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toyens l'exemple du patriotisme à joindre la fimplicité à la dignité dans les mœurs; à ne faire ufage du crédit, de la fortune, de l'autorité même que donne la vertu, que pour faire le bien, l'encourager & le défendre; à honorer le mérite dans tous les genres & à le fervir avec zele; à ne folliciter les honneurs que par les fervices & les talens; à vivre dans fes terres pour y exciter le travail & l'induftrie, pour protéger fes vaffaux contre les vexations, pour les fecourir contre le malheur & l'indigence, les grandst vraiment dignes de ce nom, feroient fort rares fans doute; mais nous pourrions encore en offrir des modeles. Cette notice eft de M. S.... & fe trouve à la tête de l'édition qu'il nous a donnée des Réflexions morales; nous y ajouterons un précis de la doctrine de la Rochefoucault fur les motifs des

actions humaines.

Morale ou doctrine de la Rochefoucault, fur les motifs des actions des

hommes.

L'INTÉRÊT & la gloire font le mobile de toutes les actions des hommes; & ce qu'ils appellent vertus, n'eft fouvent que l'effet de l'un & de l'autre. La clémence fe pratique tantôt par vanité, quelquefois par pareffe, fouvent par crainte, & prefque toujours par toutes les trois. Celle des princes n'est qu'une politique pour gagner l'affection des peuples. La modération eft une crainte de tomber dans l'envie & dans le mépris, auxquels on eft exposé quand on s'enivre de fon bonheur. C'est une vaine oftentation de la force de notre efprit, un défir de paroître plus grands que les choses qui nous élevent. La fincérité, qui eft une ouverture de cœur, n'eft ordinairement qu'une vaine diffimulation pour attirer la confiance, comme la fidélité n'eft qu'une invention de l'amour-propre pour le même fujet. Ce font des moyens de nous élever au-deffus des autres, & de nous rendre dépofitaires des choses lés plus importantes. L'envie de parler de nous, & de faire voir nos défauts du côté que nous voulons bien les montrer, fait une grande partie de notre fincérité. Notre fenfibilité, à l'égard des malheureux, eft plus fouvent l'ouvrage de P'orgueil que de la bonté. Nous voulons faire voir que nous fommes audeffus d'eux, & voilà pourquoi nous leur donnons des marques de compaffion. Ce qui paroît générofité, n'eft fouvent qu'une ambition déguisée, qui méprife de petits intérêts pour aller à de plus grands. Nous ne pouvons rien aimer que par rapport à nous; & nous ne faifons que fuivre notre goût & notre plaifir, lorfque nous préférons quelqu'un à nous-mêmes. Cependant c'eft par cette préférence feule que l'amitié peut être vraie & parfaite. Nous nous perfuadons fouvent d'aimer les gens plus puiffans que nous, quoique ce foit l'intérêt feul qui produife cette amitié. Nous ne nous donnons pas à eux pour le bien que nous leur voulons faire, mais pour celui que nous en voulons recevoir. L'amour-propre nous augmente ou nous diminue les bonnes qualités de ceux que nous aimons, à proportion de la fatisfaction Tome XXVII.

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que nous avons d'eux; & nous jugeons de leur mérite par la maniere dont ils vivent avec nous. Enfin, fi la vanité & l'intérêt ne renversent pas entiérement les vertus, du moins elles les ébranlent toutes.

La vertu ne va pas loin lorfque la vanité ne lui tient pas compagnie. Ce qu'on nomme libéralité, n'est le plus fouvent que la vanité de donner, que nous aimons mieux que ce que nous donnons. Cette foibleffe, pour ne pas dire cette paffion, fait en plufieurs occafions, la valeur des hommes & la vertu des femmes. Elle nous agite fans ceffe, tandis que les autres paffions nous donnent quelquefois du relâche. Nous ne l'aimons cependant que dans nous-mêmes; & nous trouvons celle des autres infupportable, parce qu'elle bleffe la nôtre.

L'intérêt n'a pas moins d'empire fur le cœur des hommes que la vanité. Quelque prétexte qu'ils donnent à leurs affections, ce n'eft fouvent que l'intérêt & la vanité qui les caufent. Un bon naturel, qui fe vante d'être trèsfenfible, eft prefque toujours étouffé par le moindre intérêt. L'intérêt met en œuvre toutes fortes de langues & joue toutes fortes de personnages, même celui de défintéreffé. Les vertus fe perdent dans lui comme les fleuves fe perdent dans la mer. Le nom de la vertu lui fert auffi utilement que les vices. Il englobe tout, & ce n'eft que pour de petits intérêts qu'on néglige l'examen dans les affaires.

Il est néanmoins des cas où la vanité & l'intérêt font utiles : c'eft lorf→ qu'ils nous fervent à fupporter les dégoûts & les humiliations que nous pou vons effuyer dans les affaires de la vie. Car fi ni l'un ni l'autre ne nous dédommagent point, nous fouffrons des douleurs morales très-aiguës. Auffi celles de la honte & de la jaloufie font infupportables, parce que la vanité ne peut les adoucir. La jalousie eft le plus grand de tous les maux, & celui qui fait le moins de pitié aux perfonnes qui le caufent. L'orgueil a fes bizarreries comme les autres paffions; mais on a honte d'avouer qu'on a de la jalousie, quoiqu'on fe faffe honneur d'en avoir. Il y a dans la jalousie plus d'amour-propre que d'amour. Cependant la jaloufie eft, en quelque ma niere, jufte & raifonnable, parce qu'elle ne tend qu'à nous conferver un bien qui nous appartient, ou que nous croyons nous appartenir. C'eft une maladie qui fe nourrit dans les doutes, & elle devient furieuse ou elle finit, fitôt qu'on paffe du doute à la certitude.

Il faut bien diftinguer ici la jalousie de l'envie; car l'envie eft une fureur qui ne peut fouffrir le bien des autres. On fait fouvent vanité des paffions même les plus criminelles; mais l'envie eft une paffion timide & honteufe qu'on n'ose jamais avouer. Elle caufe plus de maux dans le monde que les paffions les plus ouvertes. Elle s'attache fur-tout au mérite. L'approbation qu'on donne à ceux qui entrent dans le monde, vient fouvent de l'envie fecrete que l'on porte aux perfonnes qui y font établies. On eft jaloux du bonheur des autres, & l'envie qu'on porte dure encore plus long-temps que ce bon

heur même.

Quoique l'intérêt foit, comme nous avons vu, un des grands refforts qui nous meuvent, & que par-là il foit une maladie épidémique pour tout le genre-humain, néanmoins il eft encore plus de gens fans intérêt que fans envie : il n'y a que ceux qui font doués de grandes qualités qui n'apportent point cette foibleffe. Elle eft fi adhérente au cœur, fi l'on peut s'exprimer ainfi, qu'elle eft plus irréconciliable que la haine : l'ami tié feule peut la détruire, de même que la coquetterie détruit le véritable amour. L'orgueil qui nous l'infpire, fert fouvent à la modérer. Ce remede eft plus facile à trouver que celui de l'amitié.

Les attachemens de cœur font très-changeans, parce qu'il eft difficile de connoître les qualités de l'ame, & facile de connoître celles de l'efprit. Il y a des gens qu'on approuve, qui n'ont pour tout mérite que les vices qui fervent au commerce de la vie. Un homme fin impofe aifément à la multitude. La fineffe eft l'art de cacher dans fa conduite fes véritables intentions, afin que, paroiffant agir fans intérêt, on ne fe méfie pas de nos vues. Le fublime de cet art confifte à favoir bien feindre de tomber dans les pieges qu'on nous tend; car on n'eft jamais fi aifément trompé que quand on fonge à tromper les autres. Les plus habiles affectent encore de blâmer toutes les fineffes, pour qu'on ne fe méfie pas d'eux. Ils tâchent auffi de gagner votre amitié, parce qu'il favent qu'en toutes les affaires, l'efprit eft la dupe du cœur. Cependant les fineffes & les trahifons ne viennent que de manque d'habileté. L'ufage de la fineffe particulierement, eft la marque d'un petit efprit, Auffi arrive-t-il prefque toujours que celui qui s'en fert pour fe couvrir dans un endroit, fe découvre en un autre. A force de vouloir trahir autrui, il se trahit soi-même.

C'eft un vice que les hommes ajoutent à ceux que la nature leur a donnés. Il femble qu'ils ne fe trouvent pas affez de défauts: ils en augmentent encore le nombre par de certaines qualités fingulieres, dont ils affectent de fe parer; & ils les cultivent avec tant de foin, qu'elles deviennent à la fin des défauts naturels, qu'il ne dépend pas d'eux de corriger. Leurs imperfections devroient les humilier affez pour les dégoûter de les multiplier. Car une preuve fenfible qu'ils les connoiffent, c'eft qu'ils n'ont ja➡ mais tort, quand ils parlent de leur conduite. Le même amour-propre qui les aveugle pour l'ordinaire, les éclaire alors, & leur donne des vues fi juftes, qu'il leur fait fupprimer ou déguifer les mindres chofes qui peuvent être condamnées. Il est vrai qu'à cette atten ils joignent auffi celle de fe faire valoir par des qualités qu'ils n'ont pas, quelqu'inftruits qu'ils foient qu'on n'eft jamais fi ridicule par les qualités qu'on a, que par celles qu'on affecte d'avoir. Peu d'efprit avec de la droiture, ennuie moins à la longue que beaucoup d'efprit avec du travers.

Toutes les fineffes, pour mettre en jeu l'intérêt & l'orgueil, font de véritables miferes. Cela fe découvre, fur-tout, à l'heure de la mort. On a beau chercher à fe faire illufion, le mafque tombe. Les meilleurs raison

nemens que nous pouvons faire en parfaite fanté, ne font rien quand on touche à la derniere heure. Il s'en faut bien que la mort nous paroiffe de près, ce que nous l'avons jugée de loin. Il n'y a que trois fortes d'hommes qui puiffent en tempérer l'horreur : les fages qui croyent qu'il faut aller de bonne grace où l'on ne fauroit s'empêcher d'aller les héros que l'amour de la gloire aveugle; & les gens du commun, que leur peu de lumiere empêche de connoître la grandeur du mal, & leur laiffe la liberté de penfer à autre chofe. Les motifs de la religion à part, (qui font infiniment plus puiffans que les raifonnemens philofophiques) les remedes les plus propres à adoucir le paffage cruel de cette vie-ci à une autre, ce font la gloire de mourir avec fermeté, l'efpérance d'être regretté, le défir de laiffer une belle réputation, l'affurance d'être affranchi des miferes de la vie, & de ne dépendre plus des caprices de la fortune.

ROHAN, (Henri, Duc de) grand Capitaine & grand Politique.

HENRI

ENRI II du nom, duc de Rohan, pair de France, employa fes premieres années à voyager en divers pays de l'Europe, mais particuliérement en Allemagne & en Italie. Il fut un des chefs des calviniftes en France dans les troubles dont fut agitée la régence de Marie de Médicis; & lorfque leur parti eut été abattu, il fe retira à Venife, & ne rentra en France que lorfqu'il fut rappellé par la cour. Il fervit Louis XIII dans fon ambaffade de Suiffe, & dans le commandement de l'armée de la Valteline qui lui fut confiée. Il foutint les intérêts de la France avec beaucoup de bravoure & d'habileté, jusqu'au temps où les Grifons, mal payés des subfides qu'on leur avoit promis, & n'efpérant pas d'être fatisfaits dans un temps où la France étoit accablée d'autres dépenfes, l'obligerent à leur remettre les poftes qu'ils occupoient dans la Valteline. Il ne céda qu'à la force; mais dans la crainte que, fous le miniftere févere de Richelieu on ne le rendit refponfable du mauvais fuccès de fon expédition, il demeura en Suiffe jufqu'à ce qu'il eût d'autres occafions de fervir fon maitre & fa patrie. Il fe trouva comme volontaire à la bataille donnée entre le duc de Saxe-Weymar qui étoit au fervice de France, & les Impériaux près de Rhinfelds, une des villes foreftieres (a). Il y fut bleffé, mourut quelques femaines après (b) de fes bleffures, & fut inhumé dans l'église de St. Pierre à Geneve, où l'on voit encore son tombeau & son épitaphe.

(a) Le 28 de février 1638. Voyez les mémoires d'Avrigny, pour fervir à l'histoire univerfelle de l'Europe depuis 1600 jufqu'en 1716.

(b) Le 13 d'avril 1638.

Nous avons de lui: Le Parfait Capitaine, qui eft un Abrégé des Guerres des Commentaires de Céfar, avec quelques remarques fur ces guerres, & un Traité de la Guerre. Cet ouvrage fut imprimé à Paris en 1636, in-4to. pendant la vie de l'auteur. Nous avons encore de lui de très-bons mémoires qui portent fon nom; mais ni l'un ni l'autre de ces livres ne font de mon fujet. Il y en a un troifieme qui y appartient; il a pour titre: Intéréts & Maximes des Princes & des Etats fouverains. Cologne, chez Jean Dupuis 1670, in-12.

Le duc de Rohan le compofa en 1629, à Venife où il s'étoit retiré, dans l'intervalle de la troifieme & derniere guerre de religion, au commandement de l'armée de la Valteline, & le préfenta en 1637 au cardinal de Richelieu. Cet ouvrage a été imprimé plufieurs fois. Il y a de bons principes & de folides raifonnemens dans la premiere partie qui regarde les Intérêts des Princes, & qui eft du duc de Rohan. La feconde, où l'on rapporte les Maximes des Princes, eft d'une main inconnue & moins exacte. L'éditeur de l'édition de 1686 a gâté cet ouvrage, en y mêlant beaucoup de chofes qui ne font pas du duc de Rohan, en y ajoutant des anecdotes apocryphes, & en expliquant les prétentions anciennes des Etats les uns fur les autres; ce qui étoit affez inutile. Ce que l'éditeur a mis du fien eft aufli mauvais que ce qui eft du duc de Rohan étoit bon dans le temps. Je dis dans le temps, parce que les intérêts des puiffances de l'Europe ne font plus les mêmes qu'ils étoient lors de la compofition de l'ouvrage. A cet égard, ces fortes de tableaux ne nous repréfentent pas mieux l'état de l'Europe, que le portrait qu'on a fait d'une jeune personne ne nous la retrace, quand l'âge a changé les traits de fon visage; mais les changemens arrivés dans les dominations de l'Europe, n'empêchent pas que les principes & les maximes de l'auteur ne puiffent encore avoir leur ufage en variant l'application. On a mis à la tête des Intérêts des Princes du duc de Rohan une très-bonne préface, qui devoit être au-devant du Parfait Capitaine, & qui a été faite en effet pour le Parfait Capitaine, par Silhon, comme il le dit lui-même dans une autre préface de fon Eclairciffement de quelques difficultés touchant l'adminiftration du cardinal Mazarin.

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Au refte, ce feigneur eft le premier écrivain qui ait traité cette matiere. Ce n'est que depuis que fon livre eût paru, qu'on a vu des livres intitulés Intérêts des Princes. Tranfée, Courtils & Rouffet ont fuivi l'exemple qu'il avoit donné.

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