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IV

Actuellement le Préfet de police s'interpose entre le véritable agent de la police judiciaire, le commissaire de police et le Parquet.

Les ler, 2e et 3e bureaux, de la 1re division, décrassés d'une foule d'attributions parasitaires, doivent être placés sous la direction immédiate du Parquet. C'est le commissaire de police, chargé spécialement de ce qu'en Angleterre on appelle le service des investigations criminelles, qui devrait en être le chef, et non pas un bureaucrate qui n'est pas magistrat. Il aurait également sous ses ordres la brigade de sûreté. Le Dépôt devrait être considéré comme la chambre de sûreté du Parquet1, au lieu d'être un fief de la Préfecture de police.

Les commissaires de police n'auraient, à l'égard du Parquet, qu'à procéder comme le fait la gendarmerie dans des conditions bien plus difficiles. Certaines communes sont situées à quinze lieues du chef-lieu d'arrondissement, sans chemin de fer jamais le délai de vingt-quatre heures n'est dépassé. Un individu est arrêté, immédiatement elle le conduit devant le procureur de la République ; si l'enquête doit durer un certain temps, elle dresse un procès-verbal constatant l'arrestation, puis, après en avoir référé au juge de paix, au commissaire de police ou au maire, elle amène l'inculpé au Parquet, sauf à lui renvoyer ultérieurement le résultat de ses informations1.

Tous les magistrats indépendants demandent que le commissaire de police soit réellement l'auxiliaire du pro

1. Voy. Faustin Hélie, Traité d'instruction criminelle.

1. Voyez notamment les articles 275, 294, 495, 496 du décret du 1er mars 1854 sur le service de la gendarmerie. Ce décret n'est le plus souvent que la reproduction de la loi du 28 germinal an VI et de l'ordonnance du 29 octobre 1820 sur le même objet.

cureur de la République, qu'il corresponde directement avec lui, et qu'il soit responsable de la police de son quartier; qu'il envoie immédiatement ses procès-verbaux au Parquet et se conforme à l'article 106 du code d'instruction criminelle.

La compétence du commissaire de police, en matière d'enquêtes criminelles, n'est pas limitée à sa circonscription administrative. Il peut la poursuivre en dehors.

Si le juge d'instruction préférait la remettre à un commissaire de police aux délégations judiciaires, il le pourrait; mais je crois qu'il y a intérêt à ne pas enlever aux commissaires de police de quartier les affaires criminelles qu'ils ont commencé d'instruire. Il y aura émulation. Ce sera pour eux une occasion de se distinguer, s'ils sont capables. Ils varieront de méthode, chaque commissaire devra avoir un certain nombre d'inspecteurs à sa disposition, et sur sa demande, des inspecteurs du service de la sûreté. Voilà le mécanisme qui peut être appliqué du jour au lendemain.

V

Quant à la question de la prostitution, je me borne à citer la conclusion du rapport du Dr Fiaux, présenté au nom de la commission de la police des mœurs.

Le Conseil,

Considérant que l'institution actuelle de la police des mœurs ne repose sur aucune base légale;

Considérant que, malgré ses innombrables attentats annuels contre la liberté individuelle, elle n'a pu produire les résultats qu'elle visait au double point de vue de la diminution des maladies syphilitiques et de la surveillance des délits de droit commun, attentats aux mœurs, etc.; Considérant que la prostitution n'est ni un crime, ni un délit, non plus que la syphilis ;

Art. Ier.

Délibère :

Sont supprimés, à partir du 1er janvier 1884 :

1o Le 2o bureau de la 1er division de la Préfecture de police, dit bureau de la police des mœurs;

2o La brigade de la police des mœurs, incorporée le 9 mars 1881 au service de sûreté;

3o Le dispensaire de salubrité de la Préfecture de police;

4o La 2o section de la prison de Saint-Lazare et l'infirmerie spéciale de ladite prison.

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Le préfet de police est invité :

1o A étudier un système d'organisation qui substitue les gardiens de la paix et les commissaires de police de quartier aux agents actuels de la police des mœurs, pour ce qui concerne la police d'ordre public à l'égard des femmes qui se livrent à la prostitution;

2o Libeller des arrêtés nouveaux touchant la prostitution, en prenant pour base exclusive les indications données dans le présent rapport, les contraventions à ces arrêtés étant désormais déférées aux tribunaux compétents;

3o Reviser les statuts de toutes les Sociétés de secours mutuels, des grandes Compagnies, etc., de sorte que les médicaments et soins réclamés par les maladies vénériennes seront accordés comme pour toute autre maladie1.

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Art. 3. L'administration de l'Assistance publique est invitée à procéder, dans le plus bref délai :

1o A la transformation des hôpitaux du Midi et de Lourcine en hôpitaux généraux;

2° A l'élaboration de règlements qui autorisent formellement l'admission des malades vénériens dans les hôpitaux généraux;

3o A l'établissement dans les hôpitaux généraux de consultations externes avec délivrance gratuite de bains et médicaments;

4° A l'extension du service des enfants et des filles mineures moralement abandonnées, en vue de prévenir le recrutement de la prostitution. Art. 4. - Les crédits affectés au budget spécial de la préfecture pour le service de la police des mœurs (bureau, brigade et dispensaire) sont et demeurent reportés au budget de l'Assistance publique, dans le but de faciliter l'organisation nouvelle, à partir du 1er janvier 1884.

J'ajoute que la commission s'était mise d'accord avec la direction de l'Assistance publique. Quant au préfet de police, il a même refusé de répondre au questionnaire que lui avait adressé M. Fiaux.

1. La formule est trop absolue. Il n'appartient pas au préfet de police de reviser tous les statuts. Il faut la considérer plutôt comme une invitation.

VI

J'ai montré que la Préfecture de police était loin d'assurer la sécurité 1. Elle en est encore aux procédés du dixseptième siècle, pour ne pas remonter trop haut.

Les ilotiers font leur service avec une régularité fort commode pour ceux qui veulent commettre quelque délit. Si les agents étaient sous les ordres directs des commissaires de police, chacun pourrait varier les procédés de police selon son quartier.

Dès le 27 mars 1872, on avait demandé à la Préfecture de police de relier tous les postes et bureaux de commissaires de police par un réseau télégraphique. On n'a relié que le poste de l'officier de paix. Les commissaires de police sont laissés de côté. Il n'y a pas de téléphone.

Des substituts du petit Parquet ont demandé cependant à être mis en rapport avec les bureaux des commissaires de police par le téléphone. Un individu est amené devant eux. Il dit: Je demeure telle rue, tel numéro. Un mot au téléphone, et le commissaire de police enverrait vérifier. Une heure après le substitut serait renseigné. Au lieu de cela, on paperasse, on renvoie l'individu au Dépôt, il tombe entre les mains d'un juge d'instruction inutile, ce sont des frais de temps, d'argent et enfin des hommes sous les verrous, quand ils devraient souvent être en liberté !

J'ai proposé, dans mon rapport de 1880, l'installation de kiosques de sûreté, dans certains carrefours dangereux: les kiosques pourraient communiquer entre eux à l'aide d'avertisseurs et de téléphones ou télégraphes. Une bande d'individus dangereux ou recherchés pourrait être signalée sur tous les points où elle se trouverait. Elle serait enveloppée dans un réseau qui l'effrayerait d'autant plus que

1. Liv. V, chap. IV.

ses effets pourraient être plus imprévus. Ce n'est pas la gravité, mais la certitude de la pénalité que redoute le criminel.

J'ai raconté les procédés à la fois iniques et brutaux de la Préfecture de police pour reconnaître « les chevaux de

retour »>.

Le seul système rationnel qui ait été proposé est celui de M. Alphonse Bertillon. C'est une application de l'anthropométrie, remplaçant les signalements fantaisistes: nez moyen, bouche ordinaire, visage ovale, etc., par la mesure précise de la longueur et de la largeur de la tête, du doigt médius, de la longueur du pied1.

Un détenu a laissé échapper ce mot: passage à tabac.

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Ça remplace le

La police doit se servir des découvertes de la science moderne. Ce n'est pas par sa brutalité, c'est par sa supériorité intellectuelle qu'elle pourra assurer la sécurité. Le temps des Vidocq, des indicateurs, doit disparaître les hommes de la police doivent apporter dans leur œuvre les procédés de la méthode et de l'investigation scientifiques.

Au lieu d'avoir une police nerveuse, brutale, théâtrale, dramatique, aimant la réclame, il s'agit d'avoir une police tranquille, faisant son œuvre en silence, fonctionnant avec des frottements doux, sans bruit, mais avec la précision et la continuité d'une machine bien conçue, bien montée. et composée de matériaux de premier choix.

1. V. Annales de la démographie internationale, 1881-1883. — La Nature, 25 août 1883.

FIN

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