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main de servir ou d'amuser les deux partis à la fois; voyez ce qui arrive au général la Fayette. Enfin M. le maire, après avoir consulté le conseil général, moins pour la forme que pour cause, ainsi que nous l'avons dit, s'est mis à la tête de la dépiration de la commune; cette députation a fait hurler les noirs; elle a été accueillie avec transport par les patriotes et par les galeries. M. Danton a lu l'adresse.

Escortes de M. le maire et du commandant général de l'armée parisienne.

Deux cavaliers montent la garde sous le vestibule de la salle de l'assemblée nationale, deux autres à la porte du palais du pouvoir exécutif, deux autres aux portes de la maison .de ville, deux autres enfin à l'hôtel de la mairie; et personne ne s'est encore avisé d'en demander la raison ; elle saute aux yeux. Mais c'est chaque jour avec un étonnement nouveau qu'on rencontre dans les rues de Paris le carrosse de M. le maire, précédé de deux cavaliers. M. le commandant géné ral a pris aussi cette habitude. Ces deux messieurs auroient-ils contracté celle de donner des ordres en courant? Nous aimons à croire qu'ils y mettent plus de réflexion.

Que signifient donc ces deux satellites trottant de compagnie avec les chevaux de MM. Bailly et la Fayette? Pourquoi les uns vont ils devant la voiture du maire? Pourquoi les autres vont - ils derrière le carrosse du général? Que veut dire cette distinction? Et pourquoi des distinctions à ces deux messieurs hors de leurs fonctions ? M. Bailly est maire dans sa salle d'audience, rue des Capucines. Il l'est sur le siége municipal de l'hôtel de ville. Mais siége-t-il encore pendant ses allées et venues au fond de son équipage? Le

panache et le cheval blanc du général ne le dési gnent-ils pas assez ? et le commandant d'une ar mée doit-il être reconnu pour tel ailleurs encore qu'à la tête de sa troupe? Importe-t-il beaucoup que l'on sache que ces messieurs passent? Et seroient-ils sensibles à ces petits chuchotemens que les badauts font entendre sur leur passage? Seroitce pour eux une jouissance de voir, au bruit de leurs cavaliers, les femmes et les enfans sortir de leur maison, et se tenir sur le seuil pour les regarder passer, et se dire, en se frottant les mains d'aise: Tiens! voilà M. le maire de Paris; le voistu? Non; je n'apperçois que sa lorgnette. Tiens! voilà M. le marquis de la Fayette. Je le reconnois bien à sa chevelure blonde et bien frisée. Je l'aimois mieux, dit un voisin, quand il portoit ses cheveux plats et sans poudre. Il ressembloit moins à un courtisan.

Ces doux murmures sont flatteurs pour de certaines oreilles, il faut en convenir. Mais on avouera aussi que se faire accompagner de deux cavaliers sent un peu l'ancien régime, et même, quelque chose de plus. Jadis le gouverneur de Paris ne se faisoit précéder de gardes qu'aux jours de cérémonie; le reste de l'année, son carrosse rouloit sans escorte.

MM. Bailly et la Fayette sont bien modestes de croire que leur mérite personnel ne suffit pas toujours pour leur attirer les regards de la multitude. Le président de l'assemblée nationale au jeu de paume de Versailles, et le frère d'armes de Washington, en Amérique, ont-ils besoin à Paris d'une vaine représentation? Ne seroit-il pas tout aussi fatteur pour eux d'entendre dire sur leur passage ce sont les premiers de la ville; eh bien! ils ne s'en font pas plus accroire que le dernier des citoyens; ils ne cherchent point à en imposer, et ne veulent d'autre cortége que leurs vertus civiques. Que répondreient ces deux mes

sieurs à un homme du peuple, qui, traînant avec sa famille une charretée de légumes, et se voyant mis de côté par le geste impératif de deux cavaliers, l'épée nue à la main, s'obstineroit à garder le milieu de la rue, et s'élançant à la portière du carrosse de l'un de ces messieurs, l'apostropheroit ainsi, en enfonçant sur sa tête son bonnet de laine: « M. Bailly, car je vous reconnois! de quel droit me forcez-vous à vous céder le pas? Vous n'êtes point ici maire; sur de pavé de Paris, nous sommes tous deux ni plus ni moins l'un que l'autre; nous allons chacun à nos affaires, et les miennes sont peut-être tout aussi importantes que les vôtres. Avant le de 14 juillet, il me falloit à chaque rue céder le pas à quantité de petits grands seigneurs courant dans leurs cabriolets, précédés de leurs piqueurs. Depuis le 14 juillet, je me croyois délivré de ces papillons importuns. Je ne m'attendois pas à les retrouver dans la personne du premier magistrat de la ville. M. Bailly! nous défrayons votre voiture, afin que la fatigue de vos jambes n'affoiblisse point votre tête qui a besoin de ménagement. Mais quant à ces deux estaffiers à cheval, je ne sens pas la nécessité de les voir à la tête des chevaux de votre voiture. Mettez-vous un moment à la portière, et il n'est pas de citoyen qui ne s'empresse à vous céder le passage; mais faites-nous grace de ces airs de grandeur qui nous offusquent, puisqu'ils nous rappellent l'ancien régime que nous avons aboli. M. Bailly! souvenez-vous que nous sommes tous frères, et que nous ne vous devons tout au plus que les égards qu'on ac- corde à son aîné ».

Sur le despotisme des municipalités.

Nous l'avons déjà dit, et l'on ne sauroit trop le répéter; le genre de despotisme le plus dangereux

est

est celui qui est revétu des formes légales (1). Lorsque le peuple est opprimé par l'homme de la loi, par celui dans lequel il a placé sa confiance, il ne lui reste plus qu'à porter la peine de son mauvais choix, ou bien à se livrer aux dangers d'une insurrection. Voilà l'effet des abus de l'autorité municipale; et cette triste alternative ne tend à rien moins qu'à faire regretter l'ancien régime, à cette classe d'hommes timides et peu instruits qui n'en connoissoient pas toutes les atrocités.

De tous les départemens de France l'on nous adresse des réclamations contre le despotisme des officiers municipaux. Presque par-tout, et sur-tout dans les grandes villes, ils se sont érigés en petits tyrans des communes qu'ils administrent.

Ceux de Marseille pour de misérables intérêts d'amour-propre, se livrent aux abus de pouvoir les plus scandaleux. Hs viennent de défendre par une proclamation toute assemblée de citoyens actifs. Quelque temps auparavant ils avoient défendu aux bataillons de l'armée marseilloise de rien imprimer sans leur permission.

Il n'y a pas long temps qu'à Lyon les municipaux ont essayé d'empêcher les colporteurs de publier et de vendre les écrits patriotiques; ils avoient calqué leur ordonnance sur un placard bleu des ci-devant représentans de l'ancienne municipalité de Paris qui, en créant des colporteurs privilégiés, leur avoient défendu de publier d'autres imprimés que ceux émanés de la puissance publique.

Á Amboise, ils font arrêter, comme incendiaires, les écrits qui ne sont pas conformes à leurs passions ou à leurs principes.

A Saint-Quentin, un libraire veut établir une imprimerie, il met un tableau sur sa porte, sous le titre d'imprimerie nationale. Ce nouvel établisse

(1) Voyez lc no. 67.

N°. 70.

R

ment déplait à la municipalité, qui rend une sentence qui lui interdit l'usage de ses presses, lui ordonne de rayer son tableau, et défend à tout autre imprimeur qu'à l'imprimeur du roi d'exercer sa profession dans cette ville.

Comme l'on voit, c'est sur tout à détruire la liberté de la presse que s'acharnent les officiers municipaux, et cela par une bien bonne raison, c'est que la presse dévoile toutes les intrigues, tous les crimes contre la liberté du peuple. Tant qu'à Paris, on jouira du droit d'imprimer librement, il ne faudra pas désespérer du salut de la patrie. C'est bien en vain que des placards bleus inquiéteroient les colporteurs, sous le prétexte ridicule qu'ils entreprennent sur les droits de la puissance publique; les colporteurs continueront de crier, les imprimeurs de faire gémir les presses, et les auteurs d'écrire leurs pensées.

C'est bien en vain que, pour justifier leurs attentats contre la liberté des colporteurs, les municipaux de province voudroient s'autoriser d'une phrase insignifiante de l'abbé Syeyes, qui dit que le droit de crier doit étre interdit à tout particulier, parce que nul individu n'a le droit de disposer pour un usage particulier des rues, des places publiques et des jardins; d'où il s'ensuivroit qu'on n'a pas le droit de tousser, de cracher, de se promener dans les rues, parce que c'est les faire servir à un usage particulier. Sous le règne du despotisme, on étoit dans l'usage de crier les gazettes et les papiers journaux; il y a d'ailleurs une grande différence entre crier des journaux et proclamer des actes de la puissance publique. Les proclamations doivent se faire par un officier ad hoc, par un héraut d'armes, par exemple, revêtu des insigues de son état; au lieu que les annonces des colporteurs se font tout simplement et sans aucune cérémonie. Ces citoyens n'empiètent donc point sur les droits de la puissance publique.

Quant au droit d'établir des imprimeries, il

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