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jeune homme et le bâtonnèrent à outrance. Ému de compassion, je m'élançai suivi de près par Lenfant et Gayetti, et nous parvinmes, grâce au concours de quelques-uns de nos voisins, à retirer de leurs mains l'infortuné clerc.

« Nous nous gardâmes bien de rendre compte à nos chefs de cet incident. Mais nous avions été vus par d'autres inspecteurs, qui ne jugèrent pas les choses comme nous, et trouvèrent très agréable de faire un petit rapport sur le compte de leurs collègues.

« Le lendemain, M. l'inspecteur général Foudras nous fit appeler tous trois dans son cabinet pour nous témoigner son mécontentement sur notre conduite de la veille.

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Comment! nous dit-il, on vous envoie pour prêter votre concours aux militaires en bourgeois, et vous faites tout le contraire! En vérité, je ne vous comprends pas! M. le préfet voulait vous révoquer, mais j'ai intercédé pour vous, et, grâce à ma prière, vous conserverez vos places, Mais, une autre fois, rappelez-vous bien à quelle administration vous appartenez, et sachez, à l'avenir, mieux exécuter les ordres qu'on vous donnera.

« M. Foudras était naturellement paternel pour les employés. De plus, il avait compris que, dans la circonstance présente, nous révoquer c'était livrer authentiquement à l'opposition le secret de l'affaire.

« Pendant que nous arrachions Durand à la bastonnade, une scène plus grave se passait sur un autre point. Un peu avant la fin de la séance, M. de Chauvelin quitta la Chambre, et comme toujours traversa le pont Louis XVI et la place Louis XV dans sa chaise à porteurs. A sa vue, les cris de: << Vive Chauvelin! Vive le député fidèle » ! partirent de toutes les bouches; mais aussitôt, plusieurs individus entourèrent le député, qu'ils menacèrent en brandissant leurs cannes, sans pourtant oser s'en servir. Cette action exaspéra la foule, et une collision s'engagea pour ne finir qu'à l'arrivée de la force armée, qui fit entièrement évacuer la place. Presque en même temps, un étudiant, le jeune Lallemand, fils d'un riche marchand de graines de la rue du Petit-Carreau, était

tué d'un coup de fusil tiré par un garde royal en faction près de la grille du jardin des Tuileries.

« Le lendemain, le préfet de police faisait placarder, sur les murs de la capitale, une proclamation dans laquelle les rassemblements étaient qualifiés de rebellion, d'attentat à la tranquilité publique.

<< Les attroupements cessèrent sur la place Louis XV et aux environs; mais chaque soir, de nombreux rassemblements se formaient entre les portes Saint-Denis et Saint-. Martin. On envoyait des agents sur les boulevards, non pour sommer les attroupements de se dissiper, mais pour avertir la préfecture lorsque la foule compacte empêcherait la circulation. Alors on exécutait au galop, le sabre à la main, des charges de cavalerie qui, bon gré, malgré, arrivaient forcément à s'ouvrir un chemin dans cette foule tumultueuse et agitée.

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II

Voici la formule du second Empire.

On se rappelle les émeutes de juin 1869. Elles étaient destinées à épouvanter les électeurs de Paris qui avaient eu le tort de voter pour des candidats de l'opposition et à préparer une réaction en province.

La préparation de ces émeutes fut d'une simplicité, dépourvue d'artifice. La Préfecture de police pensa à peine à dissimuler la ficelle. Elle amena des Alphonses et des rôdeurs de barrières des boulevards extérieurs sur les grands boulevards. En partant, ils saccagèrent deux maisons de tolérance des boulevards extérieurs et en route deux ou trois cafés, pour se préparer; sur le boulevard, ils culbutèrent des kiosques à journaux et quelques voitures sous le regard bienveillant des sergents de ville. Ils formèrent un amas sur le milieu de la chaussée, auquel ils essayèrent de mettre le feu. Ces ouvriers en émeutes s'en allèrent

ensuite tranquillement leur besogne était terminée. Quand il ne resta plus que des badauds qui contemplaient avec une stupéfaction railleuse ce commencement de barricade, la police et la garde de Paris se lançèrent sur eux à coups de casse-tête, assommèrent les uns, arrê tèrent les autres. Trois jours de suite, ce fut la même répétition sans variante. Le gouvernement avait annoncé des procès terribles contre les chefs de l'émeute. Il eut soin de les escamoter à l'aide de l'amnistie du 15 août 1869.

Je me rappelle qu'au Rappel, en 1870, un affreux mouchard, qui apportait des faits divers, envoya un jour le plan d'une émeute qui devait avoir lieu quelques jours après.

La police niait les casse-têtes. Elle a de tels procédés qu'elle suit toujours le conseil d'Avinain: - N'avouez jamais.

Dans l'Enquête sur le 18 mars, M. Marseille a avoué le casse-tête (page 195):

« Les journaux de l'opposition saisirent le prétexte (une riposte des sergents de ville) pour dirè: Vous le voyez, on a armé les agents de casse-têtes; c'est une boucherie que l'on veut faire, et bien d'autres choses qui semaient la haine contre les agents et contre le gouvernement. La vérité est qu'on leur avait interdit l'usage du casse-.ête; maintenant quelques-uns ont pu s'en servir, cela est probable et J'EN SUIS CERTAIN...(Mouvement dans l'auditoire), car, par mon service de contrôleur géneral, je dois voir comment les ordres du préfet sont exécutés par les agents. »

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On se rappelle l'affaire du 8 janvier 1882, appelée la manifestation Blanqui. Un coup de revolver servit de prétexte à des charges et à des arrestations. On s'est bien gardé de savoir qui l'avait tiré.

Les affaires du 22 mai 1880 sur la place de la Bastille, du 27 mai 1882 sur le boulevard Saint-Michel, du 9 mars

1883, méritent des mentions spéciales. Nous les traiterons à part1.

Tout le monde connaît ce terrible complot de police organisé par Fouché et Bonaparte. Arena, Ceracchi, TopinoLebrun, Demerville, étaient coupables de déclamations patriotiques. La police transforma leur imprudence en complot et lui donna un commencement d'exécution. Ses gents les transformèrent en conspirateurs, ayant paru à 'Opéra, armés de poignard. Tous les quatre furent conlamnés à mort le 19 nivôse (9 janvier 1801) an IX, et exécutės le 11 pluviôse (31 janvier), le jour même où Fouché avait fait son rapport sur les vrais auteurs de la machine nfernale.

Je ne rappellerai ni les complots de la Restauration ni les complots du temps de Louis-Philippe. Il y en eut de véritables, et je ne vise que les complots de police.

Sous le second Empire, à la veille de chaque événement politique, il fallait un complot. C'était le levier avec lequel l'Empire croyait agir d'une manière infaillible sur l'esprit timoré et tranquille de la majorité de la nation. La Préfecture de police était chargée de la fabrication.

Dans l'automne 1852, pendant le voyage du prince président dans le Midi, destiné à préparer l'Empire, on annonça la découverte, à Marseille, d'une machine infernale. Il fallait bien une réduction de la machine infernale du premier Consul! Les journaux indépendants ayant été supprimés, les autres donnèrent sur cette machine tous les détails que put imaginer la police. On arrêta même le coupable, un nommé Gaillard. On annonça qu'il allait être jugé. On ne poussa pas cependant la férocité jusqu'à le guillotiner pour prouver que ce n'était pas pour rire. Seulement la ratification plébiscitaire accomplie, on ne parla plus ni de Gaillard ni du complot.

Le grand fabricant de complots du second Empire fut Lagrange.

1. Voir I. IV, chap. III.

Ancien ouvrier mécanicien, démasqué comme agent secret après la Révolution de 1848, il portait à la Préfecture le titre modeste de commissaire de police attaché au cabinet du préfet; seul maître dans un bureau qui ne contenait pas moins de 35,898 dossiers, gardant sous son autorité directe un personnel d'agents qui n'étaient même pas connus du Préfet, ayant, en dehors de son bureau, un domicile où il pouvait, sans attirer les soupçons, recevoir leurs rapports sous un nom supposé, il était en réalité le directeur souverain de la police politique. Pour donner une idée de l'importance de son service, il suffit de dire que <«<le montant du dernier bordereau, signé de sa main e arrêté au 21 août 1870, s'élevait à la somme de 17,156 francs répartis entre soixante-deux agents secrets opérant à Paris. à Londres, à Turin, en Allemagne, dans l'usine Cail et aur différentes gares de chemin de fer dans la capitale, et désignés pour la plupart par des pseudonymes et des initiales1. >>

Un investigateur par profession, M. Félix Rocain, archiviste aux Archives nationales, a, dans un rapport à M. de Kératry sur les documents politiques conservés à la Préfecture de police, fort bien exposé la genèse de ces créations policières.

« Pour citer un exemple, dit-il, une réunion intime avait lieu entre quelques personnes qui échangeaient leur regrets et leurs espérances sur les affaires du jour. Un indicateur conduit là, à un titre quelconque, dénonçait la réunion. Sur les instructions qu'il recevait, il grossissait le cercle où il était admis. Il introduisait, en qualité de coreligionnaires, quelques personnes dont il connaissait les opinions excessives. Par l'exagération de ses discours. il déterminait une exagération semblable dans les discours des assistants. Peu à peu des projets se formulaient, inspirés ou dictés par l'agent. Parfois un second agent, inconnu

1. De Kératry. Le 4 Septembre el le annexe no 3.

nement de la Défense,

gouvernemer

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