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dinands. Et en effet, fi l'empereur Jofeph eût vécu plus long-temps: vu le point où il avoit porté l'autorité impériale, il auroit mis le contractant & le médiateur de Rifwick aux prifes avec les garans de Munfter & d'Ofnabruck. Les circonstances ont été affez heureufes jufqu'ici, pour tenir fous la cendre cette étincelle de trouble & de diffention, ou du moins pour réduire toute la conteftation à des difputes de diete. Mais l'événement ne diminue point la faute; & jufqu'à ce que cet article du traité de Rifwick foit révoqué, la France ne fauroit, fans manquer à fes engagemens, prendre parti, en fait de religion, pour, ou contre les Etats proteftans de l'Empire.

Le duc de Lorraine rentra dans fes Etats, fans autre condition, que la démolition des fortifications de Nanci. Les prétentions de madame fur la fucceffion palatine furent renvoyées à des commiffaires, qui dûrent en décider fuivant les loix de l'Empire. C'étoit ce que Louis XIV avoit compté empêcher par la guerre. Il fallut rafer les fortifications de Strafbourg & de Mont-Royal, le château de Traërbach, le Fort-Louis, les fortifications de Huningue fur la droite, & dans l'isle du Rhin, ouvrages où Vauban avoit épuifé fon art, & le roi fes finances.

Telle fut la conclufion d'une guerre de neuf ans, où la France avoit toujours été victorieuse. Louis XIV donna la paix, & ses ennemis en dicterent les conditions: le vainqueur eut le fort du vaincu, D. B. M.

RO

ROCHEFOUCAULT, (Le Duc de la) célébre moraliste du dix-feptieme fiecle.

LE

E duc de la Rochefoucault naquit en 1613. Son éducation fut négligée, mais la nature fuppléa à l'inftruction.

Il avoit, dit madame de Maintenon, une phyfionomie heureuse, l'air grand, beaucoup d'efprit, & peu de favoir.

Le moment où il entra dans le monde étoit un temps de crife pour les mœurs nationales: la puiffance des grands, abaiffée & contenue par l'adminiftration defpotique & vigoureufe du cardinal de Richelieu, cherchoit encore à lutter contre l'autorité; mais, à l'efprit de faction, ils avoient substitué l'efprit d'intrigue.

L'intrigue n'étoit pas alors ce qu'elle eft aujourd'hui, elle tenoit à des mœurs plus fortes & s'exerçoit fur des objets plus importans. On l'employoit à fe rendre néceffaire ou redoutable: aujourd'hui elle fe borne à flatter & à plaire. Elle donnoit de l'activité à l'efprit, au courage, aux talens, aux vertus même; elle n'exige aujourd'hui que de la foupleffe & de la patience. Son but avoit quelque chofe de noble & d'impofant; c'étoit la domination & la puiffance: aujourd'hui petite dans fes vues, comme dans fes moyens, la vanité & la fortune en font le mobile & le terme. Elle tendoit à unir les hommes; aujourd'hui elle les ifole. Plus dangereufe alors, elle embarraffoit l'adminiftration & arrêtoit les progrès d'un bon gouvernement; aujourd'hui favorable à l'autorité, elle ne fait que rapetiffer les ames & avilir les mœurs. Alors, comme aujourd'hui, les femmes en étoient les principaux inftrumens; mais l'amour, ou ce qu'on honoroit de ce nom, avoit une forte d'éclat qui en impofe encore, & s'anobliffoit un peu en le mêlant aux grands intérêts de l'ambition; au lieu que la galanterie de nos jours, dégradée elle-même par les petits intérêts auxquels elle s'affocie, dégrade l'ambition & les ambitieux.

L'efprit de faction se ranima à la mort de Richelieu. La minorité de Louis XIV parut aux grands un moment favorable pour reprendre quelque influence fur les affaires publiques. M. de la Rochefoucault fut entraîné par le mouvement général, & des intérêts de galanterie concoururent à l'engager dans la guerre de la Fronde; guerre ridicule, parce qu'elle fe faifoit fans objet, fans plan & fans chef, & qu'elle n'avoit pour mobile que l'inquiétude de quelques hommes, plus intrigans qu'ambitieux, fatigués feulement de l'inaction & de l'obéiffance.

Il étoit alors amant de la ducheffe de Longueville; on fait qu'ayant été

bleffé au combat de Saint-Antoine d'un coup de moufquet qui lui fit perdre quelque temps la vue, il s'appliqua ces deux vers connus d'une tragédie de Duryer.

Pour mériter fon cœur, pour plaire à fes beaux yeux,
Fai fait la guerre aux rois, je l'aurois faite aux dieux.
Lorfqu'il fe brouilla enfuite avec madame de Longueville, il parodia
ainfi ces vers :

Pour ce cœur inconftant qu'enfin je connois mieux,
J'ai fait la guerre aux rois; j'en ai perdu les yeux.

On voit, par la vie du duc de la Rochefoucault, qu'il s'engageoit aifément dans une intrigue; mais que bientôt il montroit pour en fortir autant d'impatience qu'il en avoit mis à y entrer. C'eft ce que lui reproche le cardinal de Retz, & ce qu'il attribue à une irréfolution naturelle qu'il ne fait comment expliquer.

Il eft aifé, ce me femble, de trouver dans le caractere de M. de la Rochefoucault, une caufe plus vraisemblable de cette conduite. Avec fa douceur naturelle, fa facilité de mœurs, fon goût pour la galanterie, il lui étoit difficile de ne pas entrer dans quelque parti, au milieu d'une cour où tout étoit parti, & où l'on ne pouvoit refter neutre fans être au moins accufé de foibleffe. Mais avec cette raifon fupérieure, cette probité févere cet efprit jufte, conciliant & obfervateur, que fes contemporains ont reconnu en lui, comment eût-il pu s'accommoder long-temps de ces intrigues, où le bien public, n'étoit tout au plus, qu'un prétexte; où chaque individu ne portoit que fes paffions & fes vues particulieres, fans aucun but d'utilité générale; où les affaires les plus graves fe traitoient fans décence & fans principes, où les plus grands intérêts étoient fans ceffe facrifiés aux plus petits motifs; qui étoient enfin le fcandale de la raifon comme du gouver

nement.

L'efprit de parti tient à la nature des gouvernemens libres; il peut fe concilier avec la vertu & le véritable patriotisme. Dans une monarchie, il ne peut être fufcité que par un fentiment d'indépendance ou par des vues d'ambition perfonnelle, également incompatibles avec un bon gouvernement; il y corrompt le germe de toutes les vertus, quoiqu'il puiffe y met tre en activité des qualités brillantes qui reffemblent à des vertus.

C'eft ce que M. de la Rochefoucault ne pouvoit manquer de fentir. Ainfi, quoiqu'il eut été une partie de fa vie engagé dans les intrigues de parti, où fa facilité & fes liaisons, fembloient l'entretenir malgré lui, on voit que fon caractere le ramenoit à la vie privée, où il fe fixa enfin, & où il fut jouir des charmes de l'amitié & des plaisirs de l'efprit.

On connoît la tendre amitié qui l'unit jusqu'à la fin de sa vie avec ma

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dame de la Fayette. Les lettres de madame du Sévigné nous apprennent que fa maison étoit le rendez-vous de ce qu'il y avoit de plus diftingué à la cour & à la ville par le nom, l'efprit, les talens & la politeffe. C'est au milieu de cette fociété choifie qu'il composa ses mémoires & les réflexions morales.

Les mémoires font écrits avec une élégance noble & un grand air de fincérité; mais les événemens qui en font le fujet, ont beaucoup perdu de l'intérêt qu'ils avoient alors. Bayle va trop loin, fans doute, en donnant la préférence à ces mémoires fur les commentaires de Céfar; la postérité en a jugé autrement. Nous nous en tiendrons à ce mot de M. de Voltaire dans la notice des écrivains du fiecle de Louis XIV: » Les mémoires du duc » de la Rochefoucault font lus, & l'on fait par cœur fes penfées. « C'eft en effet le livre des penfées qui a fait la réputation de M. de la Rochefoucault nous ne le louerons qu'en citant encore M. de Voltaire : quels éloges pourroient avoir plus de grace & d'autorité. » Un des ouvrages, dit » ce grand homme, qui contribuerent le plus à former le goût de la na» tion & à lui donner un efprit de jufteffe & de précision, fut le petit re>>cueil des maximes de François, duc de Rochefoucault. Quoiqu'il n'y ait » prefqu'une vérité dans ce livre, qui eft que l'amour-propre eft le mo» bile de tout, cependant, cette pensée fe préfente fous tant d'afpe&ts va» riés, qu'elle eft prefque toujours piquante: c'eft moins un livre que des >> matériaux pour orner un livre. « On lut avidement ce petit recueil; il accoutuma à penser & à renfermer fes pensées dans un tour vif, précis & délicat. C'étoit un mérite que perfonne n'avoit eu avant lui en Europe depuis la renaiffance des lettres. Cet ouvrage parut d'abord anonyme; il excita une grande curiofité: on le lut avec avidité, & on l'attaqua avec acharnement; on l'a réimprimé fouvent, & on l'a traduit dans toutes les langues il a fait faire beaucoup d'autres livres; par-tout & dans tous les temps, il a trouvé des admirateurs & des cenfeurs. C'eft-là, ce me femble, le fceau du plus grand fuccès pour les productions de l'efprit

humain.

On a accufé M. de Rochefoucault de calomnier la nature humaine. Le cardinal de Retz lui-même, lui reproche de ne pas croire affez à la vertu : cette imputation peut avoir quelque fondement; mais il nous femble qu'on l'a pouffée trop loin.

M. de la Rochefoucault a peint les hommes comme il les a vus. C'est dans les temps de faction & d'intrigues politiques, qu'on a plus d'occasions de connoître les hommes, & plus de motifs pour les obferver; c'est dans ce jeu continuel de toutes les paffions humaines que les caracteres fe développent, que l'intérêt perfonnel fe mêle à tout, gouverne & corrompt tout.

En regardant l'amour-propre comme le mobile de toutes les actions, M. de la Rochefoucault ne prétendoit pas énoncer un axiome rigoureux de

métaphyfique. Il n'exprimoit qu'une vérité d'observation affez générale pour être préfentée fous cette forme abfolue & tranchante, qui convient à des penfées détachées, & qu'on emploie tous les jours dans la converfation & dans les livres, en généralifant des obfervations particulieres.

Il n'appartenoit, qu'à un homme d'une réputation bien pure & bien reconnue, d'ofer flétrir ainfi le principe de toutes les actions humaines. Mais il donnoit l'exemple de toutes les vertus dont il paroiffoit contefter même l'existence; il fembloit réduire l'amitié à un échange de bons offices, & jamais il n'y eut d'ami plus tendre, plus fidele, plus défintéreffé. La bravoure perfonnelle, dit madame de Maintenon, lui paroiffoit une folie, & à peine s'en cachoit-il; il étoit cependant fort brave. Il montra la plus grande valeur au fiege de Bordeaux & au combat de Saint-Antoine.

Sa vieilleffe fut éprouvée par les douleurs les plus cruelles de l'ame & du corps. Il montra dans les unes la fenfibilité la plus touchante, & dans les autres une fermeté extraordinaire. Son courage ne l'abandonna jamais que dans la perte des perfonnes qui lui étoient cheres. Un de fes fils fut tué au paffage du Rhin, & l'autre y fut bleffé. » J'ai vu, dit madame de » Sévigné, fon cœur à découvert dans cette cruelle aventure; il est au » premier rang de tout ce que je connois de courage, de mérite, de ten» dreffe & de raifon je compte pour rien fon efprit & fes agrémens. « La goutte le tourmenta pendant les dernieres années de fa vie, & le fit périr dans des douleurs intolérables. Madame de Sévigné, qu'on ne peut pas fe laffer de relire & de citer, peint d'une maniere touchante les derniers momens de cet homme célébre. » Son état, dit-elle, eft une chofe digne » d'admiration. Il eft fort bien disposé pour sa confcience; voilà qui eft » fait; mais du refte, c'eft la maladie & la mort de fon voifin dont il eft queftion; il n'en eft pas trouble; il n'en eft pas effleuré «........

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Ĉe n'eft pas inutilement qu'il a fait des réflexions toute fa vie, il s'eft approché de telle forte aux derniers momens, qu'ils n'ont rien de nouveau ni d'étrange pour lui.

Il mourut en 1680, laiffant une famille défolée & des amis inconfolables. Il avoit reçu de fes ancêtres un nom illuftre; il l'a tranfmis avec un nouvel éclat à des defcendans dignes d'en accroître l'honneur. Il y a des qualités héréditaires dans certaines familles. Le goût des lettres femble s'être perpétué dans la maison de la Rochefoucault, avec toutes les vertus des mœurs anciennes unies à celles des temps plus éclairés.

Charles-Quint, à fon voyage en France, fut reçu, en 1539, dans le château de Vertueil, par l'aïeul du duc de la Rochefoucault; l'empereur déclara, fuivant les paroles d'un hiftorien contemporain, n'avoir jamais entré en maison qui mieux fentit fa grande vertu, honnêteté & feigneurie que celle-là. Un fucceffeur de Charles-Quint auroit pu faire la même obfervation chez les defcendans de l'auteur des maximes.

Si la véritable grandeur de la nobleffe confiftoit à donner à tous les citoyens

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