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souvent sont obligés de vendre un seul muid de vin pour payer leurs impositions. Or, si vous assujettissiez le pauvre vigneron, qui vend son muid de vin pour payer ses charges, à prendre un droit de patente, souvent le droit sera équivalent à ce qu'il le vendra.

Je demande donc que tout propriétaire cultivateur qui vendra le vin de son cru, soit tenu, avant de vendre, d'avertir la municipalité, et qu'au lieu de payer trois livres par mois, le droit soit mis à deux sous par jour.

M. d'André. Je propose par amendement que la faculté de prendre des patentes à terme pour 1, 2, 3 mois, soit exclusivement réservée aux propriétaires pour vendre le vin de leur cru, parce que vous avez des marchands de vin assez habiles pour saisir la saison de l'année où le vin se vend le mieux; ils vendraient pendant 3 ou 4 mois dans l'hiver, quand le vin se vend bien et, dans l'été, ils ne vendraient plus.

Je ne peux admettre que l'on donne à un homme la faculté de payer son vin pour un jour ou pour deux; mais je pense que l'Assemblée pourrait réduire le droit à 30 sols pour ceux qui ne demanderaient cette faculté que pour un mois.

M. d'Allarde, rapporteur. J'adopte la première partie de l'amendement de M. d'André et je propose la rédaction suivante :

Art. 16 (art. 18 du projet).

« Il sera délivré des patentes à termes aux propriétaires et cultivateurs pour 1, 2 ou 3 mois et à ceux qui voudront vendre en détail des boissons de leur crû pendant un temps limité. Le prix desdites patentes sera de 3 livres par mois, elles ne seront délivrées qu'après les formalités prescrites, et que le prix en aura été acquitté entre les mains du préposé au recouvrement des contributions mobilières et d'habitation; mais ces patentes ne pourront être accordées pour plus de six mois dans le cours de l'année; au delà de ce terme, elles seront réputées patentes annuelles, et seront payées comme telles.

(Cet article est décrété.)

M. d'Allarde, rapporteur, donne lecture de l'article 19 du projet.

M. Populus. Je désirerais qu'il ne fût pas à la liberté du marchand de ne présenter la patente que quand il en sera requis et que l'article lui imposat l'obligation, avant de pouvoir vendre dans un lieu, de justifier de sa patente aux officiers municipaux.

Je demande qu'il soit retranché de l'article ces mots lorsqu'ils en seront requis.

M. d'Allarde, rapporteur. J'adopte l'amendement.

M. de Folleville. Ce sont les villes qui veulent se décharger de l'impôt en le faisant porter sur les campagnes. (Murmures.) Je demande qu'on réduise la taxe des colporteurs dans les campagnes à 20 livres et à 25 livres pour ceux qui ont un cheval.

(L'amendement de M. de Folleville est rejeté par la question préalable.)

M. Populus. Je demande qu'il soit fait une

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M. d'Allarde, rapporteur. J'adopte l'amendement. Voici quel serait le texte de l'article:

Art. 17 (art. 19 du projet.)

Les particuliers qui exerceront la profession de colporteurs dans les villes, campagnes, foires ou marchés, seront tenus de se pourvoir de patentes, après avoir rempli les formalités prescrites. Le prix en sera fixé suivant les proportions de l'article 11; mais il ne pourra être au-dessous de 10 livres pour les marchands portant la balle, et de 50 livres pour ceux qui emploieront à leur commerce un cheval ou autre bête de somme, et 80 livres pour ceux qui se serviront d'une voiture, quand même le prix du loyer de leur domicile établirait une proportion inférieure. Lesdits colporteurs et marchands forains seront tenus, lorsqu'ils en seront requis, de justifier de leur domicile, et de leurs taxes mobilière et d'habitation, même de représenter leur patente aux officiers municipaux des lieux où ils exerceront leur com

merce.»

(Cet article est décrété.)

M. d'Allarde, rapporteur. J'observe à l'Assemblée que les articles 20 et 21 du projet sont inutiles, par suite de l'addition que vous avez faite à l'article 11. Je passe donc aux articles suivants :

Art. 18 (art. 22 du projet).

« Il sera alloué 2 sous pour livre sur le prix de chaque patente, au profit de la caisse de la commune, laquelle rétribution sera affectée, jusqu'à due concurrence, à l'acquit de ses dépenses particulières. Les officiers municipaux tiendront la main à ce qu'aucun particulier ne s'immisce dans l'exercice des professions assujetties à des patentes par le présent décret, sans avoir rempli les formalités ci-devant prescrites, et sans avoir acquitté le droit. (Adopté.)

Art. 19 (art. 23 du projet).

"Tout particulier et colporteur qui fera le commerce, ou exercera une profession, art ou métier quelconque, sans avoir rempli les formalités prescrites par les articles précédents, et s'être pourvu d'une patente, sera condamné en une amende du quadruple du prix fixé pour la patente dont il aurait dû se pourvoir. Lesdites amendes seront payées entre les mains du receveur de la contribution mobilière, lequel en versera moitié dans la caisse de la commune, pour être appliquée à ses dépenses particulières, et se chargera en recette de l'autre moitié, pour en compter au Trésor public. (Adopté.)

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Art. 20 (art. 24 du projet).

« L'Assemblée nationale charge son comité des pensions de lui faire un rapport sur les secours à accorder aux différents préposés au recouvrement des impôts indirects qui ne pourront être remplacés dans la nouvelle régie. (Adopté.)

M. d'Allarde, rapporteur. Nous avions renvoyé le premier article du projet de décret, contenant la suppression des anciens droits, jusqu'à ce que le remplacement eût été décrété. Voici donc le moment de le soumettre à la discussion.

M. Gaultier-Biauzat. Il y aurait beaucoup d'inconvénient à supprimer le droit sur les cartes; je demande, en conséquence, l'ajournement de cette partie de l'article.

M. Dauchy. Il serait peut-être convenable d'ajourner l'article entier; cependant j'observerai à l'Assemblée qu'il faudrait s'en occuper incessamment, car dans ce moment-ci les ventes de vins ne se font pas dans la province de Bourgogne, parce que c ux qui ont fait des spéculations sur ce projet ne veulent pas s'assujettir aux droits qui se perçoivent encore.

(L'Assemblée ajourne la partie de l'article relative à la suppression du droit sur les cartes.)

Le reste de l'article est décrété comme suit :

Art. 1°r.

"A compter du 1er avril prochain, les droits connus sous le nom de droits d'aides perçus par inventaire ou à l'enlèvement, vente et revente en gros, à la circulation et à la vente en détail sur les boissons; ceux connus sous le nom d'impôts et billots, et devoirs de Bretagne, d'équivalents du Languedoc, de masphaneng en Alsace; le privilège de la vente exclusive des boissons dans les lieux qui y étaient sujets, les droits sur les papiers et cartons, et autres droits de même nature, sous quelque dénomination que ce soit, sont abolis.

« Sont exceptés de la présente disposition les droits d'entrée dans les villes qui continueront d'être acquittés provisoirement, comme par le passé. »

Un membre demande le renvoi au comité d'agriculture de ce qui concerne les boucheries, plomb et marque.

(Cette motion est décrétée.)

Un membre du comité d'agriculture propose que la question de la propriété des mines, en raison de son importance, soit agitée dans une séance du matin.

(Cette motion est décrétée.)

M. Le Chapelier. Messieurs, vous venez de supprimer les droits sur les boissons; c'est un bien sans doute. Mais la perception de ces droits employait un grand nombre de personnes,presque tous pères de famille. (Murmures.)

Je ne demande pas d'exception pour eux, mais vous devez rigoureusement aux citoyens qui étaient employés à la perception de ces droits la justice que vous avez accordée à ceux qui étaient attachés aux gabelles et autres impôts que vous avez déjà supprimés; vous avez déclaré que la nation s'occuperait de leur sort. Je demande que vous prenież aujourd'hui la même détermination pour un nombre considérable de pères de famille et d'honnêtes citoyens qui ont fait éclater leur patriotisme dans la Révolution.

Ma proposition se borne à un renvoi aux comités des impositions et des pensions réunis qui seront chargés de vous présenter leurs vues sur la matière que je soumets à votre justice.

M. Defermon. Non! non! cela ne regarde pas le comité de l'imposition.

M. Chevalier. Il faut replacer ces employés dans les nouvelles impositions. La plupart d'entre eux demandent à travailler,

M. Ræderer. Je ne m'oppose point du tout à ce qu'on sollicite de vous en faveur des employés dont les places sont supprimées; mais je demande que le comité des pensions soit seul chargé de ce travail.

Pour nous, nous vous présenterons un mode d'organisation des compagnies de finances, et tout ce que nous pouvons faire pour les anciens employés, c'est de vous proposer un article qui dira que les nouveaux employés nécessaires seront pris dans les anciennes compagnies.

Le re-te nous est étranger; nous vous supplions de faire en sorte que le comité des impositions n'ait aucune influence sur la distribution des emplois.

(La motion de M. Le Chapelier est renvoyée au comité des pensions.)

M. Augier. Il me paraît indispensable que l'Assemblée charge son comité de l'imposition de lui présenter des vues pour l'extinction des contraintes exercées et des procédures commencées pour le fait des aides.

(Cette motion est renvoyée au comité d'imposition.)

Un de MM. les secrétaires fait lecture de la lettre suivante adressée à M. le Président de l'Assemblée nationale par MM. de Vaudreuil et de Loynes de La Coudraye:

Monsieur le Président,nous nous sommes retirés du comité de marine pour des raisons qui subsistent encore dans toutes les forces. Nos démissions ont été adressées plusieurs fois au comité même; il en a été fait mention dans l'Assemblée, et l'Assemblée a porté un décret pour que les suppléants nous remplaçassent.

«Cependant, M. le Président, nous venons d'apprendre que l'on s'est servi du prétexte que notre démission n'était pas complète pour rejeter l'admission de deux suppléants, et notamment lorsqu'il a été question de la constitution de la marine, pour leur interdire à cet effet de délibérer.

Nous avons l'honneur de vous confirmer que nous avons renoncé à siéger dans le comité de marine, pour ne participer à aucune des opinions qu'il a manifestées, et pour ne pas servir de prétexte à rejeter deux voix précieuses qui nous ont remplacés.

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ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. DUPORT.

Séance du jeudi 17 février 1791, au soir (1),

La séance est ouverte à six heures et demie du soir.

Un de MM. les secrétaires fait lecture du procèsverbal de la séance du mardi, 15 février, au soir, qui est adopté.

M. le secrétaire fait ensuite la lecture des adresses suivantes :

Adresse de félicitation, adhésion et dévouemen de la garde nationale d'Evreux; elle demande que le citoyen soldat ait le choix exclusif de ses officiers.

Adresse de la société des amis de la Constitution établie à Provins, qui expose que la nouvelle du prochain départ de Mesdames, tantes du roi, a jeté l'alarme dans tous les esprits; elle demande que Sa Majesté soit suppliée de s'opposer à ce départ.

Adresse des officiers formant le tribunal du district de Valence, qui présentent à l'Assemblée nationale le tribut de leur admiration et de leur dévouement.

Adresse des électeurs du département du Jura, contenant le procès-verbal d'élection à l'évêché de ce département, en faveur de M. Guilloz, curé d'Orchamps, membre de l'Assemblée nationale.

Adresse du directoire du district de Tonnerre qui annonce qu'il a été procédé à l'adjudication d'une partie des biens nationaux de son ressort: qu'il en a déjà été adjugé pour 190,300 livres, et que l'adjudication a excédé l'estimation de 102,054 1. 19 8.; il ajoute que la majeure partie des ecclésiastiques de son arrondissement a prêté le serment civique.

Adresse du conseil général de la commune de la ville de Blaye, qui annonce que les ecclé. siastiques du Blayais, qui avaient fait une déclaration criminelle contre le serment civique, se sont solennellement rétractés entre les mains de l'administration du département de la Gironde, que la plupart ont prêté le serment prescrit, et que les autres se sont engagés à le prêter au plus tôt; ils ajoutent que plusieurs curés et fonctionnaires publics, qui n'avaient pas signé cette déclaration, se sont empressés de satisfaire à la loi.

Un membre à droite: Nommez-les donc!

M. le secrétaire nomme 15 ou 18 fonction

naires.

Voix à droite: C'est assez!

Voix à gauche: Eh bien êtes-vous contents? 1. de Bois-Rouvray se dirige vers le bureau des secrétaires pour s'assurer du fait.

Un de MM. les secrétaires : Voyez et touchez.

M. de Bois-Rouvray examine la liasse des adresses et les listes des sermentaires, et reprend sa place.

(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.

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Adresse des officiers municipaux de Bléré, département d'Indre-et-Loire, contenant le procèsverbal de la prestation du serment civique faite par tous les fonctionnaires publics de cette ville, dont ils louent le zèle éclairé pour le maintien de la Constitution.

Adresse de la société des amis de la Constitution, séante à Morlaix, qui expose qu'un des principaux moyens de rendre vains les efforts des ennemis de la patrie au dehors et au dedans, est que l'Assemblée, de concert avec le roi, accorde une amnistie générale à tous ceux qui, avant et depuis la Révolution, ont eu le malheur ou la faiblesse d'abandonner leurs drapeaux.

Un membre annonce le serment civique du clergé de Gentilly.

Un membre annonce l'hommage que fait à l'Assemblée M. Lamourette, de divers ouvrages de sa composition.

Un membre annonce le serment civique des ecclésiastiques d'Etampes.

M. Defermon. Messieurs, vous avez entendu les détails de quelques mouvements populaires excités dans l'ancienne province de Bretagne.

Des détachements des gardes nationales et des régiments de Lorraine infanterie, et de Toul artillerie, envoyés de Saint-Malo et Saint-Servan, département d'Ille-et-Vilaine, sur la réquisition de la municipalité de Dinan, pour rétablir la tranquillité publique, et s'opposer aux dégâts que causaient des bandits attroupés dans quelques paroisses voisines de cette municipalité, se sont acquittés de cette commission avec autant de pru, dence que de bravoure; réunis aux gardes nationales de Dinan, ils ont marché contre les bandits, en ont essuyé plusieurs décharges de fusils, sans être sortis des bornes de la modération dont ils s'étaient fait un devoir, et sans répandre de sang, ils ont arrêté 86 des bandits, qu'ils ont conduits aux prisons de Saint-Malo. Aujourd'hui le calme est parfaitement rétabli,

Je demande que le Président de l'Assemblée nationale soit chargé d'écrire une lettre de satisfaction aux gardes nationales et aux détachements des troupes de ligne, qui ont tenu une conduite si généreuse.

(L'Assemblée décrète cette motion.)

Un membre fait hommage à l'Assemblée, de la part du sieur Marie-Adrien Dijon, juge du tribunal du district de Clermont, d'un ouvrage de sa composition, intitulé: Réponses raisonnées aux objections des ennemis de la Constitution française,

L'ordre du jour est un rapport du comité des recherches sur l'affaire relative à l'arrestation de Mme de Constable et des sieurs Chaillot et Dauquoi.

M.Voidel, rapporteur, Messieurs, je suis chargé par votre comité des recherches de vous rendre compte de la procédure instruite au tribunal de Beaune pour de prétendus enrôlements d'hommes qui devaient servir les ennemis de la chose publique.

Le directoire du département du Doubs, instruit vers la fin du mois de janvier, qu'il y avait dans la ville de Besançon, chef-lieu de ce département, différents particuliers soupçonnés de faire des enrôlements pour les ennemis de la patrie, chargea son procureur général syndic de les poursuivre; celui-ci crut devoir choisir le tribunal de Beaune; présenta sa plainte le 28 du mois dernier, contre les fauteurs de ces enrôlements. Le même jour, un juge de ce tribunal a procédé à l'audition des témoins indiqués, et sur le vu de l'information, la dame de Constable, M. Chaillot, capitaine au régiment de Mestre de camp cavalerie, mari de la nièce de cette dame, et un sieur Aubin, beau-père de cette dame, furent décrétés de prise de corps, arrêtés et transférés dans les prisons de Beaune.

Le tribunal de Beaune, après avoir interrogé les trois détenus, a pensé que les faits dont ils sont prévenus étaient de la nature de ceux sur lesquels l'Assemblée nationale se réservait de prononcer ultérieurement. Votre comité en est saisi, et je suis hargé de vous en rendre compte.

Les témoins entendus sont les sieurs Grevet, Monnot, Pierre Laîné et un q' atrième, dont je ne parle pas, parce qu'il ne dépose que sur les ouïdire des autres.

Le sieur Monnot ayant du tabac à vendre est allé chez M. Dauquoi, ci-devant président, où logeait alors Mme de Constable, pour vendre son tabac. Il dépose qu'après une longue discussion elle lui a acheté et qu'après s'e're beaucoup plainte de l'Assemblée nationale elle lui avait proposé d'aller trouver M. Lallemand, qui, à Bâle, engageait au nom des seigneurs retirés dans les pays étrangers, à l'effet d'opérer une contre-révolution en France; que la dame de Constable lui avait dit qu'il ne s'en repentirait pas, qu'on le récompenserait généreusement; qu'on donnerait 3 livres de solde par jour et huit louis d'or comptant pour engagement; que cette dame l'avait chargé d'engager le plus d'hommes possible pour partir avec lui.

Le sieur Pierre Lalné se joint à Monnot et dépose que M. Chaillot lui a proposé de l'engager dans son régiment; mais Mme de Constable a trouvé plus à propos de le déterminer à aller trouver M. Lallemand à Bâle pour s'enrôler.

Le sieur Dauquoi ayant rencontré le 24 le sieur Monnot dans la rue, lui dit : « Eh bien, mon ami, quand partirez-vous pour la Suisse?

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Sur l'invitation de l'un des dépcsants, un jeune homme se rend dans la maison du président et toujours sous le prétexte de vendre du tabac. Achat fait, M. Dauquoi eut des soupçons et se mit à dire : Je n'ai rien à lui proposer » ; mais M. de Constable : « Moi j'ai quelque chose à lui proposer, je ne crains rien, j'aime autant mourir que de rester comme nous sommes ; allez, mon ami, ne craignez rien, retirez votre roi de l'esclavage, soutenez la noblesse, le clergé et votre religion. » (Murmures à droite.)

Messieurs, dans un mémoire présenté à votre comité par l'un des accusés, on a dit qu'en supposant ces faits comme prouvés ils ne constateraient pas un délit, encore moins un crime de lèse-nation, parce qu'il ne s'agit ici que d'un simple conseil, et que, suivant tous les crimina

listes, celui qui conseille le crime n'est coupable, aux yeux de la loi, que lorsque le crime a été commis, ou qu'au moins on a tenté de le commettre. Or, il n'y a eu en effet ni enrôlement, ni argent donné. Les particuliers ne sont point partis pour Bâle. Enfin le sieur Lallemand n'a fait aucun enrôlement aux termes d'un certificat du bourgmestre du lieu.

Il serait bien étonnant si Mme de Constable avait chargé Monnot de lui amener des recrues, qu'il n'en eût introduit chez elle qu'en procurant du tabac pour excuse; qu'il n'est pas plus vraisemblable qu'on les ait engagés à partir par Båle sans leur donner un écu pour faire la route. Il est encore bien invraisemblable que M. Dauquoi, qui est assez prudent, ait arrêté au milieu de la rue, le 27 janvier, devant la porte d'un café, Monnot et Grevet, qu'il n'avait vus qu'une fois quinze jours ou trois semaines auparavant, et leur ait tenu, dans un lieu aussi public, des propos aussi suspects.

On ajoute que Monnot, principal témoin, est dans les liens d'un décret de prise de corps; que Grevet est fils d'une femme enfermée pour crime de vol et maquerellage; qu'il est sans fortune, note à la police et ne méritant aucune foi.

Votre comité, par l'examen de la procédure, a en effet reconnu quelques difficultés dans les dépositions. Votre comité a pensé que, quelle que fût la nature des preuves, la procédure ayant été commencée et suivie à la requête de l'accusateur public dans un tribunal avoué par la loi, et les accusés étant sous le lien d'un décret de prise de corps, il ne vous appartenait plus de prononcer sur le fond de l'accusation; qu'ainsi il était complètement inutile de vous faire perdre des moments précieux à discuter sur la nature des preuves, l'existence du délit ne pouvant être jugé que par un tribunal.

Il s'est cependant élevé une difficulté dont il faut vous rendre compte. On dit qu'il s'agit ici d'un crime de lèse-nation et que, par l'article du décret du 12 octobre, l'Assemblée s'est réservée de prononcer ultérieurement sur les accusations pour crime de lèse-nation attribuées au Châtelet de Paris; que, par conséquent, le tribunal de Beaune n'a pu décerner un décret de prise de corps avant que l'Assemblée nationale eût décidé s'il y avait lieu ou non à accusation.

On s'est encore étayé de l'article 4 du décret du 8 de ce mois, qui porte que la haute cour nationale, juge naturel des crimes de lèse-nation, ne connaîtra que des délits dont le Corps législatif jugera nécessaire d'être accusateur; d'où l'on infère que, dans l'hypothèse où il s'agirait d'un crime de lése-nation, l'Assemblée doit prononcer s'il y a lieu ou non à accusation.

Votre comité a pensé, en effet, que, dans les circonstances actuelles, les enrôlements pour les ennemis de la patrie, tels qu'ils sont dénoncés par la plainte de l'accusateur public, sont un véritable crime de lèse-nation; mais il a observé d'abord que le décret du 8 de ce mois n'est point encore sanctionné; il est d'ailleurs postérieur à la plainte rendue par les juges de Beaune; il a reconnu, par l'examen du décret du 12 octobre, sanctionné le 19 du même mois, que, par l'article 9 de ce décret, l'Assemblée s'est réservée seulement de déterminer un tribunal pour juger définitivement les accusations pour crimes de lèse-nation attribués au Châtelet de Paris; mais elle n'a rien entendu statuer sur la procédure antérieure au jugement, et elle n'a nullement dérogé au décret du 12 janvier 1790 qui porte, en termes formels, que

tous juges ordinaires doivent et peuvent informer et décréter pour tout crime de quelque nature qu'il soit, sauf le renvoi au Châtelet de ceux dont la connaissance lui était provisoirement accordée.

Nous vous proposons le projet de décret sui

vant :

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des recherches, décrète que la procédure commencée au tribunal de Beaune sera continuée et jugée en dernier ressort par le tribunal de Besançon; à l'effet de quoi les procédures seront transférées au greffe dudit tribunal, les accusés transférés de ladite ville de Beaune au tribunal de Besançon; charge son président de se retirer par devers le roi, pour le prier de donner des ordres nécessaires à l'exécution du présent décret. »

M. d'André. Je n'ai rien à dire sur le fond de l'affaire; mais j'observe que le décret que l'on propose est contraire à tous les principes. Vous avez voulu que la voie de l'appel fût ouverte à tous les accusés; et cependant on vous propose d'autoriser le tribunal du district de Besançon à juger en dernier ressort.

Je demande que le décret soit amendé et que l'affaire soit renvoyée au tribunal de Besançon, en laissant aux accusés la faculté que vous avez donnée à tous les accusés du royaume, lorsqu'ils auront été jugés en premier ressort à Besançon, de se pourvoir par appel à un des sept tribunaux, dans la forme décrétée.

M. Voidel, rapporteur. Je ne demande la parole sur l'amendement que pour dire que je l'appuie, parce qu'il paraît conforme aux principes.

M. de Tracy. J'avais demandé la parole pour faire le même amendement qui vient d'être proposé; je me borne à l'appuyer. Je suis bien aise de saisir cette occasion de certifier que j'ai servi pendant 8 ans avec M. Chaillot, qui est l'honneur et la raison mêmes.

(L'Assemblée adopte l'amendement de M. d'An

dré.)

M. Salle. Il y a dans les prisons de Paris plusieurs personnes décrétées de prise de corps pour crimes de lèse-nation: je demande qu'elles soient renvoyées pardevant les tribunaux de Paris, pour y être jugées.

Le projet de décret est adopté dans ces termes : L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des recherches, relatif à l'arrestation de Mme de Constable, et des sieurs Chaillot et Dauquoi, décrète que la procédure commencée au tribunal de Beaune sera continuée et jugée par le tribunal du district de Besançon, sauf l'appel à l'un des sept tribunaux de l'arrondissement, à l'effet de quoi, les procédures seront transportées au greffe dudit tribunal, et les accusés transférés dans les prisons de ladite ville de Besançon;

"Charge son président de se retirer dans le jour par devers le roi, pour le prier de donner les ordres nécessaires à l'exécution du présent décret. »

Une députation de la municipalité de Paris est admise à la barre.

M. l'abbé Mulot présente la députation et dit :

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Messieurs, l'assemblée du conseil général de la commune de Paris vient avec confiance vous découvrir l'une des sources des maux qui l'affligent davantage. Depuis longtemps elle s'ea occupe, et quand le législateur profond et éloquent qui vous présidait dernièrement, a cru devoir rappeler à l'une de ses députations cette maladie anticivique, elle avait, pour ainsi dire, épuisé tous ses remèdes; oui, Messieurs, nous avons épuisé toutes nos ressources; mais nous avons encore votre secours à attendre, et nous venons le solliciter. Quelque incurable que la plaie des jeux nous paraisse, elle ne pourra pas résister à votre puissance; et vous, qui avez guéri toutes les plaies politiques de l'Empire, les ulcères invétérés qu'avaient causés à la France tous les genres de despotisme, vous guérirez encore celui-ci. L'orateur de la commune va vous dévoiler tous les détails de la maladie, et nous comptons sur les moyens que votre sagesse vous indiquera pour la vaincre. »

L'orateur de la députation s'exprime ainsi :

« Messieurs, les citoyens de Paris, dont nous sommes les organes, viennent à la source des lois en réclamer une contre les désordres dont les progrès ont menacé trop longtemps la tranquillité de la capitale.

« A mesure que vos lois bienfaisantes nous régénèrent, nous souffrons davantage des restes de nos désordres, et la frénésie des jeux est un des derniers malheurs, auxquels la patrie vous demande d'apporter un prompt remède.

:

« L'ancien régime nous avait laissé des habitudes odieuses, qu'à la honte des mœurs on l'a vu tolérer il était permis à des subalternes favorisés de fonder des fortunes immenses sur le produit des jeux; fortunes scandaleuses et faciles, qui révoltaient à la fois la probité, la délicatesse, le mérite et les talents. Un nouvel ordre de choses succède à cet ancien régime ; mais, pendant qu'il s'établit, la licence effrénée des jeux s'accroît par l'impunité, et vient augmenter le désordre en offrant de tous côtés des appâts trompeurs à la crédule indigence.

Toutes Is fois que, sans risquer de blesser les droits de l'homme, de violer les asiles, de causer quelques secousses dangereuses, la municipalité provisoire et la municipalité définitive ont pu mettre les ordonnances en vigueur, elles l'ont fait avec une scrupuleuse exactitude; mais, peu assurées dans une marche qui n'était pas tracée par la Constitution, leurs efforts pour l'exécution des anciennes lois ont pre-que loujours été impuissants. Alors 3,000 maisons de jeu se sont successivement ouvertes, et des jeux établis sur des places publiques, sur les quais, dans tous les coins de la capitale, tentent la misère, séduisent la faiblesse, et favorisent la mauvaise foi.

Par les jeux, l'oisiveté passagère devient une oisiveté invétérée et criminelle; l'homme demande à la fortune infidèle ce qu'il ne veut plus obtenir du travail; et nous avons vu avec douleur la misère enfanter le désespoir, le vice conduire au crime, et les ruines multipliées produire des rixes, des vols, des assassinats et des suicides. Pour arrêter ce désordre, pour fermer ces abimes, où vont s'engloutir les fortunes et les mœurs, vainement nous avons voulu recourir aux lois en vigueur, inapplicables aux circonstances; à côté d'elles nous avons toujours rencontré l'insuffisance et l'inutilité; tous les règlements nous présentent le jeu comme un

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