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Et le moyen que l'assemblée nationale ne soit pas trompée par les ministres, puisqu'elle a à se défier même de ses comités. L'affaire d'Haguenau est un exemple effrayant de la dangereuse influence de la bureaucratie sur ses décisions. Par un premier décret, elle avoit rendu justice à la véritable municipalité d'Hagueneau; et elle avoit dissous la fausse garde nationale qui s'opposoit ouvertement. à la reddition des comptes des anciens municipaux. Ce décret est resté sans exécution sur une simple lettre de M. Broglie, président du comité des rapports; et, chose inouie! cette lettre a eu plus d'effet en Alsace qu'un acte du corps légis latif. Depuis hier, la lettre du fils du maréchal de Broglie a reçu la sanction d'un décret. La conduite des municipaux patriotes a été improuvée; le commandant militaire, la fausse garde nationale, tous les aristocrates d'Haguenau ont reçu des complimens, et la petition de goo citoyens actifs sur douze cents qui composent la commune, a été indignement foulée aux pieds. Voilà, il faut l'avouer, un grand encouragement pour les bons citoyens dans les circonstances malheureuses où se trouve l'Alsace. Le génie contre-révolutionnaire. a soufflé sur les membres des administrations municipales, de district et de département; les ennemis de la constitution rugissent sur la frontière d'Allemagne, et l'on ne craint pas de rebuter les patriotes par des décrets notoirement injustes!

Affaire de Marseille.

Les troubles qui règnent à Marseille sont le fruit de la mésintelligence qui règne entre la municipalité et la garde nationale de cette ville. Ce n'est point un démêlé entre les patriotes et les aristocrates; ce sont les amis de la liberté qui, divisés d'opinion pour de misérables intérêts d'amour-propre, se donnent réciproquement les torts N°. €9.

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les plus graves. Le comité des rapports de l'assemblée nationale se trouve saisi de cette affaire; nous croyons que si la bureaucratie de ce comité ne nuit pas aux intérêts des chefs de la garde nationale, la balance doit pencher en leur faveur contre la municipalité.

Depuis le moment où la garde nationale de Marseille a pris l'uniforme, les officiers municipaux ont imaginé de s'en faire une espèce de cohorte prétorienne pour les accompagner jusque dans les momens où ils n'étoient point en fonctions. Le maire ou ses collègues alloient-ils à une lieue de la ville, revenoient-ils de leur maison de campagne, ils se faisoient suivre ou recevoir par des bataillons de la garde citoyenne; ils trouvoient beau de faire passer leur voiture au milieu de deux files de soldats qui leur présentoient les armes, et auxquels ils répondoient par un salut mêlé de popularité et de protection (1).

La garde nationale s'est fatiguée de ce service de valets, et les chefs s'en sont plaints au directoire du département des bouches du Rhône. Ils ont représenté que des citoyens libres n'étoient pas faits pour servir de satellites à des municipaux orgueilleux; qu'ils ne devoient les accompagner que dans les fonctions de leurs places; enfin que cette pompe ridicule exigée par la municipalité de Marseille, étoit au moins inutile, lorsque la journée du malheureux artisan étoit absolument nécessaire à l'existence de sa famille.

Ces représentations étoient trop raisonnables pour ne pas blesser les prétentions des munici paux. Ils en ont été instruits, et delà leur animosité contre M. Lieutaud et son état-major.

(1) M. Licutaud, commandant de la garde nationale a reçu plusieurs fois de la part de la municipalité, des réquisitions pour envoyer tel ou tel bataillon au-devant de M. le maire qui arrivoit de la campagne; il a constamment obéi.

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Le 28 septembre dernier, le conseil général de la commune de Marseille arrêta de renverser le régime existant de la garde nationale, et, séance tenante, il en créa un nouveau. Il ordonna en même temps aux sections de s'assembler le surlendemain, pour procéder à l'élection d'un nouveau chef de l'armée marseilloise.

Au jour fixé les sections s'assemblent, les par tisans de la municipalité ont soin d'y faire voter des étrangers ( ce qui est très facile à Marseille, où on ne connoit pas encore l'usage d'inscrire sur un registre les citoyens actifs ); ils s'y permettent les violences les plus coupables. Dans la dix-huitième section, des notables présens gênent ouvertement la liberté des suffrages. L'un d'entre eux saisit au collet le président de l'assemblée, et le force de continuer la séance; le tumulte est au comble; cependant le maire arrive, il décide que la séance doit être levée.

Le lendemain la section se rassemble; mais ceux contre qui les violences sont dirigées n'y paroissent plus, et c'est la même chose dans les autres sections; par-tout la minorité active fait la loi par la terreur. Les citoyens amis de l'ordre et de la paix s'éloignent; quelques-uns protestent; mais lorsqu'ils présentent leurs protestations à la municipalité, on leur répond que cela ne la regarde pas.

Il n'en étoit pas de même de celles qui favorisoient la cause des municipaux. Une seule section résiste au torrent; elle délibère en faveur de la garde nationale. Sept individus protestent, la municipalité reçoit la protestation, et casse en leur faveur la délibération de la majorité.

Cependant un très-grand nombre de citoyens de la garde nationale se rassemblent aux Carmes déchaux. Réunis paisiblement et avec la permission du corps municipal, ils votent en faveur de la garde nationale et de ses chefs.

Alors l'humeur et le mécontentement éclatent,

la division se met dans l'armée, dans les bataillons et dans les compagnies. La municipalité accueille le vœu de la minorité contre la majorité; elle casse les délibérations, et pour ensevelir dans l'ombre une conduite aussi répréhensible, elle fait défense à tous les bataillons de rien imprimer sans sa permission.

D'après cet exposé, il est impossible de se dissimuler les torts insignes du corps municipal; il est évident qu'il a voulu vexer la garde nationale et ses chefs, en exigeant d'eux un service domes tique, indigne des soldats de la liberté. Les gardes nationales ont pris les armes pour défendre la constitution, pour protéger la sureté et la propriété de leurs concitoyens, mais non pour servir d'escorte à d'insolens municipaux dans leurs parBies de plaisir.

Ceux de Marseille ont contrevenu au décret de l'assemblée nationale du mois d'août 1789, qui défend aux municipalités d'exiger des gardes nationales au-delà du service nécessaire, et de se méler de leur régime interieur.

Ils ont contrevenu au décret du 30 avril 1790, qui ordonne que toutes les gardes nationales du royaume resteront jusqu'à leur organisation définitive sous le régime qu'elles avoient au moment où les municipalités dans le ressort desquelles elles sont établies, ont été régulièrement constituées ; et que les modifications exigées par les circonstances se feront du consentement exprès des gai des nationales et des municipalités.

Ils ont contreveny enfin à celui du 30 juin dernier, dans lequel il est dit que s'il est du devoir des corps administratifs et municipaux de requérir, dans les cas de nécessité et pour le maintien de la tranquillité publique, le secours de la force armée, ils ne peuvent néanmoins faire aucune disposition législative, relativement aux gardes nationales.

Mais ce qu'il y a de plus odicux dans la con duite de la municipalité de Marseille, c'est l'ordonnance par laquelle elle défend aux bataillons de l'armée de rien imprimer sans sa permission. Les suppôts de l'ancien régime, dans les plus furieux accès de leur délire, ont-ils jamais rien fait de plus atroce? Certes! il faut que la jouissance du pouvoir soit un poison bien dangereux, pour changer à ce point des hommes qui ont été victimes de l'autorité arbitraire, des hommes que toutes les bouches de la renommée ont célébrés dans tout le royaume, comme d'excellens patriotes. Et ce sont ces mêmes municipaux, tyrannisés naguères par le prévot Bournissac, qui osent défendre la plainte à des opprimés, qui osent leur interdire la ressource de la presse contre les vexations de leurs oppresseurs (1)!

Maréchaussée hors de la loi, méme sous l'ancien régime.

Tout facile qu'il étoit aux grands, et sur tout aux princes, de violer et de faire violer la loi selon leur fantaisie, ils ne trouvoient pas encore assez prompte, assez expéditive la marche indirecte qu'il falloit tenir pour cela. Les ci-devant comte d'Artois et prince de Lambesc avoient à leur disposition une compagnie de maréchaussée particulière, dépendante d'eux seuls, et ne reconnoissant, après la volonté de ces princes, ni loi, ni tribunal, ni supérieurs en un mot, cette maréchaussée clandestine n'étoit enregistrée en aucune cour, n'étoit portée sur aucunes dépenses

(1) On reproche au commandant de la garde nationale de Marseille, d'être en correspondance avec M. la Favette. A la vérité M. la Fayette est un citoyen suspect, et très-suspect; mais encore faudroit i produire la correspondance.

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