Page images
PDF
EPUB

de l'argent qu'on portoit à fon triomphe, le général ne laiffoit rien à l'ennemi vaincu. Rome s'enrichiffoit toujours, & une guerre étoit pour elle un moyen infaillible d'en entreprendre une autre.

Les richeffes de Carthage, de Sicile, des villes d'Afie, de la Macédoine, & des autres provinces conquifes, furent portées dans le tréfor public. Les généraux d'armées & les miniftres d'Etat, dans ces fiecles heureux, ignoroient l'art de s'approprier ces richeffes, ils s'appliquoient à enrichir la république. Ce défintéreffement dura long-temps. Quelques années après la derniere guerre punique, on n'avoit encore vu perfonne qui fe fût enrichi des dépouilles des provinces.

Il eft vrai que, dans le fiecle fuivant, quelques particuliers commencerent à ufurper le butin pris fur l'ennemi, mais c'étoient des citoyens ambitieux qui machinoient la ruine de leur patrie, Marius, Sylla, Pompée, Céfar. On peut compter Lucullus parmi ces voleurs illuftres; il avoit vraifemblablement formé les mêmes deffeins contre fa patrie; mais piqué qu'on lui donnât un fucceffeur, laffé d'ailleurs des féditions des foldats que tant de grandes victoires ne pouvoient contenir, & dégoûté du métier de la guerre, il embraffa un genre de vie plus tranquille, & fit fervir à la volupté ces mêmes richeffes que les autres confacroient à leur ambition.

Les généraux faifoient payer fort cher les frais de la guerre à l'ennemi vaincu, & lui impofoient des tributs énormes; des flots d'or & d'argent venoient à Rome de tous les lieux du monde. (a) Portius Caton, commandant en Espagne, eut raison de renvoyer les pourvoyeurs qui étoient arrivés de Rome, pour faire des provifions de blé pour l'armée, en leur difant ces paroles célébres; La guerre nous fournira de quoi faire la guerre. (b) Les Romains auroient-ils été en état de foutenir tant de guerres, s'il avoit été permis aux généraux d'armée de ne pas rendre compte du butin pris fur l'ennemi? Et fi les confuls, les préteurs, les édiles, & les tréforiers avoient ufurpé les fonds des terres qui, par droit de conquête, revenoient

à l'Etat ?

Les Romains regarderent comme une reffource affurée l'ufage de faire la guerre aux dépens de l'ennemi, & ne perdirent jamais de vue ce fyltême. Quoiqu'enflammés d'un vif défir de gloire, ils fe faifoient toujours payer pour les frais de la guerre. Tantôt, ils prenoient une partie du territoire de la nation vaincue, & y envoyoient des colonies, pour affurer leurs conquêtes & pour se débarraffer des citoyens pauvres. Quelquefois, ils réduifoient les royaumes en provinces, fe réfervant une partie des tributs que les naturels du pays avoient coutume de payer à leurs rois. On les vit obliger des peuples foumis à payer une certaine quantité de blé;

(a) Voyez Tite-Live, passim; Plutarque, in vitâ Pauli Æmilii, in vitâ Silla, in vita Catonis, in vitá Pompeii, &c.

(b) Bellum feipfum alet, Tite-Live IVe. décade liv, 4.

ils commanderent à d'autres de fournir à la république des vaiffeaux de guerre & de transport. (a)

Le titre d'ami & d'allié du peuple Romain accordé à plufieurs peuples fut encore une grande reffource. Sous un nom honorable, les alliés étoient véritablement les tributaires de Rome; elle en tiroit des armes, des vaiffeaux, des foldats, des mariniers, & toutes fortes de provifions; & en agrandiffant fon empire, elle augmentoit fes revenus.

Le revenu que la république retiroit des colonies & des provinces, fut fans doute, confidérablement diminué pendant les guerres civiles de César & de Pompée. L'Etat fe reffentit auffi de ces maux pendant les guerres du jeune Pompée avec Céfar, & d'Augufte avec Brutus & Caffius. Les provinces furent encore expofées au pillage, après le partage qu'en firent Augufte & Antoine. Le luxe de ce dernier étoit capable de réduire à la mendicité plufieurs nations opulentes. La mifere des peuples fut extrême durant cette longue guerre où Augufte & Antoine fe difputerent l'empire du monde.

Le peuple Romain ne commença à refpirer, que lors qu'Augufte régna tout feul. Occupé du projet de rendre l'empire héréditaire, ce prince fongea le rendre floriffant & à enrichir fes fujets, perfuadé que leurs richeffes feroient la fienne. Pendant un regne de quarante-quatre ans, il ne s'écarta jamais de ces vues. Il embellit cependant Rome. « Voyant ( dit l'hif»torien) que Rome n'étoit point autant embellie que le demandoit la » majefté de l'empire, & qu'elle étoit expofée à des inondations & à des » incendies, il lui procura tant de commodités & d'embelliffemens, qu'il » a eu raifon de fe vanter de laiffer Rome toute de marbre, après l'avoir » trouvée toute de brique. (b) Malgré toutes ces dépenfes, il amaffa des fommes infinies. L'argent qu'on trouva à la mort de Tibere en eft une preuve. Ce prince laiffa un tréfor immenfe (c) que Caligula, fon fucceffeur, diffipa en moins d'un an. (d)

La diffipation des finances fous Néron, Caligula, Vitellius, Domitien Julien, Caracalla, Héliogabale, & tant d'autres monftres, mit les empereurs dans le befoin, & le besoin les jeta dans les rapines. Quelques bons princes foulagerent un peu le peuple; mais ils eurent des fucceffeurs qui l'accablerent; & dans la décadence de l'empire, les autres nations reffaifirent, par le commerce ou par la guerre, les richeffes dont Rome avoit dépouillé le monde entier.

[blocks in formation]

ÉTAT DE L'AGRICULTURE CHEZ LES ROMAINS;

Et fon influence fur leurs loix, leurs mœurs, leur gouvernement & leur commerce; extrait d'une differtation de M. P. de T. auteur d'un excellent Traité des loix civiles, dont on trouve une analyfe à la fuite de l'article LOI.

L'EDUCATION de Romulus, & les exercices de fa jeunesse, ne lui laifferent guerè d'attachement que pour la guerre & pour l'agriculture. Delà vient, que dans fes loix, il ne permit aux gens libres que ces deux occupations. Il fentit que les arts fédentaires menoient au vice, fomentoient la cupidité, & énervoient le corps & l'efprit. Il ne confia les armes qu'à ceux qui favoient conduire la charrue; & ne donna des champs qu'à ceux qui pouvoient les défendre & en reculer les limites. D'abord il partagea les terres de fon nouvel Etat en trois portions inégales; dont une fut réfervée pour le culte, & une autre pour le tréfor public; la troifieme, qui étoit la plus confidérable, Romulus la diftribua entre fes sujets de condition libre, qui eurent chacun un petit champ en propriété. Les arts méchaniques ne furent exercés que par des étrangers & par des efclaves. Bientôt le peuple s'accrut tellement que Romulus ne put point donner à chacun de fes fujets un champ, quelque petit qu'il fûr. Il en diftribua donc aux plus notables d'entre les nouveaux habitans, & laiffa aux autres la liberté d'exercer les métiers qu'ils vouloient. Mais cette claffe fut toujours méprisée.

Denys d'Halicarnaffe dit, que Romulus défendit aux Romains tous les arts méchaniques. Mais Denys fe contredit dans la fuite de fon ouvrage, & eft contredit par Plutarque, qui affure que Numa, peu de temps après fon avénement au trône, diftribua les citoyens du bas peuple en différentes claffes par arts & métiers. Donc ces artifans citoyens étoient déjà établis à Rome, & ils ne pouvoient s'y être établis que fous Romulus. En effet, la défense des arts méchaniques pouvoit fe foutenir quand Romulus n'avoit que trois mille hommes de pied, & trois cents chevaux tout au plus. Mais, quand il eut quarante fix mille hommes d'infanterie, & plus de mille de cavalerie, comment nourrir tout le peuple que cette armée fuppose, fans permettre tous les métiers?

Ces raifons font bien fortes. Ajoutons que les nouveaux venus étoient pour la plupart, Sabins, peuples chez lefquels les arts étoient établis; & que les artifans Sabins, qui pouvoient exercer lucrativement leurs métiers à Lanuvium, à Veies, à Médullie, ne fe feroient pas rendus à Rome pour y mourir de faim. Ils s'y rendirent; donc les arts méchaniques n'y étoient point défendus. Au refte, l'on fait que les Sabins eurent d'abord à Rome les mêmes droits que les Romains.

Nous n'ignorons pas que plufieurs auteurs modernes affurent que Ro

mulus eut d'abord feulement trois mille hommes d'infanterie & trois cents de cavalerie; mais nous ne trouvons pas cette opinion fondée fur le témoignage des anciens que les modernes citent pour l'appuyer. L'abbé Vertot en appelle à Denys d'Halicarnaffe; car c'eft ainsi qu'il faut entendre la citation marginale Dion; puisque Dion Caffius ne parle de rien de semblable. Effectivement Denys d'Halicarnaffe affure que ceux qui commencerent à fonder Rome avec Romulus, étoient au nombre de trois mille hommes d'infanterie & de trois cents cavaliers, tout au plus. Mais cet auteur, à ce qu'il nous femble, avoit expliqué fa pensée auparavant, en difant que le nombre des colons envoyés d'Albe, fut grand au commencement, & qu'il se réduifit dans la fuite à trois mille hommes de pied avec trois cents cavaliers. Romulus n'avoit-il avec lui que les colons fortis d'Albe, quand il fonda Rome? Les Albains étoient, peut-être, les principaux; mais il n'eft pas fûr qu'ils fuffent les feuls. Denys d'Halicarnaffe ne le dit point, il femble plutôt infinuer le contraire par-là même qu'il nomme les colons fortis d'Albe comme pour les diftinguer des autres. Varron dit que chaque légion étoit de trois mille hommes; fi Romulus n'avoit eu d'abord que ce nombre de foldats, Varron n'auroit-il pas dit que c'eft par cette raifon qu'on avoit fixé les foldats d'une légion à trois mille? Il y a plus : Plutarque dans la vie de Romulus, dit, que dès que ce prince eut fondé Rome, il diftribua la jeuneffe en des corps militaires; que chaque corps fut appellé légion. Cette maniere de s'exprimer indique manifeftement que Romulus avoit plufieurs de ces corps ou légions.

Plufieurs modernes, & Montefquieu eft de ce nombre, quoiqu'ils en appellent au témoignage de Denys d'Halicarnaffe & de Pline, ont eu tort de foutenir que Romulus donna des terres à tous fes citoyens, & que les portions furent égales.

Nous avons obfervé que la chofe étoit impoffible. De plus, Romulus transporta à Fidenes, & à Camérie, dont il s'étoit emparé, grand nom bre de citoyens Romains, & leur diftribua les terres dont il avoit privé les vaincus. Ces citoyens n'avoient donc point de terres; ou s'ils en avoient, ceux qui reçurent les terres abandonnées par les citoyens tranfportés à Fidenes & à Camérie, n'en avoient point. Enfin Numa entreprit un nouveau partage, & ne put pas donner des terres à tous ceux qui n'en ayant point & ne fachant aucun métier, étoient réduits à labourer les terres d'autrui.

Il est donc faux que Romulus ait donné des terres à tous fes citoyens. Il ne l'eft pas moins que les portions furent égales. On fait que Romulus introduifit la diftinction des fénateurs, des patriciens, des chevaliers, & des plébéïens. Les patriciens eurent dès le commencement, & même au premier partage, des portions de terre plus grandes que celles de plébéïens. Les nobles Albains qui fuivirent Romulus, l'auroient quitté après un partage & choquant pour eux. Si les fénateurs & les chevaliers n'euffent eu que deux

arpens

arpens de terre chacun, comme les plébéïens, ils euffent été forcés d'aller labourer leur champ, & n'euffent fervi de rien à Romulus, car ils n'avoient ni appointemens ni autres profits of

Servius-Tullius, qui établit à Rome le dénombrement du peuple, mit dans la premiere claffe ceux qui n'avoient pas moins de cent mille as d'ai rain en fonds ou de fept mille fept cents trente livres tournois, fuivant le calcul d'Arbutnoth; & dans la derniere, ceux qui n'avoient que huit cent quarante livres ; c'est-à-dire, felon toutes les apparences, ceux qui n'avoient que deux arpens de terre. Du temps de Columelle, un arpent de ferre aux environs de Rome, valoit communément quinze cents quarante livres. Sous Servius, il y avoit très-peu d'or & d'argent à Rome; la mon, noie y étoit de cuivre; il eft naturel que les chofes n'y euffent pas le tiers de la valeur qu'elles avoient du temps de Columelle. Celui qui avoit huit cents quarante livres, pouvoit bien avoir deux arpens de terre, une caba& le bétail néceffaire au labourage. Ini!

ne,

[ocr errors]

SvDenys d'Halicarnaffe dit feulement que Romulus, en partageant les terres entre les curies, garda une parfaite égalités il fe peut que les curies aient été obligées à donner des portions plus grandes aux patriciens qu'elles contenoient.no li darnioled us ensen el ioval auior M aug ! Pour prévenir la jaloufie & la haine que la différence des rangs & des biens pouvoient exciter entre les patriciens & les plébeïens, Romulus ima¬ gina le patronage. D

[ocr errors]

Numa, qui avoit beaucoup vécu à la campagne avec des laboureurs & des bergers, fuivit, par rapport à l'agriculture, les traces de Romulus. L'as griculture étoit alors la principale occupation des Italiens; ce n'éroit que chez les Antiates & dans quelques cantons Etrufques qu'elle étoit jointe à un commerce confidérable, Cette profeffion rendoit les nations heureuses & peuplées. Les quarante villes des Eques; les cinquante trois du Latium les nombreuses armées que les Etrufques, les Sabins, les Samnites mirent fur pied, même après des pertes confidérables & continuelles, font autant de preuves de la force & du nombre de ces peuples, auffi bien que de l'influence de l'agriculture fur la population, nato tipo

[ocr errors]

Non content de conferver les inftitutions de Romulus relatives à l'agri culture, Numa partagea entre les Romains les plus indigens les terres que fon prédéceffeur avoit conquiles dans les dernieres guerres; il diftribua leg citoyens, par bourgades leur prépofa des furveillans pour avoir l'œil fur des travaux ruftiques récompenfa les laboureurs actifs & punit les négli gens; & vifua fouvent les campagnes pour mieux connoître leur état. II n'eft pas étonnant que les Romains priffent du goût pour la vie champê tre. Numa fut éviter les guerres ainfi la préfence des fénateurs à Rome devint moins néceffaire, & celle des chevaliers inutile. Les nobles fe répandirent dans les champs, & donnerent tous leurs foins à l'agriculture. Ce fut probablement alors que s'établit la coutume de faire par des efclag Tome XXVII. Oooo

« PreviousContinue »