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Duel refusé.

Il étoit réservé à celui qui rendit à la Francele grand service de crier aux armes le 12 juillet 178,, à celui qui eut la première idée d'une cocarde nationale, et qui l'arbora le premier, de donner aux Français un exemple non mois grand,, noa moins utile, et qui ne suppose pas un moindre courage. M. Desmoulins vient de refuser un cartel, et il a eu la fermeté de remplir l'avis que nous avions donné () d'insérer l'aveu d'un tel refus dans les papiers publics.

Cétoit, à la vérité, le cartel le plus déraisonnable, le plus méprisable qui eût été pré enté dans les vingt dernières années de servitude qui out précédé la révolution. M. Desmoulins dinoit chez le suisse du Luxembourg il y a quelques jours. Naudet et Desses arts, comédiens du théatre français, se trouvent dans la même salie'; ils adressent en soitant les injures les plus gros, ères à cet écrivain. Un air de pitié et de mépris devot être et fut sa seule répon e. Dessessarts s'avance vers lui, les poings tendus, et réitère la même

vocation.

pro

« Ce sera, dit M. Desmoulins en continuant de harceler les noirs et les ministériels que je me vengerai. Il me faudroit passer ma vie au bois de Boulogne, si j'étois obligé de rendre raison à tous ceax à qui ma franchise déplait. Qu'on m'accuse de lacheté si l'on veut.... Je crains bien que le temps ne soit pas loin, où les occasions de périr plus utilement et plus g'orieusement ne nous manqueront pas ».

Non, non, personne n'accusera de lâcheté le

(1) Voyez no. 57, page 227.

No. 59.

C

héros du 12 juillet. Personne n'accusera de lâcheté plusieurs de ces patriotes qui, dans l'intervalle du 23 juin au 15 juillet, au moment où Paris étoit ceint de troupes, où ils pouvoient être enlevés sans résistance, où leur tête devoit, selon toutes les probabilités, être le prix de leurs courageuses motions, et qui viennent de se promettre de refuser tout cartel, de mépriser les injures, et de repousser les excès par une prompte et terrible résistance à l'oppression. La lacheté seroit de ne pas réserver sa vie pour la patrie dans les circonstances où elle se trouve, et de donner dans les piéges des ennemis de la liberté, qui ne trouvent rien de mieux pour asservir les patriotes, que de tâcher de se défaire en détail de leurs chefs dans tous les genres. Car c'est un point important à remarquer que, dans toutes les dernières querelles, ce sont les patriotes qui ont été provoqués.

Il y a encore une réflexion à faire sur certaines provocations. Ce seroit exposer la cause du parti opposé à la liberté à un trop grand danger, que do faire attaquer les chefs ou les conseils des patriotes par des aristocrates avoués. Le peuple verroit tout d'un coup le but ultérieur de ces provocations, et il feroit justice des provocateurs. C'est donc des êtres mixtes, des gens couverts du masque et de l'habit patriotique, qui seront char. gés d'appeler les vrais patriotes à se couper la gorge avcc eux, sans aucune autre raison apparente, que celle de gagner les bonnes graces ou l'argent des chefs du parti opposé.

Le sieur Naudet est, dit-on, officier de la garde nationale, et le sieur Dessessarts sapeur du bataillon des vétérans. Voilà bien le masque et l'habit patriotique; à quoi leur servent-ils ? à jouer un rôle qui pourroit leur valoir une pension sur certaine cassette, et à paroître moins insupportables sur le théâtre de la cour.

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Autant M. Desmoulins mérite d'être honoré, applaudi pour cette affaire, autant ces deux spadassins doivent être méprisés (1). Ils avoient calculé qu'il ne pourroit les traduire en justice, puisqu'il a récusé le châtelet, le seul tribunal en activité; qu'il n'accepteroit leur défi qu'en s'expo. sant à l'improbation qu'il avoit donnée lui-même à un député qui s'étoit battu quelques jours auparavant enfin, qu'en le provoquant de compte à demi, en lui présentant la chance d'un double danger, ils lui donneroient un motif de plus de les gratifier d'un refus. Pour peu que l'on connoisse la théorie du spadassinage, on découvre beaucoup de poltronnerie et de lâcheté dans les agressions les plus téméraires en apparence.

Donnez une explication à certains hommes, avec modération et avec franchise, ils la prennent pour de la peur; aussi-tôt viennent les grosses injures; et si vous daignez les écouter, le cartel ne se fait pas attendre long-temps. Quand y aura t-il en France assez d'hommes raisonnables pour apprendre aux autres à conspuer les spadassins, la dernière espèce parmi les hommes, même après les voleurs de grand chemin. Si le préjugé du duel survit à l'abolition

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(1) On a dit, « qu'un colonel ou un officiergénéral, n'étoient point tenus, selon les règles du spadassinage, de se battre avec un soldat ou un simple officier; et que, par conséquent, un écrivain qui produit des idées utiles ne devoit point être tenu de se battre avec un histrion, qui ne fait que des gestes ou des grimaces ». Ceci n'est que plaisant; l'on peut cependant partir de là, pour calculer l'énorme différence qu'il y a souvent entre les chances et les enjeux des duellistes, et pour réfléchir sur les bizarreries des prétendues règles du spadassinage. Un homme de qualité ne dégainoit point contre un homme du peuple, et un honnête homme étoit tenu de dégainer contre un fripon. Pauvres Français!

Ca

1

du régime féodal, il n'y aura jamais de vraie liberté. Le meilleur citoyen, le plus honnête homme sera toujours l'esclave du premier vaurien, du premier valet-tuer qu'on lachera contre lui.

Il seroit possible d'accélérer notre régénération, en faisant un exemple de Noudet et de Dessessarts. Le public ne perd o't rien en faisant chasser ces deux spadassins du théatre. Dessessarts est un monstre ridicule, qui ne seroit pas reçu dans une troupe du troisième ordre. Nandet joue la tragédie comme un raccoleur, et la comédie comme un capucin. Les Parisiens pourroient donc prendre le parti que prirent les Bordelais dans une semblabie

occasion.

Ua comédien provoqua un négociant à un bal qui fut doncé, sauf erreur, lors du voyage de M. d'Artois à Gibraltar. Le négociant eut beau répondre que la fortune de vi: gt familles dépendoit de Ses relations commerciales, ainsi que le sot de sa femme et de ses enfans, et que des lors il ne pouvoit pas jouer sa tête contre celle d'un homme qui n'avoit point d'existence sociale, Whistrion n'en devint que plus pressant et plus impertinent. Le magistrat de police, qui fut instruit. de la scène, fit conduire sur le champ l'agresseur en prison; mais le public demanda qu'il fût chassé. Prières, médiations, grandes excuses sur le theatre, tout fut inutile: il fallut le renvoyer; et comme les directeurs avoient mis de la mauvaise grace dans leur conduite, quelques mille citoyens, as enblés au jardin public, sans aucune espèce de troable. decidèrent qu'il falloit s'abstenir pendant trois mo's du spectacle, et pendant trois mois on n'alla point au spectacle: les étrangers et les nouveaux, arrivans se conformèrent à cet arrêté. Les Bordelais ont de la tête, du carère; ils l'ont pins d'une fois glorieu-ement prouvé dans la révolution. Le duel est assez fréquent a Bordeaux. Si, à tant d'exemples, que les Borde:ais ont donné, ils ajou

toient celui d'abolir chez eux le duel et les rencontres; quelle gloire ils acquerroient! car les exemples d'un peuple belliquerx, d'une grande commune, auroient bien plus de force que celui d'un simple citoyen.

Affaire de l'abbé de Barmond.

La curiosité publique n'a presque point été autant aiguillonnée depuis le commencement de la révolution, que par le rapport qui devoit être fait lundi dernier par le couité des recherches, sur l'évasion de Bonne Savardin. Un ministre impliqué dans la couspiration dont cet accusé est l'agent, le jour et les moyens de l'évasion, un deputé du côté des no'rs qui favorise sa fuite, enfin la marche du projet qui semble toujours alier vers son but, parce qu'un agent intermédiaire est facilement remplacé; tout excitoit l'inquié tude publique. Ce rapport a été fait; l'interrogatoire de Bonne Savardin est encore la pièce la plus frappante et la plus claire. Voici son récit :

«Les deux particuliers qui me firent sortir de la prison de l'Abbaye, et qui me sont absolument inconnus, dit M. Bonne, me conduisirent sur le quai des Mor fondus, et m'y laissèrent; je traversai les cours du pa ais avec mon nécessaire sous le bras; je pris, dans la rue Saint-Louis, un fiacre avec lequel j'errai long-temps; je descendis dans la rue Neuve des Petits-Champs, où je rencontrai ue femme à laquelle je demandai un gite: elle m'indiqua une maison où je demeurai la nuit, et que je ne pourrois reconnoître. Je passai les deux nuits su vantes, l'une sous un hangard, l'autre sur mes pieds, et le lendemain, à six heures du matin, J'ai invoquer la sensibilité, et même la pitié de M. Bermond, que je ne connoissois que de réputation; je le supplai de me donner un asyle; il me refusa: son refus me mit au désespoir; enfin il me

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