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TROISIEME LETTRE sur l'Inflammation;

Par J. P. CAFFORT, D. M., chirurgien de l'Hôtel-Dieu de Narbonne.

J'ai tâché d'exposer avec clarté dans ma seconde lettre (1) comment le sang arrive en plus grande quantité. dans un organe qui s'enflamme. Je vais maintenant rechercher quels sont les changemens que sa présence entraîne dans le lieu malade.

Ici vont se trouver plusieurs idées qui n'ont été émises par aucun médecin; je vous prie de les examiner avec soin, de les bien peser, et surtout de ne pas les rejeter uniquement à cause de leur nouveauté. Vous verrez d'ailleurs qu'elles reposent en grande partie sur la physiologie; et cette considération, si elle n'engage pas à les adopter aveuglément, demande au moins qu'on les juge sans prévention.

Les changemens qui surviennent dans une partie enflammée tiennent à la présence du sang dans le tissu de l'organe, ou à l'influence que ce fluide exerce sur les fonctions. Or, parmi les fonctions si diverses qui par leur ensemble constituent la vie, il en est une qui, si elle n'est semblable dans toute l'économie, offre cepenpas dant peu de différence d'un organe à l'autre: c'est la nutrition. Aussi vous allez voir que les changemens apportés dans cette fonction par l'inflammation sont généraux, c'est-à-dire, qu'ils présentent les mêmes caractères, quelques légères variétés près, dans quelque lieu qu'on remarque la phlegmasie. C'est principalement à l'étude des mutations produites dans cette fonction par la mala(1) Voy. Revue médicale, avril 1829.

die dont je m'occupe que va être consacrée cette lettre, me réservant de parler dans la suivante de celles qui ont lieu dans les autres fonctions.

Le changement de couleur est le premier phénomène qu'on aperçoit dans une partie qui s'enflamme. Tout le monde sait que, dès que l'inflammation s'empare d'un organé, aussitôt il devient rouge. Cette rougeur tient à la fois à la dilatation des capillaires artériels, et à la pénétration des molécules rouges sanguines dans l'intérieur des capillaires blancs.

La première de ces causes est trop évidente pour qu'on ait pu la nier; mais plusieurs pathologistes rejettent la seconde, parce que l'existence des capillaires blancs ne leur paraît rien moins que prouvée, et que d'ailleurs ils ne peuvent pas croire que le sang puisse pénétrer dans des vaisseaux qui ne le reçoivent pas dans l'état naturel. Je ne ferai que quelques réflexions à ce sujet, parce que cette opinion n'est pas à beaucoup près la plus répandue; que, bien loin de là, l'idée opposée est plus généralement adoptée. Vous avez même vu, dans ma première lettre, que M. Caffin en fait le principe d'une nouvelle théorie de l'inflammation.

Certainement, si vous voulez des preuves directes, basées sur l'expérience, pour prouver l'existence des capillaires blancs, j'avoue franchement qu'il est impossible d'en fournir; mais si vous voulez seulement vons donner la peine d'examiner certains tissus dans l'état naturel et sur le vivant, je crois que votre doute se dissipera aisément. Regardez, par exemple la conjonctive; vous la voyez à peine parcourue par quelques petits vaisseaux rouges, tout le reste est parfaitement diaphane. Eh bien! irritez cette membrane d'une façon quelconque, aussitôt

vous allez y voir un nombre infini de vaisseaux colorés par le sang. Vous ne pouvez pas dire que ce sang se soit épanché dans les mailles du tissu cellulaire, puisque à la loupe vous pouvez distinguer parfaitement ces petits capillaires les uns des autres. Il faut donc de deux choses l'une, ou que ces vaisseaux existassent préalablement, ou qu'ils se soient formés à l'instant de l'irritation.

On avouera sans peine que cette seconde supposition est dépourvue de toute vraisemblance. Comment, en effet, pourriez-vous concevoir que des vaisseaux se développassent avec cette rapidité avec laquelle se forme l'inflammation? et puis, d'ailleurs, une fois formés, ils devraient persister; or, avez-vous vu jamais rien de pareil ? Vous êtes donc obligé d'admettre qu'il y a des capillaires blancs, et lors même que ces raisons ne vous démontreraient pas leur existence, vous seriez encore forcé de la supposer, parce que sans eux vous ne pourriez pas expliquer comment se nourrissent les organes qui ne renferment pas de capillaires artériels dans leur intérieur.

C'est fort bien, me diront certains médecins; nous admettons avec vous l'existence des capillaires blancs: mais nous vous demandons à présent comment ces vaisseaux ne sont pas remplis de sang dans l'état naturel, s'ils sont vides dans cet état, ou s'ils contiennent quel ques liquides. Dans ce dernier cas, quelle est la nature de celiquide? et enfin quelle est la force qui, pendant l'inflammation, pousse le sang dans leur intérieur? Voilà, certes, bien des questions, je vais tâcher d'y répondre. Mais pour être compris j'ai besoin de rappeler un point d'anatomie générale.

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Vous savez que MM. Dumas, Prevost et Edwards ont observé le sang avec des microscopes grossissant beau

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coup. Il résulte de leurs expériences que ce fluide est composé de deux ordres de molécules, dont les unes, de couleur rouge, constituent le caillot, et les autres blanches, forment le sérum : les premières ont un diamètre double des secondes. Ce dernier fait est le plus important pour nous, dans ce moment, comme vous allez en juger; il ya me servir à expliquer toutes les difficultés qui sont proposées, et déjà, j'en suis sûr, vous pressentez mes explications.

Vous devez comprendre que, si le sang ne pénètre pas en entier dans les capillaires blancs, c'est parce que dans l'état normal leur diamètre n'est pas assez grand pour permettre l'introduction des molécules rouges sanguines, et cependant est suffisant pour laisser passer le sérum ou la partie blanche. En voulez-vous une preuve, voyez ce qui se passe dans les organes formés presque exclusivement par cet ordre de vaisseaux, comme les séreuses, etc.; voyez si ces organes ne laissent pas échapper le liquide contenu dans leur intérieur, et dites-moi si ce liquide diffère en rien de celui du sang?

A la vérité, pour expliquer la rapidité avec laquelle le sang s'introduit dans les capillaires blancs lors d'une phlegmasie, on les a supposés naturellement vides. Vous êtes forcé d'adopter cette opinion si vous repoussez celle qui précède; mais je vous ferai observer que la vacuité de ces vaisseaux est inadmissible, parce que, comme je vous le disais tout à l'heure, nous ne pourrions pas concevoir comment les organes formés presque par ces vaisseaux pourraient se nourrir, s'il n'y avait pas dans leur intérieur un liquide propre à cet usage; et d'un autre côté, nous avons besoin de les supposer vides pour nous rendre raison de la rapidité de leur pénétration par le

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dire que

le sérum

sang artériel. Ne pouvons-nous pas est chassé de leur intérieur par le sang qui y arrive, et que ce sérum va s'écouler au dehors? N'est-ce pas à cette cause que nous devons rapporter naturellement l'augmentation que l'on remarque dans les exhalations et les sécrétions, au début d'une phlegmasie? Ainsi donc les capillaires blancs ne sont pas vides dans l'état normal, ils sont remplis par un liquide, et ce liquide n'est autre chose que le sérum du sang.

Parmi les questions que j'ai soulevées une seule doit embarrasser ; c'est de savoir si le sang pénètre dans les capillaires blancs uniquement par l'impulsion qu'il reçoit à tergo des capillaires artériels, ou si à cette force viennent se joindre des contractions propres aux premiers de ces vaisseaux. Sans doute les capillaires artériels se contractant avec plus de force que dans l'état naturel, poussent le sang avec une violence qui suffit pour rompre la résistance des parois des capillaires blancs, et c'est alors que ces derniers sont pénétrés. On ne peut expliquer différemment le passage du sang d'un ordre de ses vaisseaux dans l'autre vous allez trouver, j'en suis sûr, cette explication bien mécanique, mais elle est la seule raisonnable, et si vous y réfléchissez attentivement vous verrez qu'elle est la seule admissible; ce qui vous montre que les idées de Boerhaave ne sont pas aussi extravagantes qu'on a coutume de le dire.

Une fois que le sang est entré dans les capillaires blancs, j'ignore s'il y chemine par des contractions propres à ces vaisseaux. Nous n'avons à ce sujet aucune donnée qui puisse vous faire porter un jugement certain. Nous sommes donc forcés d'avouer notre ignorance sur ce point; Avril 1830. Tome II.

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