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PROTECTION, f. f.

Νους NOUS entendons par Protection, la défense, l'appui, l'autorité qu'on emploie pour défendre & conferver les intérêts des foibles, des miférables ou de ceux pour qui on a quelque affection particuliere. La Protection active, c'est-à-dire confidérée dans le protecteur, fuppofe dans celui qui protege, de la puiffance, de l'autorité, du crédit, de l'appui, de la faveur & de la bonne volonté. Au contraire, la protection paffive fuppofe dans le protégé de la foibleffe, du befoin, de la dépendance. Le peuple vit fous la Protection des loix contre la violence des tyrans.

Le devoir du fouverain qui tient de plus près à la fin de l'établissement de la fociété, & qui en forme le lien le plus étroit, c'eft la Protection qu'il doit à fes fujets. Ce fut en vue de cette Protection contre les attaques internes & externes, que les hommes furent principalement déterminés à s'unir en société ; c'eft cette Protection qui nous affure la paifible jouiffance de nos droits; c'eft elle qui nous affure nos vies, nos biens, notre honneur : c'eft elle qui dicta cette réponse noble & jufte d'une femme qui demandoit le troupeau qu'on lui avoit enlevé pendant fon fommeil : vous dormiez donc bien profondément, lui dit le magiftrat. Oui, répond cette femme intrépide, parce que je croyois que vous veilliez pour moi : c'eft elle qui donne le droit à tout citoyen offenfé de dire à fon fouverain : je fuis offenfe; & peut-être je ferois déjà vengé, fi vous ne m'aviez lié les mains avec vos loix: je ne m'en plains pas; moi-même j'y ai confenti, mais fous la condition que vous prendriez ma place, en déployant pour ma défense toute la force publique. J'ai rempli mon engagement, & je n'ai point agi; c'eft à vous d'exécuter le vôtre en agiffant pour moi; chaque moment perdu eft une violation de vos fermens, & il feroit affreux de m'avoir été les forces de l'état de nature, pour me livrer fans défense aux maux de l'état civil. La Protection que le fouverain doit à fes fujets eft tellement identifiée pour ainfi dire avec la fouveraineté, que fans Protection, la fouveraineté n'existe plus. Un fouverain qui ne protege pas fes fujets dans toutes les occafions, eft indigne de ce nom : & les fujets abandonnés, font cenfés délivrés des engagemens de la fociété civile, & remis à leur état primitif, par la loi de la confervation, qui non-feulement leur rend leur liberté, mais qui les y oblige de la maniere la plus forte. La balance des devoirs & des droits réciproques qui fait la bafe de l'état naturel, ne fait pas moins celle de l'état civil. Si le droit du fouverain eft que fes fujets lui obéiffent, fon devoir eft auffi d'affurer la vie, l'honneur, les biens de ses sujets : c'eft parce qu'il doit Protection & fureté, qu'on lui doit obéiffance & partage dans les récoltes. Le territoire de Zug, attaqué par les Suiffes en 1352, envoya au duc d'Autriche fon fouverain, pour en obtenir du fecours: ce prince im

bécille daigna à peine écouter les députés. Ce peuple abandonné, entra dans la confédération helvétique. La ville de Zurich s'étoit vue dans le même cas, une année auparavant., Attaquée par des citoyens rebelles foutenus de la nobleffe des environs, & par la maifon d'Autriche, elle s'adreffa au chef de l'empire. Mais Charles IV, pour lors empereur, déclara à ses députés, qu'il ne pouvoit la défendre. Zurich entra & trouva fon falut dans l'alliance des Suiffes. C'eft ce devoir encore qui forme proprement le fou· verain, & qui en affermit le trône. C'est ce devoir enfin qui fait briller tous les autres aux yeux de la nation; & qui même fouvent lui empêche de fentir que le fouverain néglige ou foule aux pieds les autres. Cromwel étoit un ufurpateur bien odieux. Il avoit forcé la religion d'être fa complice. Il avoit fouillé l'Angleterre du fang le plus précieux. Il avoit volé la couronne, & n'ofant la mettre fur fa tête, il fe faifoit obéir en la portant à fa main. Il étoit cruel, fans foi, voluptueux : il avoit l'ame de Néron, avec le cœur d'Attila: mais il refpectoit le droit des particuliers: il faifoit rendre la juftice avec une impartialité févere en un mot, il protégeoit les Anglois, qui l'honorerent du titre flatteur de protecteur. Il mourut paifible dans fon lit, & des larmes non fufpectes honorerent fon convoi.

Tibere, Louis XI, Ferdinand-le-catholique, &c. étoient certainement des princes déteftables. Ils fe jouoient, au moins les deux premiers, de la vie des hommes, & tous les trois de la fainteté des fermens. Ils facrifioient tout à l'augmentation de leur pouvoir. Cependant on trouve dans leurs hiftoires, peu de regnes auffi fortunés. Pourquoi? C'est parce qu'avec leur cruauté & leur perfidie, ils protégeoient leurs fujets contre les attaques du dedans & du dehors : les propriétés de chacun étoient facrées, au milieu des ordres fanguinaires qu'ils donnoient.

Des princes d'un caractere bien fupérieur, des fouverains adorés avec raifon de tous ceux qui les approchoient, ont été les victimes des plus funeftes révolutions, faute d'avoir été les protecteurs de leurs peuples & d'avoir eu cette févérité rigide, qui eft la premiere vertu de leur rang, & qui leur convient beaucoup mieux que ce qu'on appelle en eux la bonté. De pareils fouverains feroient des particuliers très-eftimables, mais ils font des fouverains très-dangereux; ils reffemblent aux ftatues faites pour être placées dans les lieux élevés à une grande diftance de l'œil du fpectateur. Si les traits en font trop doux, elles préfentent une phyfionomie baffe elles n'ont aucune beauté, ou plutôt elles paroiffent très-défagréables. Pour qu'elles y brillent avec majefté, il faut que le fculpteur ait foin de leur donner des traits mâles, rudes & groffiers. C'eft cette rudeffe choquante de près, qui en fait la grandeur & la beauté dans l'éloignement.

Il y a une autre efpece de Protection, qui eft celle dont un Etat puiffant, honore un autre foible. L'ufage des Protections a été fréquent, tandis que l'on a pensé que la politique & la bonne foi pouvoient fympatifer. Mais P'expérience a appris que cette conduite a fouvent été funefte. Rome ac

quit une autorité infinie à l'ombre de ces Protections: les principaux d'entre les fénateurs prirent même des villes fous leur Protection : étoit-ce avec ce même défintéreffement qui faifoit briller les commencemens de la république? Il étoit réservé à Rome de nourrir dans fon fein des citoyens d'une grandeur auffi diftinguée. L'antiquité ne fournit nulle part de pareils exemples; & s'il eft permis d'affurer l'avenir fur les conjectures que peut fournir le préfent, la poftérité n'en verra jamais de femblables. C'eft par ce moyen que Rome fe rendit maîtreffe de la plus grande partie de la Grece. Ces républiques étoient confidérables autrefois : mais à mesure que des puiffances fupérieures les environnerent de plus près, leur grandeur s'éclipfa. Preffées par les rois de Macédoine, de Pont & d'Egypte, elles regarderent les Romains comme les protecteurs de la liberté; elles leur livrerent leurs citadelles comme à des amis pour les défendre. La Grece introduifit chez elle fon plus dangereux ennemi.

Cette Protection n'eft pas rare aujourd'hui. Hambourg, ville fouveraine, eft fous la Protection des ducs d'Holftein. Aix-la-Chapelle, Ratisbonne, Lubeck, & les autres villes, que l'on nomme impériales, font fous la Protection de l'empereur qui eft leur protecteur né; mais d'un autre côté, elles contribuent aux charges publiques de l'Empire Germanique, dont elles font partie, abfolument parlant. Mais elles y ont un crédit si médiocre, leurs voix font fi peu écoutées dans les dietes, qu'elles ne doivent être confiderées que comme des villes protégées par l'Empire, en fourniffant le prix de la Protection. La Protection accordée par la Pologne à la ville de Dantzig, n'eft pas d'une nature équivoque. Les rois de Pologne font dans l'ufage de la lui faire payer affez cherement pour qu'elle puiffe être rangée dans l'ordre des Protections achetées.

Celle-ci peut encore être regardée ou comme privée, ou comme publique. La Protection privée n'a ni loix ni réglemens : elle eft clandeftine, elle n'ofe s'avouer. Que pourroit-on en dire de particulier? On peut affurer en général que de tous les maux qui affligent une république, il n'en eft point de plus confidérable: elle fait céder le mérite à la faveur : elle pofe une barriere entre la vertu & les dignités. C'eft à l'ombre de fon aile que le vice eft en honneur & que le crime s'affure l'impunité; c'eft la boëte de Pandore. Les hommes peuvent faire des réglemens pour la défendre; mais comment peuvent-ils les faire exécuter? Il n'y a que les perfonnes accréditées qui puiffent être fes inftrumens.

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Lors qu'une nation n'est pas capable de fe garantir elle-même d'infulte & d'oppreffion, elle peut fe ménager la Protection d'un Etat plus puiffant. Si elle l'obtient en s'engageant feulement à certaines chofes, même à un tribut, en reconnoiffance de la fureté qu'on lui procure, à fournir des troupes à fon protecteur, & jufqu'à faire caufe commune avec lui, dans toutes fes guerres, fe réservant du refte le droit de fe gouverner à fon gré; c'eft un fimple traité de Protection, qui ne déroge point à la fouveraineté,

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& qui ne s'éloigne des traités d'alliances ordinaires, que par la différence qu'il met dans la dignité des parties contractantes.

Mais on va quelquefois plus loin, & bien qu'une nation doive conferver précieusement la liberté & l'indépendance qu'elle tient de la nature, lorfqu'elle ne fe fuffit pas à elle-même, & qu'elle fe fent hors d'état de résister à ses ennemis, elle peut légitimement fe foumettre à une nation plus puiffante, à de certaines conditions, dont elles conviendront; & le pacte ou traité de foumiffion fera dans la fuite la mefure & la regle des droits de l'une & de l'autre. Car celle qui fe foumet cédant un droit qui lui appartient, & le tranfportant à l'autre, elle eft absolument la maîtreffe de mettre à ce transport telles conditions qu'il lui plaît, & l'autre en acceptant la foumiffion fur ce pied, s'engage à en obferver religieufement toutes les clauses.

Cette foumiffion peut varier à l'infini, fuivant la volonté des contractans ou elle laiffera fubfifter en partie la fouveraineté de la nation inférieure; la reftreignant feulement à certains égards; ou elle l'anéantira totalement, en forte que la nation fupérieure deviendra fouveraine de l'autre; ou enfin la moindre fera incorporée dans la plus grande, pour ne former désormais avec elle qu'un feul & même Etat, & alors fes citoyens auront les mêmes droits que ceux auxquels ils s'uniffent. L'hiftoire Romaine nous fournit des exemples de ces trois efpeces de foumiffion : 1o. Les alliés du peuple Romain, tels que furent long-temps les Latins, qui dépendoient de Rome à divers égards, & du refte, se gouvernoient fuivant leurs loix & par leurs propres magiftrats. 2°. Les pays réduits en province Romaine, comme Capoue, dont les habitans se soumirent absolument aux Romains. 3°. Enfin les peuples à qui Rome accordoit le droit de bourgeoisie. Les empereurs donnerent dans la fuite ce droit à tous les peuples foumis à l'Empire, & transformerent ainfi tous les fujets en citoyens.

Dans le cas d'un véritable aflujettiffement à une puiffance étrangere, les citoyens qui n'approuvent pas ce changement ne font point obligés de s'y foumettre; on doit leur permettre de vendre leurs biens & de fe retirer ailleurs. Car pour être entré dans une fociété, je ne fuis point obligé de fuivre fon fort, lorfqu'elle fe diffout elle-même, pour fe foumettre à une domination étrangere. Je me fuis foumis à la fociété telle qu'elle étoit, pour vivre dans cette fociété, & non dans une autre, pour être membre d'un Etat fouverain : je dois lui obéir tant qu'elle demeure fociété politique; lorfqu'elle fe dépouille de cette qualité, pour recevoir la loi d'un autre Etat, elle rompt les nœuds qui uniffoient les membres, & les délie de leurs engagemens.

Quand une nation s'eft mife fous la Protection d'une autre plus puiffante, ou même s'eft afsujettie à elle, dans la vue d'en être protégée; fi celle-ci ne la protege pas effectivement dans l'occafion, il eft manifefte que manquant à fes engagemens, elle perd tous les droits que la convention lui

avoit acquis, & que l'autre, dégagée de l'obligation qu'elle avoit contractée, rentre dans tous fes droits, & recouvre fon indépendance ou sa liberté. Il faut remarquer que cela a lieu même dans le cas où le protecteur ne manque point à fes engagemens par mauvaise foi, mais par pure impuiffance. Car la nation plus foible ne s'étant foumife que pour être protégée; fi l'autre ne fe trouve point en état de remplir cette condition effentielle, le pacte eft anéanti; la plus foible rentre dans fes droits, & peut, fi elle le juge à propos, recourir à une Protection plus efficace. C'eft ainfi que les ducs d'Autriche, qui avoient acquis un droit de Protection, & en quelque forte de fouveraineté fur la ville de Lucerne, ne voulant, ou ne pouvant pas la protéger efficacement; cette ville fit alliance avec les trois premiers cantons: & les ducs ayant porté leurs plaintes à l'empereur, les Lucernois répondirent, qu'ils avoient ufe du droit naturel & commun à tous les hommes, qui permet à un chacun de chercher sa propre fureté, quand il eft abandonné de ceux qui font obligés de le fecourir.

La loi eft égale pour les deux contractans: fi le protégé ne remplit pas fes engagemens avec fidélité, le protecteur eft déchargé des fiens; il peut refufer la Protection dans la fuite, & déclarer le traité rompu, au cas qu'il le juge à propos pour le bien de fes affaires.

En vertu du même principe, qui délie l'un des contractans, quand l'au tre manque à fes engagemens; fi la puiffance fupérieure veut s'arroger fur la foible plus de droit, que le traité de Protection, ou de foumission ne lui en donne, celle-ci peut regarder le traité comme rompu, & pourvoir à fa fureté fuivant fa prudence. S'il en étoit autrement, la nation inférieure trouveroit fa perte dans une convention, à laquelle elle ne s'eft réfolue que pour fon falut; & fi elle étoit encore liée par fes engagemens, lorfque fon protecteur en abufe & viole ouvertement les fiens, le traité deviendroit un piege pour elle. Cependant comme quelques-uns prétendent, qu'en ce cas, la nation inférieure a feulement le droit de réfifter & d'implorer un fecours étranger; comme fur-tout les foibles ne peuvent prendre trop de précautions contre les puiffans, habiles à colorer leurs entreprises; le plus sûr eft d'inférer, dans cette efpece de traité, une clause commiffoire qui le déclare nul, dès que la puiffance fupérieure voudra s'arroger plus de droit que le traité ne lui en donne expreffément.

Mais fi la nation protégée, ou foumise à certaines conditions, ne réfifte point aux entreprises de celle dont elle a recherché l'appui; fi elle n'y fait aucune oppofition; fi elle garde un profond filence, quand elle devroit & pourroit parler; fa patience, après un temps confidérable, forme un confentement tacite, qui légitime le droit de l'ufurpateur. Il n'y auroit rien de ftable parmi les hommes, & fur-tout entre les nations, fi une longue poffeffion, accompagnée du filence des intéreffés, ne produifoit pas un droit certain. Mais il faut bien obferver, que le filence, pour marquer un confentement tacite, doit être volontaire. Si la nation inférieure prouve, que Tome XXVII.

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