-la- Fayette, du 31 juillet (1). On répand des bruits alarmans, on dit que les soldats vont proclamer un commandant, on doit faire trainer son char par les officiers. Ce fut au milieu des ébranlemens causés par cette lettre dans les têtes des députés, que le perfide Emmery proposa le fatal décret-jugement du 16 août contre la garnison de Nancy.

(1) Voyez n°. 56, page 182. No. 60.

* B

Il faut que la France, que l'Europe, que la postérité sachent quelle discussion précéda ce décret. La voici lorsque le projet eut été lu, Emmery dit: « Le ministre et les députés de Nancy conviennent que ce décret est nécessaire; TOUT PRESSE; TOUT ERULE. Il y auroit le plus grand danger dans le plus léger retard ».

Le décret passe sans discussion et à l'unanimité.

En examinant ce décret, on verra qu'il n'est pas une loi, mais un jugeinent; et ce jugement est rendu, sans que les accusés ayent été entendus, et sans que l'assemblée ait eu preuve légalé des

accusations.

Le décret tout brûle contenoit d'ailleurs une souveraine injustice contre les soldats, ou une partialité évidente pour les officiers. Le décret du août laissoit impunis, promettoit l'impunité aux officiers qui ont distribué des cartouches jaunes aux patriotes, et ne créoit point un tribunal pour instruire contre les officiers qui avoient cherché à égarer le soldat; enfin, il laissoit ce soldat sous la verge de l'officier, même coupable de crime de lèse-nation. Ce fut absolument cette impunité, ce triomphe dangereux décerné aux officiers, qui ne mit pas l'esprit du soldat dans cet état de calme auquel le décret l'appeloit. Eh bien! par ce décret. du 16 août, qui promet l'impunité à ces chefs ils sont tellement préjugés innocens, irréprocha bles, que c'est à eux que les soldats doivent remettre leur soumission, et la preuve écrite de leur repentir. Disposition étrange, et qui mettoit les soldats dans l'alternative ou de fournir des pièces littérales de conviction contre eux-mêmes, quand ils seroient innocens, ou de désobéir au décret.

Ce décret est proclamé à Nancy le 20 août; la garnison, sur-tout le régiment du roi, déclare s'y soumettre; le reste du jour se passe dans la plus vive joie. La garde nationale envoye même

une députation, pour désabuser l'assemblée nationale sur la plupart des faits, par lesquels on lui a surpris le décret-tout brûle. Ces députés croisent en route les deux soldats députés du régiment du Roi, qui se rendoient à Nancy avec un officier de la garde nationale parisienne.

A leur arrivée, le samedi 21, l'ordre public étoit parfait au dehors et n'avoit jamais été troublé; pourtant c'étoit un bruit fort accrédito que les soldats députés avoient été pendus à Paris: Et ce sont-là des révoltés!

M. de Malseigne est arrivé à Nancy le 25. « La manière dont il a parlé a fait croire qu'il ne rendroit peut-être pas justice, qu'il étoit prévenu ». Rien n'est plus simple; ce Malseigne est un aristocrate double, qui, sans ce titre de recommandation, ne commanderoit pas sur la frontière, et n'auroit pas été envoyé inspecteur.

M. de Malseigne est allé au quartier des Suisses, le 26, sans doute pour examiner les comptes. Lorsqu'il a voulu sortir, le factionnaire a voulu l'en empêcher (le motif de cette démarche est encore inconnu). M. de Malseigne donne un coup d'épée au soldat, qui est défendu par un autre. Malseigne sort l'épée à la main; alors le régiment étoit assemblé.

Sur la nouvelle que les Suisses attentent à la liberté, à l'autorité de M. Malseigne, on requiert le régiment du roi de marcher contre eux; le régiment prend les armes et marche contre les Suisses, Et ce régiment est révolté! Et l'on a osé donner pour fait certain à l'assemblée nationale, qu'il y avoit une coalition formée entre les trois régimens contre ses décrets! Et les soldats du régiment du Roi ne se sont retirés que quand leurs chefs leur ont dit de rentrer dans leur quartier, que tout étoit fini, que M. Malseigne étoit en sureté!

Dès que le bruit de ce qui s'étoit passé entre * Ba

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cet officier et les Suisses fut connu des soldats et du peuple, M. Malseigne fut regardé comme un assassin. Il avoit plongé son épée dans le corps d'un soldat, qui, à la vérité, étoit gravement coupable contre la discipline. Il part de Nancy le 28; divers membres des régimens se mettent à sa poursuite; un détachement de Carabiniers se trouve là tout prêt; M. Malseigne est à la tête, il charge les soldats, les tue, les blesse et les fait prisonniers.

Cette nouvelle fait naître ou accrédite le bruit que les soldats sont trahis. Dans toute la ville on crie à la trahison; que les Autrichiens et les Anglais sont sur la frontière, qui est dégarnie; que M. Malseigne a été les joindie; qu'il va venir fondre sur Nancy à la tête des Carabiniers. Sur le champ les soldats s'arment pour se mettre en campagne; ils arrêtent le sieur Denoue et l'officier de la garde Parisienne, qui est accusé d'être un traitre. Le premier est mis au cachot; le secoad est retenu au milieu des soldats. Ils partent vers la nuit pour aller au-devant d'un enneini qui n'existoit pas.

Ces faits furent rapportés par M. de Bouillé à M. la Tour-du-Pin, qui les rendit à l'assemblée; mais ils ne lui apprirent pas un mot de la conduite sanguinaire du sieur Malseigne, de l'erreur où étoient tombés les soldats, erreur si cruellement justifiée par la conduite des officiers depuis six

mois..

Ici s'ouvre une autre scène : Portons nos regards sur l'assemblée nationale. Lorsque la lettre de M. Bouillé fut lue, lorsqu'on vit qu'il étoit forcé de convenir qu'il étoit regardé dans le pays comme un ennemi de la revolution, tous les citoyens frénirent de l'atrocité ministérielle que prouvoitsa nomination au généralat pour l'exécution du décret contre la garnison de Nancy: il demandoit qu'on envoyat deux députés de l'assemblée pour commissaires.

Le brave Emmery avoit un projet de décret tout préparé. Les aristocrates, et les ministériels sur-tout, avoient leurs rôles prêts; aussi lorsque la motion du renvoi de la lettre aux trois comités réunis fut faite par MM. Alexandre Lameth, Roberspierre, Cottin, etc., le parti adverse se trouva en force, et Emmery proposa son décret. Il restera ce projet, pour la honte de tous ceux qui l'ont appuyé, et qui savoient bien qu'ils ne cherchoient qu'à procurer une excuse anticipée à tout ce que M. Bouillé pourroit faire.

Oui, l'on a proposé au premier corps législatif de France de décréter qu'il approuvoit ce qu'avoit fait ET FERA, conforméinent aux ordres du roi, le général Bouillé, en exécution des décrets de l'assemblée nationale.

Ce projet de décret, s'écria M. Cottin, est la proclamation de la guerre civile. M. la Rochefoucaud appuye ce projet; mais MM. Salle, Roberspierre demandent que l'on entende au moins auparavant la députation de la garde nationale de Nancy.

Le récit des députés ouvre enfin les yeux à la portion trompée de l'assemblée nationale, à ces hommes qui ne sont cruels que parce qu'ils craignent et qu'ils sont foibles. Le parti ministériel sent qu'il a l'opinion contre lui. Le sieur Duquesnoy se concerte avec le sieur Einmery, et amende son projet, en proposant simplement de donner des espèces de lettres de créance à M. Bouillé à ce M. Bouillé, dont le choix étoit un crime, et dont le nom seul étoit un obstacle à ce qu'il réussit sans verser du sang.

Le club de 1789, pour obtenir que la discussion fùt fermée, employa une tactique qui lui est familière, et qui date du décret sur la guerre et la paix. Il fit paroître le héros la Fayette, qui, appuyant M. Duquesnoy, demanda que l'assemblée témoignât son approbation à M. Bouillé aussi

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