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TROISIÈME PARTIE.

DE LA

DESTINÉE DE L'HOMME DANS L'AVENIR.*

CHAPITRE PREMIER.

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De l'Avenir, et des différens moyens d'en acquérir la connaissance.

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LA combinaison morale qui donne aux êtres humains, jouissant d'une pleine santé, la plus grande somme de bonheur, est celle de l'imagination avec l'avenir. Cette pensée, que je crois vraie, n'a de justesse cependant que lorsqu'on s'entend bien sur le vrai sens de ce mot de bonheur: souvent on le confond avec le plaisir, et l'un est bien différent de l'autre.

Le plaisir tient aux sens, le bonheur vient

de l'ame. L'un se combine avec le mouvement, l'agitation des organes, la rapidité du moment; il est tout effervescence. L'autre est un état de calme et de repos; sa jouissance est toute dans la pensée, et le temps, qui emporte si vivement le plaisir, semblę donner au bonheur plus de consistance; il l'affermit au lieu de le détruire.

Les animaux sentent le plaisir; aucun d'eux n'éprouve le bonheur. L'imagination ne fait rien sur ces êtres purement sensitifs; et l'amour, que des êtres raisonnables regardent souvent comme la source de la félicité suprême, offre bien moins le dernier degré du bonheur dans une exaltation passagère, que dans les charmes de la constance qu'une douce illusion lui promet.

L'avenir n'est rien pour l'enfance; le plaisir présent est son hochet : ce qui l'amuse le matin elle le dédaigne le soir; à peine a-t-elle l'idée du lendemain. I coitsnigami 165

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C'est l'âge de la raison qui présente le premier tableau de l'avenir, mais avec des couleurs si douces, qu'elles tiennent encore de l'innocence et de la candeur de cette première saison de la vie.

Lorsque le temps y fait succéder celle des

passions, et de l'amour propre sur-tout, que tourmentent et qu'exaltent successivement le desir du bien-être, l'attrait de la fortune, celui de la gloire ou de la renommée, même celui d'une considération fondée sur la bienfaisance ou le génie; c'est alors que toutes les forces de l'esprit humain se réunissent pour ne faire du présent que des moyens de l'avenir, et que l'imagination lui offre sans cesse, comme prêts de les atteindre, des biens et des jouissances qui peut-être n'existeront jamais. pour lui.

Détrompé de toutes ces vaines promesses dont la fortune se joue dans la bizarrerie de ses caprices, ou peut-être désabusé par l'injustice des préférences, l'homme qui, dans la maturité de l'âge, n'a cherché que dans l'espace de la vie l'avenir heureux qui déjoue toutes ses espérances, se livre alors, s'il est sage, à celui qui ne doit point les tromper. C'est dans une existence future qu'il trouve cet autre avenir; et le bonheur que lui promet celui-ci lui paraît d'autant plus certain, qu'il est plus conforme aux vues paternelles d'un être souverainement bon, aux principes d'une raison éclairée, et au véritable but de son existence actuelle.

Les aperçus que l'imagination présente ne sont plus semblables à ceux que l'on a conçus dans le tourbillon de tant d'intérêts qui se croisent, de tant d'ambitions qui se combattent et de projets que les événemens détruisent ou contrarient; c'est la sagesse qui les voit naître, l'étude et le raisonnement qui les assurent; c'est le besoin d'une vraie félicité, la douceur de l'espérance et le calme de la vertu, qui les confirment. Ce n'est plus cet intrépide navigateur qui, avide de gloire ou de fortune, brave le courroux des flots et spécule même pendant la tempête, sans redouter le naufrage; c'est le voyageur fatigué d'une longue route, qui, retrouvant une mer calme et des parages plus tranquilles, n'a plus de desirs que celui de rentrer paisiblement dans le port dont il approche, et de retrouver dans le sein de sa famille et de ses amis ce bonheur qui fut inutilement l'objet de toutes ses recherches.

Mais les réflexions morales n'ont que trop peu de pouvoir si l'on doit penser que les spéculations de l'esprit humain sur l'avenir tiennent plus à l'instinct de l'homme qu'à sa raison. L'un marche toujours de lui-même quand l'autre chancelle et veut un appui :

ce n'est que le désappointement qui l'arrête. Il en est de cela comme de l'expérience des pères; elle est perdue pour les enfans comme celle des nations est perdue pour les têtes qui les gouvernent. On pourrait conclure seulement de ceci, qu'un livre bien fait sur une théorie de l'avenir serait un ouvrage fort intéressant, et peut-être celui-ci donnera-t-il occasion d'en faire un beaucoup meilleur. Cet intérêt toutefois demanderait une plume assez éloquente pour pouvoir convaincre l'homme que c'est bien moins dans le cercle étroit de la vie présente qu'il doit chercher le bonheur que lui promettent ses destinées, que dans le cercle immense d'une vie future, qui, au lieu d'un avenir toujours prêt à lui échapper, lui en assure un que l'éternelle marche du temps ne saurait détruire. (1)

Mais, à l'exception d'un petit nombre d'individus qu'une sagesse tardive ou qu'une religieuse philosophie ramène à de sérieuses méditations, dans l'état actuel de la société, toute la masse de l'espèce humaine se livre à ce mouvement que la nature semble lui imprimer vers cet avenir dont les brillantes impostures ne corrigent personne. Dans tous

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