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durent auffi 'produire de bons effets, & communiquer à cette nation les vertus qui marchent toujours à la fuite des bons établissemens & d'une pareille éducation. Il est beau, il eft important de confidérer de plus près les effets admirables de ces fages inftitutions; entrons dans quelque détail. D'abord, les Romains, tant patriciens que plébéïens, avoient un attachement & une eftime particuliere pour l'agriculture. La coutume de labourer la terre de fes propres mains, étoit générale dans les premiers fiecles de la république. Scipion demanda au fénat ce qu'il devoit faire de plufieurs bibliotheques qu'il avoit trouvées dans Carthage qu'il venoit de prendre le fenat lui ordonna de les diftribuer entre les rois d'Afrique, qui étoient alliés des Romains, & de ne garder que les vingt-huit livres de Magon fur l'agriculture; livres que le fénat fit enfuite traduire en latin. Les anciens Romains, pour donner de grandes louanges à un homme, difoient qu'il étoit un bon laboureur.

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De ce penchant réfultoit 1°. une population très-considérable , comme le prouvent les dénombremens; 2o. l'abondance des vivres; 3°. l'établisse-ment des colonies qui contribuerent tant à étendre & affermir l'empire Romain; 4o la forces extraordinaire qui rendoit les Romains fi propres aux travaux militaires.

Ajoutons la frugalité, dont on trouve des preuves convaincantes dans la nourriture ordinaire des foldats, & dans les loix fomptuaires des Romains. Ces foldats, fi chargés de fatigues, n'avoient pour leur nourriture qu'un peu de pain mal cuit, une petite mesure de farine, & de l'eau avec du vinaigre. Cependant les armées Romaines étoient ordinairement compofées de patriciens, de chevaliers, & de ce qu'il y avoit de mieux parmi les -plébeïens car, il falloit avoir des terres pour être enrôlé. Se feroit-on accommodé de pareils alimens en campagne, fi l'on n'avoit pas été accoustumé à vivre très-fobrement en temps de paix? C'eft ce que prouvent les loix fomptuaires. En 59, la loi Fannia permettoit de dépenfer cent as par repas en certains jours de fêtes, ce qui fait environ douze livres; trente as dix fois par mois; & dix feulement les autres jours, ce qui fait environ une livre quatre fols de notre monnoie.

-Les autres loix fomptuaires, même celle que Sylla publia dans un temps où l'opulence des Romains étoit parvenue à fon plus haut degré, diffé-roient peu de la loi Fannia.

Scipion l'Africain, Sp. Mummius, & L. Metellus, envoyés en ambassade ǎo Ptolomée Phifcon, roi d'Egypte, étónherent ce prince & fa cour par -leur frugalité. Scipion n'avoit avec lui que le célébre philofophe Panėtiùs, & cinq domeftiques, & à une table exquife, ces ambaffadeurs ne toucherent qu'aux mêts les plus fimples.

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Des gens qui n'avoient que de petits héritages, & qui ne s'occupoient qu'à les cultiver, devoient néceffairement méprifer le vice au milieu de fon opulence, & faire grand cas de la probité & du mérite, même au

fein de la pauvreté; c'eft ce qu'on remarque dans l'hiftoire de Rome, où l'on ne voit jamais que les Romains ayent attaché l'idée de déshonneur à celle de pauvreté. Il ne tomboit pas dans l'efprit des Romains que la pauvreté rendit un homme de mérite indigne des premieres charges de la république. Lors même qu'ils furent corrompus par l'or des nations vaincues, dans le temps que, comme dit Sallufte, ils auroient vendu leur ville s'ils en avoient trouvé l'acheteur, ils étoient encore fort éloignés de faire la monftrueuse liaison des idées de mérite & de richesses.

Cependant un grand nombre de particuliers s'enrichirent prodigieufement des dépouilles du monde; peu à peu ils s'emparerent de toutes les terres des citoyens Romains, & l'agriculture tomba. Elle s'anéantit fous Sylla & fous Célar, parce que rien n'eft plus contraire à l'esprit d'agriculture, que le defpotifme...

Récapitulons. L'autorité des rois de Rome étoit tempérée par celle du fénat, & par les prérogatives du peuple. Auffi l'agriculture s'établit & prit -pied, au point qu'après l'expulfion des rois, l'efprit d'agriculture s'oppofa Sau defpotifme que les patriciens voulurent exercer fur le peuple. Les Romains s'enrichirent, l'efprit d'agriculture périt, & avec lui s'anéantirent les bonnes mœurs & la liberté,

CONSIDÉRATIONS

Sur les loix civiles des Romains,

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LES ES loix civiles font celles qui reglent les affaires des citoyens entr'eux. Elles naiffent, s'augmentent, & varient avec les befoins, & par conféquent avec les affaires qu'elles doivent régler. De la diverfité des befoins il réfulte qu'il faut différentes loix aux différentes nations, & à la même nation en différens fiecles.

Il eft des besoins communs à tous les peuples qui vivent en fociété; les loix qui concernent ces befoins communs, peuvent être les mêmes partour. Il eft des befoins communs à tous les peuples policés; ces peuples peuvent avoir les mêmes loix relatives aux mêmes objets; mais ordinai rement ces loix varient suivant la fituation du pays, les qualités du sob, le climat, le gouvernement, les mœurs, les manieres, l'efprit, & le caractere général de chaque nation.

Les Barbares qui envahirent l'Europe, mêlerent leurs coutumes aux loix civiles des peuples vaincus; & les vaincus mêlerent leur droit aux coutu-mes des vainqueurs. Le gouvernement féodal enfanta d'autres ufages & de nouvelles coutumes. De ce mélange fut formé le premier droit écrit.

Ce droit ne peut contenir qu'une légiflation imparfaite. Pour y remédier, les fouverains, Francs & Allemands, firent leurs capitulaires; & les autres princes de nouvelles loix, qui, quoique faites dans les affemblées de la nation,

furent

furent l'ouvrage des eccléfiaftiques; & les éccléfiaftiques firent adopter tout à la fois le droit Canon & le droit Romain..

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On s'apperçut bientôt que ces deux droits étoient contraires aux loix & aux coûtumes anciennes. Four y remédier; -on fit de nouvelles collections de loix, de coutumes, de ftatuts; & cleft ce qu'on pratique encore,

Il n'y a donc dans cette légiflation que défordre, contradiction, & mélange abfurde de chofes oppofées. Faut-il connoître ces loix en détail pour dire qu'elles font mauvaises?

Cependant, comme les loix Romaines dominent encore en Europe, nous nous déterminons à les examiner ici avec quelque détail.it

I. De l'établissement du Droit Romain dans Europe.

POUR OUR maintenir plus aifément leurs fujets dans l'obéiffance, les Romains introduifoient leurs mœurs & leurs loix dans tous les pays qu'ils fubju guoient. C'eft ce que pratiquerent Agricola en Angleterre & Drafus dans la Germanie. C'eft à quoi tendoient les colonies que les Romains établisfoient au milieu des peuples conquis; les foins que prenoient les gouver neurs & leurs officiers & amis, de s'attacher par toute forte de voies olas nobleffe & les principaux du pays; leur attention à n'adminiftrer la justice qu'à la Romaine, & à ne publier leurs édits qu'en latin. Auffi l'Espagne net. fut entiérement foumife que quand Augufte eut trouvé le moyen de plier les Espagnols aux mœurs & aux loix Romaines. Si les Romains n'eurent pas le même fuccès en Germanie, c'eft qu'ils ne purent pas s'y foutenir. Mais quand les Germains quitterent leur patrie pour fe fixer dans les Gaules; en Efpagne, & en Italie, ils fe foumirent au droit Romain qu'ils y trouverent établi, La chofe eft naturelle. Ces peuples, en fortant de leurs forêts, n'avoient point de loix; parce qu'ils avoient très-peu d'idées & de befoins, & par conséquent d'affaires entr'eux: un petit nombre de coutumes fuffifoient pour prévenir ou terminer tous leurs différends. Nous ne croyons pas même que les Franes euffent rédigé leurs loix faliques avant de paffer dans les Gaulesene on one no elek en hub 15 2012.

Quant à l'origine des loix que fe donnerent les peuples fortis de la Ger manie, ces peuples conferverent leurs anciennes mœurs & inclinations; mais ils acquirent une foule d'idées nouvelles & de nouveaux befoins. Ils emprunterent donc de leurs fujets les mœurs & les loix qui fe rapportoient immédiatement à ces nouvelles idées & à ces nouveaux befoins, en gard dant leurs coutumes par rapport aux objets qui ne leur étoient pas nouveaux, & s'accordant des prérogatives. Ce font cess anciennes coutumes qu'ils inférerent dans leurs codes; aufficne contiennent-ils prefque que des loix criminelles. Ils n'embraffent que très-peu de matieres, parce que les vainqueurs fe rapporterent pour le civil prefqu'entiérement aux coutumes & aux loix des vaincus, qui pour la plupart les avoient tirées des Romains.

Tome XXVI.

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Delà vient qu'on trouve dans les codes des Barbares les traces du droit Romain, qui font plus fréquentes dans les additions faites fucceffivement à ce's codes.

Toutes ces nations conquérantes permirent aux vaincus de vivre fuivant leurs propres loix; parce que leur caractere les y portoit; & fur-tout, parce que les loix Romaines ftatuoient sur un grand nombre de cas, dont les peuples du Nord n'avoient aucune connoiffance, & quand ils connurent ces objets, ils reçurent les loix Romaines.

On objectera que le droit Romain fut expreffément défendu en Efpagne. Cependant la loi des Vifigoths eft, felon Cujas & felon la vérité, presque toute Romaine. D'ailleurs cette défense fut faite deux fiecles après que les loix Romaines avoient été reçues dans la pratique, & incorporées dans les loix des Vifigoths.

Ce qui acheve de prouver que fe fond du droit des Francs étoit Romain, eft que dans les capitulaires de Louis-le-Débonnaire, la loi Romaine eft appellée la mere de tout droit humain.

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Après Charlemagne les invafions des Normands & les guerres inteftines couvrirent toute l'Europe des tenebres de l'ignorance, en forte qu'il n'y avoit que quelques moines ou évêques qui fuffent lire; & tout le droit fe réduifit aux ufages, qui même fouffrirent de grands changemens. Les guer res continuelles que fe faifoient les petits feigneurs, auffi-bien que les grands, anéantirent tout commerce entre les hommes de différens endroits; & chaque ville, chaque bourg, chaque village fe fit fa propre coutume; enfuite toutes les coutumes furent rédigées par écrit, & donnerent fieu à cette diverfité de loix qu'on trouve dans les diftricts voisins d'un même Etat. Cependant le clergé fe fouvint avec refpe&t du droit Romain qu'il n'avoit jamais abandonné, dans la liberté accordée à chacun de vivre, suivant la loi qu'il vouloit, & où il troavoit plufieurs conftitutions des empereurs chrétiens, qui lui étoient favorables. Auffi le peu d'eccléfiaftiques qui favoient écrire, en inférerent des lambeaux dans les compilations qu'ils firent des décrets, des canons, & ‹des décrétales des papes.

Au commencement du douzieme fiecle, on entrevit quelque lueur de science. Il se trouva des gens qui allérent en Grece pour fe polir & s'inf truire. Il est vraisemblable que quelqu'un d'entr'eux apporta en Europe le digefte de Justinien. On commença à l'enseigner publiquement à Bologne, où l'on accouroit de toute l'Europe pour l'apprendre, & d'où il paffa chez les autres nations. En vain on s'y oppofa, de peur qu'il n'effaçât les vieil les coutumes, qu'on écrivit pour les oppofer aux loix Romaines. Ceux mê mes qui fe chargerent de compiler les anciennes coutumes de chaque pays, ne s'en étoient rendus capables qu'en étudiant le digefte; ainfi plus heurs difpofitions du droit Romain entrerent dans ces coutumes, qu'on vouloit lui oppofer.

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II. Des fources des loix civiles des Romains.

AUCUN UCUN peuple n'a eu d'auffi bonnes loix politiques, & d'aussi mauvaises loix civiles que les Romains. La raifon en eft que les patriciens qui compoferent les unes & les autres, firent les premieres bonnes pour ne pas fe perdre avec l'Etat ; & les dernieres mauvaifes, pour retenir les plébéïens dans la dépendance. Four fe perfuader qu'ils ont eu cette malice, il fuffit de fe rappeller qu'ils réfifterent de toutes leurs forces aux plébéïens & aux tribuns du peuple, qui demandoient à grands cris des loix fixes & écrites. Mais remontons aux fources de la jurifprudence civile des Romains.

Romulus ne fit que des loix politiques; celles de Numa roulent prefque toutes fur la religion. En effet, un peuple à peine formé n'eft pas fufcep tible de loix civiles permanentes; fes befoins & fes défirs ne font pas en core. développés. Ainfi les rois jugeoient les grandes affaires par eux-mê❤ mes & les petites par le fénat, où le nombre des juges pouvoir, en quelque forte, balancer les inconvéniens qui naiffens de l'autorités arbitraire. Pour obvier à ces inconvéniens, qu'il fentit, Romulus inftitua le patro❤ nage; c'eft-à-dire, il permit aux plebéïens, deftinés à l'agriculture & aux arts méchaniques, de fe choifir parmi les patriciens, chargés de la religion, des affaires publiques, & de l'administration de la juftice dans les petites affaires, un patron qui les défendit contre l'abus que les grands pourroient faire de leur autorité.

Ce fut, peut-être, cette inftitution qui empêcha les quatre premiers fucceffeurs de Romulus de faire des loix civiles, quoique le peuple fe fût accru confidérablement, & que les affaires civiles euffent pris une certaine confistance. Il fe peut que les patriciens en ayent détourné les rois qui leur devoient le trône. Au moins Servius-Tullius qui fe fit roi de fa propre autorité, & au grand mécontentement de la nobleffe, fit des loix, & créa des juges pour prononcer d'après ces loix. Tarquin, qui vouloit ménager les patriciens, abolit ces loix : les premiers confuls rétablirent les loix que Tullius avoit publiées fur les contrats. Mais elles ne touchoient qu'à une petite partie du droit civil; c'étoient les patriciens qui interprétoient & appliquoient ces loix, auffi-bien que celles qui regardoient la religion; car ces dernieres étoient cachées dans les livres des pontifes, & les pontifes étoient patriciens.

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Les plaintes des tribuns, malgré la résistance des patriciens, firent naître les loix des douze tables. On fait que la nobleffe fut chargée de les rédiger; qu'elle envoya trois députés de fon corps en Grece pour recueillir les loix les plus convenables aux Romains; que dix patriciens, choifis pour cet effet, firent un code de loix très-fages, qui furent approuvées par le peuple, & toujours fort refpectées des Romains.

Les patriciens, voyant que ces loix mettoient les plébéïens hors de leur dépendance, s'en arrogerent l'interprétation, l'application, & l'exécution ;

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