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autrement, il se traîne dans la gêne, et mécontent de tous et de lui-même, trouvant que le métier qu'il avait cru un métier de fainéant est un métier assez dur, il devient terrible envers tout le monde. S'il peut arriver à sa retraite, encore jeune, il se trouve alors à la tête d'une petite rente; et si sa femme et lui sont intelligents et économes, ils peuvent se créer une bonne situation.

Ce n'est pas précisément l'esprit athénien qui règne à la Préfecture de police. La plupart des officiers de paix croient de bon ton d'être insolents: l'insolence fait partie de leur uniforme. Insolents envers le public, ils subissent les insolences de leurs chefs. M. Ansart leur parlait comme un planteur mal élevé parlait à ses nègres. Ils rendent ces aménités à leurs inférieurs. Nous avons vu le discours de début de M. Macé.

Il y a des tyranneaux étonnants des brigadiers ne daignent pas parler à leurs hommes, sinon pour leur annoncer des punitions.

Ils ne se piquent point d'humanité.

M. Brissaud, à un inspecteur dont le père était à l'agonie et qui lui demandait un congé, répond: - Qu'il aille à l'hôpital, vous êtes employé et non garde-malade.

Si un agent tombe malade par suite de fatigues contractées dans le service; s'il reçoit quelque blessure en arrêtant un malfaiteur, ou en accomplissant un acte de dévouement, un médecin de la police vient le voir, et lui dit : · Êtes-vous malade? Est-ce bien sûr? Vous ne mentez pas? Allez à l'hôpital.

C'est encourageant.

La Préfecture de police est une caserne, sous le régime d'un caporalisme brutal. Il n'est pas étonnant que ses agents le transportent dans leurs relations avec le public.

CHAPITRE VI

LE MÉCANISME DE LA POLICE DANS LES DÉPARTEMENTS

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La gendarmerie.
Échenillage et

Son principal représentant, le préfet. Ses attributions. La sûreté générale. Le commissaire de police rural. Police gouvernementale, pas de police municipale. espionnage.

Dans le reste de la France, la police a pour principal représentant, dans chaque département, le préfet. Il a la police des mendiants et vagabonds, des prisons, maisons d'arrêt, la conservation des propriétés publiques, forêts, rivières, et le maintien de la sûreté, de la salubrité et de la tranquillité publiques : il a le droit de requérir la force publique pour repousser les attaques des brigands et des attroupements séditieux; il est chargé de prendre les mesures pour le placement des aliénés; les décrets du 8 juin 1803 et 30 juin 1852 lui attribuent la police des théâtres; la loi du 18 germinal an X celle des cultes. Il peut ordonner toutes les mesures de sûreté générale relatives à la police municipale. Le maire n'a qu'à assurer l'exécution de l'arrêté intervenu1. Il ne peut ni le remplacer par un nouvel arrêté, ni l'abroger, ni autoriser une dérogation spéciale.

Alors quels pouvoirs de police reste-t-il au maire?

L'article 3 du titre XI de la loi des 16-24 août 17912 domine toujours la police municipale. Le maire tient la

1. Cas., 23 avril 1835.

2. V. Suprà, p. 33.

:

place des corps municipaux auxquels cette loi en confiait l'application. La loi du 18 juillet 1837 « le charge, sous la surveillance de l'administration supérieure, de la police municipale, de la police rurale et de la voirie municipale, et de pourvoir à l'exécution des actes de l'autorité qui s' rapportent. » Si le maire ne fait pas certains des actes qui sont prescrits par la loi, le préfet, après l'en avoir requis, peut y procéder d'office par lui-même ou par un délégué spécial. Tous les arrêtés, sans exception, doivent lui être transmis il peut en suspendre ou en annuler l'exécution. D'après l'article 23 de la loi de 1867, dans les villes chefs-lieux de département de plus de 40,000 âmes de population, l'organisation du personnel chargé des services de la police est réglée, sur l'avis du Conseil municipal, par un décret du chef de l'Etat, le Conseil d'État entendu. Les inspecteurs et agents de police devraient être nommés par le préfet sur présentation du maire : mais l'article 3 de la loi du 20 janvier 1871 a donné au maire le droit de les nommer, à charge de les faire agréer par le préfet. Le maire, qui les a nommés, peut seulement les suspendre. Le préfet seul a le droit de les révoquer.

Les commissaires de police des villes de plus de 6,000 âmes sont nommés par le chef de l'État : les commissaires de police des autres communes sont nommés par le préfet et peuvent seulement être définitivement révoqués par le ministre de l'intérieur. Les gardes champêtres sont nommés par les préfets, sur la présentation des maires.

Il y a au ministère de l'intérieur une direction de la sûreté générale, dont les attributions, autres que la nomination et le contrôle des commissaires de police des départements, n'ont jamais été bien nettement déterminées. M, Léon Renault l'avait réunie à la Préfecture de police, ce qui reconstituait en réalité un ministère de la police: M. de Broglie, au 16 Mai, en exigea le retour au ministère de l'intérieur.

Voici le portrait du commissaire de police de campagne que je traçais pendant l'ordre moral:

Il y a dans certaines communes un homme que personne n'appelle par son nom et que tous désignent par son titre. C'est un des champignons vénéneux poussés sur notre fumier politique. L'administration l'a choisi parmi les sous-officiers, buveurs d'absinthe, coureurs de filles, carottiers, ivrognes, que leurs habitudes empêchent, leur temps fini, de rentrer honorablement dans la vie sociale pour vivre de leur travail. Rebut de l'armée, incapable d'être homme, propre à rien, il est bon à tout faire. L'administration le prend, lui donne une écharpe, douze cents francs d'appointements, pleins pouvoirs, et le lâche comme un dogue sur certains villages, soupçonnés de républicanisme, moins que cela, d'avoir quelques velléités d'indépendance, en lui disant: Mords là!

On le voit errer seul, le chapeau sur l'oreille et cachant les yeux, de grosses moustaches hérissées, la mâchoire en avant, les mains dans les poches, les épaules en arrière, le talon sonnant sur le sol, impudent, matamore, aussi plein de bêtise que d'insolence. Le soir, dans les coins sombres, au milieu des ordures, il se dépose en embuscade de la vertu des jeunes filles et de la tranquillité des hommes.

Cet être crapuleux, fanfaron comme un lâche, hargneux, baveux, venimeux, écumant, ignoble, plat et redondant, insupportable à tous et qui devrait l'être à lui-même, c'est le représentant de l'autorité, de l'ordre moral, de la famille, de la propriété, c'est le commissaire de police.

On entend dire à cet homme:

Je suis le maître de la commune. Je peux faire de vous ce que je veux, entendez-vous! Je suis au-dessus de votre maire. Je puis vous arrêter, vous dénoncer à mon gré. J'aurai tort, on me donnera raison. Vous voyez bien que vous ne pouvez pas m'échapper.

Et nous sommes tellement habitués, en France, à être écrasés par « l'autorité », que beaucoup se taisent et se disent: Ii a raison. Il est notre maître. Nous ne pouvons rien contre lui! Il peut faire ce qu'il veut.

et celui-ci, nommé par le chef de l'État, n'est responsable que devant le ministre de l'intérieur.

Pour toute la France, la police générale et politique, la seule existante, s'étend de l'échenillage des arbres à l'espionnage du Président de la République. Si cette dernière attribution n'est pas prévue par la Constitution, elle fait tellement partie de notre système politique que nous sommes certain qu'aucun des titulaires du portefeuille de l'inté rieur et aucun des préfets de police ne l'a négligée.

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