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et nous pouvons recevoir d'Espagne, ou y faire passer des secours d'hommes, d'argent, de vivres,' sans craindre qu'ils puissent être interceptés par l'ennemi. Sous ce point de vue, notre alliance avec l'Espagne dépend moins des combinaisons politiques que de la nature des choses.

Par une singularité remarquable, la plus importante de nos colonies est dans l'ile Saint-Domingue, dont la partie occidentale est possédée pr les Espagnols, et dont la partie orientale nous appartient depuis la paix d'Utrecht; en sorte que la prospérité, la tranquillité de cette colonie, et le besoin de la protéger, engagent naturellement les Français et les Espagnols à unir leurs forces dans le nouveau monde comme dans l'ancien.

Cette loi, que la position géographique des deux états dicte aux peuples qui les habitent, est - elle contrariés par les combinaisons politiques? Nous avons des fles; nous les avons : leur conservation intéresse la fortune d'une portion considérable de citoyens. Il faut les protéger. Nous avons des côtes immenses en France sur les deux mers; on peut venir les ravager à l'improviste, et nos eunemis pourroient, tranquilles sur leurs vaisseaux, partager le butin qu'ils auroient fait sur nou. Il nous faut donc une marine militaire; mais notre position vers la Flandre, la Lorraine, l'Alsace, le Dauphiné, exigent aussi une armée et de grandes dépenses. Les Anglais, long-temps nos rivaux-, sont peut être aujourd'hui nos amis; mais tant que les opérations du cabinet anglais ne seront pas soumises, comme les nôtres, à la discussion du corps législatif, on peut craindre que ce gouvernement ne nous attaque contre le gré de la partie éclairée de la nation. Or, sommes-nous en état de faire tête à une flotte de cent vaisseaux de ligne, que l'Angleterre peut, avec quelque apparence, faire sortir de ses ports? Quand nous le pourrions, ce seroit en doublant la dépense de notre

marine gardons les 40 millions annuels qu'elle nous coûteroit de plus, et joignons nos vaisseaux à ceux des Espagnols, pour établir la balance maritime en cas d'attaque.

Le commerce est un objet de peu d'importance quand il est opposé à la liberté; mais lorsqu'il n'est qu'accessoire, lorsqu'il se joint à des considérations d'économie publique et à des rapports physiques, il mérite de faire poids dans la balance. Or, nos commerçans regardoient une rupture avec l'Espagne comme un coup funeste à leurs

intérêts.

Certes, il eût été impolitique et dangereux de pousser parmi les mécontens une classe fort attachée à la révolution, parce qu'elle leur promet tôt ou tard la liberté absolue du commerce (1).

Notre sureté et notre commerce exigent pour ce moment, notre sureté et notre position physique exigent pour toujours, que nous restions unis à l'Espagne. Nous nous unissons à elle dans des vues exclusivement défensives; nous renonçons aux clauses du traité par lequel l'Espagne devoit nous aider à attaquer : nous ne devons donc porter aucun ombrage aux puissances étrangères. Nous armons, inais c'est en second; l'Angleterre et la Hollande sont armées : nous ne pouvons donc pas être suspects d'agression. L'assemblée nationale a donc

(1) Nous sommes véritablement tributaires de l'Espagne; c'est elle qui nous fournit les piastres avec lesquelles nous faisons notre numéraire, que l'on fond en Italie et en Allemagne. Voilà deux grands maux auxquels il faut remédier. Un papier-monnoie-assignat peut nous tenir lien en partie de ce que nous tirons à grands frais de l'Espagne, et une refonte bien entendue de nos mornoies nous mettroit à l'abri des spéculations des étrangers, et même de nos orfévres sur notre numéraire, évidemment

évidemment adopté le parti le plus juste et le plus raisonnable qu'il y eût à prendre.

C'est un malheur, c'est un très grand malheur quand l'esprit public ou seulement une partie de la nation est opposée aux mesures extérieures de la puissance publique. Cette opposition paralyse une partie des ressources et du courage (1). Il faut donc parcourir les objections que présentent contre ce décret les bons et les mauvais citoyens. L'unité des opinions assure l'unité des efforts. Il seroit heureux de pouvoir calmer les inquiétudes des patriotes, et fermer la bouche aux malveillans.

La saison est si avancée, dit-on, que l'escadre anglaise ne pourra pas tenir la mer plus de trois semaines, et la réponse d'Espagne à L'ULTIMATUM de Londres ne peut pas y arriver avant la miseptembre. Cela peut être vrai: mais pensez-vous qu'une partie de l'escadre anglaise ne puisse pas avant la mauvaise saison ces courans d'air gagner qui conduisent si surement vers nos colonies ? Sommes-nous prêts à la suivre ? Pas absolument. L'Espagne le peut; mais il faut qu'elle soit sûre pour cela que nous remplacerons, en Europe, les vaisseaux qu'elle détacheroit pour suivre la division anglaise.

Supposons, au reste, que toute l'escadre anglaise rentre dans ses ports après avoir fait des évolutions dans la Manche, ne sera t elle pas toute prête à partir à l'entrée du printemps prochain? et si nous laissons passer l'hiver sans nous être mis en défense, l'Angleterre n'auroit-elle pas tout entrepris, tout exécuté avant que nous y eussions songé?

(1) Voyez no. 55, page 112,
N°. 59.

B

La saison est avancée: tant mieux. Si la guerre est différée jusqu'au printemps prochain, la constitution sera achevée, l'armée organisée, les biens ecclésiastiques seront vendus en partie. L'avancement de la saison est donc pour nous un motif de compter sur le succès de nos préparatifs, mais non pas un motif de n'en point faire.

On veut nous attirer dans une guerre qui ruinera notre liberté, et qui absorbera une partie de nos finances et de notre commerce.

Notre liberté! J'avoue que je ne comprends pas l'objection. Si le roi d'Espagne étoit tranquille du côté de l'Angleterre, et qu'on nous assurât qu'il va tourner ses armes contre nous et secourir la maison de Bourbon, il y auroit quelque apparence; mais s'il est en guerre ou seulement en perspective de guerre avec les Anglais, comment pourroit-il aider aux Bourbons à nous asservir?

La Prusse, la Hollande vont se joindre à l'An-` gleterre et nous combattre. Dans cette supposition, je ne vois pas que notre liberté soit menacée, et certes, nous nous défendrons mieux avec les Espagnols que seuls. Mais pourquoi ces états se joindroient-ils à l'Angleterre, si elle commet une injuste agression? Ils n'ont pas à craindre que la France veuille s'agrandir; et enfin leur but unique seroit de faire rendre à l'Angleterre ce qu'elle prétendroit, mais non pas à faire rendre au roi des Français une autorité despotique qui peut leur être nuisible.

Depuis long-temps la Hollande doit être fatiguée des intrigues des ministres de France, des divisions qu'ils sèment dans cet état; et le gouvernement hollandais doit préférer pour voisin un peuple libre avec lequel les traités sont francs et les négociations sures, à un cabinet despotique, injuste et tracassier.

Il faut en dire autant du roi de Prusse. Ilaimera mieux voir en Europe un peuple avec lequel il sera toujours sûr ou de la paix ou de la guerre, et qui ne le fatiguera point d'intrigues de cabinet. S'il y a guerre, tous les rois voudront que le traité de paix soit fait avec la nation française.

Supposera-t-on qu'après nous avoir engagés dans une guerre, l'Espagne fera une paix secrète et se rangera du côté de nos ennemis? Jamais l'Espagnol ne commettra cette perfidie. En tout événement vaut-il mieux l'avoir contre nous sans que nous ayions fait aucun préparatif, qu'après nous être procuré une flotte respectable.

Notre commerce! il se peut qu'il ait à souffrir de la guerre, si elle a lieu; mais l'inaction n'est guère moins funeste au commerce que les dangers; et du moins nos armateurs entreprendront, s'ils voyent que le gouvernement se mette en état de les protéger. Enfin faut-il s'exposer à voir arrêter tous nos retours maritimes avant une déclaration de guerre ?

Nos finances! ah! sans doute, la perte est évidente. Mais si elle est nécessaire pour en éviter de plus grandes, c'est au sort, c'est à la frénésie guerrière des autres puissances qu'il faut l'imputer. Que l'armement coûte 50 millions, c'est au moins 35 millions de biens nationaux que l'on fait passer entre les mains de la partie travaillante du peuple; car ce ne sont pas les courtisans qui font les câbles, les voiles, les cloux, les salaisons, le biscuit, les armes; ce ne sont pas eux qui construisent et qui radoubent. Il falloit autrefois enlever les charrons, les charpentiers de leurs travaux pour les envoyer dans nos ports; aujourd'hui, la stagnation des ouvrages particuliers les forcera de s'y rendre. Combien d'ouvriers d'un état analogue, combien de manoeuvres et de gens oisifs yont trouver leur subsistance, et même des épargnes,

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