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l'inftant ils quitterent les armes & promirent hautement de ne plus fervir fous les ordres d'un général auffi extravagant. Mais peu fenfible à cette défection, le tribun n'en devint que plus infolent, & bientôt il porta fon luxe, fes vexations & fon injuftice, à un fi haut degré, qu'achevant de fe rendre odieux, il fut abandonné de tous. Le légat qui avoit fomenté cette animofité publique de toute fa puiffance, faifit ces momens de difgraces pour lancer fur la tête de l'ufurpateur les foudres les plus brûlans. du Vatican. Toutefois le légat ne comptant pas infiniment fur la puiffance de ces foudres, engagea un feigneur nommé Jean Pepin, du royaume de Naples, à former une confpiration, & elle réuffit par le peu de valeur & de fermeté du tribun. Pepin fuivi feulement de cent cinquante hommes entra dans Rome & s'empara d'un des quartiers de la ville. Rienzi effrayé assembla les Romains, & leur dit en pleurant, que puifque fon gouvernement ne plaifoit pas à tout le monde, il en quittoit les rênes; enfuite montant à cheval, il se mit en marche, trompettes fonnantes, drapeaux déployés, & fe rendit au château de Saint-Ange, d'où un mois après il s'enfuit fecrétement, & alla trouver le roi de Hongrie qui venoit de foumettre le royaume de Naples : il en fut très-bien reçu; mais aux preffantes follicitations de Clément VI, le roi ne crut pas pouvoir lui accorder un plus long afile dans fa cour, & Rienzi, obligé de s'en éloigner, erra pendant quelque temps en Italie, & déguifé en pélerin, rentra dans Rome à la. faveur d'un jubilé, excita quelques féditions, fut découvert, & échappant à ceux qui avoient ordre de l'arrêter, prit l'étrange parti d'aller à Prague auprès de l'empereur Charles IV, qu'il avoit eu quelques mois auparavant l'infolence de citer à fon tribunal, & dont il n'avoit à attendre que de féveres châtimens. Mais ce n'étoit qu'à force d'indifcrétion, d'imprudence & d'audace que Rienzi étoit accoutumé à réuffir. Charles IV, étonné de la franchise avec laquelle cet homme qui l'avoit fi vivement offensé, venoit fe jeter dans fes bras, crut devoir fe piquer de générofité, lui tendit une main fecourable, & le traita avec tous les égards qui font dûs au mérite malheureux.

De tous les ennemis que l'ancien tribun s'étoit fait, le pape Clément VI étoit, fans contredit, celui qu'il avoit le plus cruellement offenfé, celui qui avoit le plus grand intérêt à le punir de fes vexations & de fes attentats. Rienzi n'ignoroit pas que le pontife le faifoit chercher de toutes parts, & qu'il lui feroit inévitablement livré par l'empereur, enchanté de trouver cette occafion de faire fa cour à Clément VI auquel il devoit fon élévation à l'empire. C'étoit là précisément ce que Rienzi défiroit, & ce qu'il regardoit comme le moyen le plus fûr d'être remis en poffeffion de fon ancienne dignité. Auffi fut-il le premier à déclarer à Charles IV qu'il fouhaitoit d'être conduit à Avignon, où il avoit à fe juftifier auprès du pape & des chofes très-importantes à lui communiquer. Satisfait de pouvoir accorder fes intérêts avec fa gloire, Charles approuva beaucoup ce projet, &

fit conduire le tribun à Avignon où on lui préparoit un accueil bien différent de celui qu'il avoit reçu à Naples & à Prague. Quelque vivement ulcéré que fut Clément VI, & quoiqu'il fe fût propose d'épuiser sur cet ufurpateur toute la rigueur des loix, il fut fi furpris de l'entendre fe juftifier avec une extrême affurance, faire l'apologie de fon tribunat avec tant d'art, parler du faint fiege avec tant de respect, qu'oubliant tout motif de vengeance, il fe contenta de le faire conduire dans une tour affez vafte où il fut enfermé feul, & où, à l'exception de la liberté, on le traita avec beaucoup d'égards. Rienzi demanda des livres, & s'attacha principalement à la lecture de Tite-Live, étudiant avec foin les différentes démarches des anciens tribuns, leurs tentatives, leurs fuccès, compara les fautes qu'ils avoient faites avec celles qu'il avoit commifes, & s'éclairant fur ce qu'il auroit à faire, fi jamais il fe retrouvoit en poffeffion de la dignité fouveraine, événement auquel il ne devoit point s'attendre, mais dont il ne défefpéroit pas.

Pendant qu'à Avignon, Rienzi formoit dans fa prifon des projets de fortune qui paroiffoient chimériques, le peuple Romain, gouverné par quatre fénateurs, qui l'opprimoient, ne fe fouvenoit plus des crimes de Rienzi, & regrettoit amérement fon adminiftration. Un homme de fort baffe naiffance, François Baroncelli, qui à force d'intrigues étoit parvenu à la charge de greffier ou notaire du Capitole, imagina de marcher fur les traces de Rienzi & de s'élever comme lui à la fouveraine puiffance. Baroncelli avoit autant d'ambition, de génie, & plus de fermeté que celui qu'il fe propofoit pour modele; mais il n'avoit ni autant d'éloquence, ni autant de connoiffances. Toutefois il parvint à fe rendre maître du Capitole, où arborant le drapeau du peuple, il attira la multitude à laquelle il promit la liberté, l'abaiffement de la nobleffe & l'extinction totale des impôts. Ces brillantes promeffes n'avoient pas befoin, pour féduire, d'être étayées de beaucoup d'éloquence; elles furent reçues avec transport. Baroncelli fit quelques réglemens qui furent approuvés par le peuple qui lui déféra le tribunat, & qui applaudit à la juftice de ce nouveau magistrat & à la vigilante rigueur avec laquelle il pourfuivoit & puniffoit le crime.,

Le pape, informé des entreprifes & des fuccès de Baroncelli, crut que le meilleur moyen de prévenir les fuites de cette révolution, étoit d'oppofer à ce nouveau tyran un tyran plus accrédité, &, perfuadé d'ailleurs que trois ans de captivité avoient corrigé Rienzi, & qu'il feroit plus modéré dans la fortune, il le fit fortir de prifon, & lui confia le gouvernement de Rome en qualité de fénateur, avec des revenus confidérables fur la république de Perouze. Le cardinal d'Albornos fut chargé de conduire à Rome le nouveau gouverneur qui, dans plufieurs petites expéditions que le légat fit, avant que de fe rendre à fa deftination, contre quelques tyrans de l'Italie, fe conduifit avec beaucoup d'habileté; mais fes fuccès ni les fervices importans qu'il rendoit, ni le zele qu'il témoignoit pour les inté

rêts du pape ne purent déterminer le légat, qu'il follicitoit fans ceffe, à l'aller inftaller dans fon gouvernement. D'Albornos avoit eu le temps d'étudier fon caractere, &, le trouvant plus dangereux qu'utile, il n'avoit garde de lui confier la fuprême adminiftration de Rome, où, à force de cruautés, Baroncelli se rendit fi odieux, que le peuple se foulevant le masfacra quatre mois après fon élévation. Cet événement éloigna Rienzi plus que jamais de la place à laquelle il afpiroit, le pape n'ayant plus besoin de lui pour balancer l'autorité du tyran qui n'étoit plus. Cependant les Romains toujours très-affligés de n'avoir plus Rienzi à leur tête, fe rendoient en foule auprès de lui, & le preffoient de venir reprendre les rênes du gouvernement. Rienzi ne demandoit pas mieux; mais la pauvreté des Romains ne leur permettoit pas de lui faire des avances confidérables, & il avoit. befoin de fonds pour s'attacher un petit corps de troupes qu'il pût oppofer aux ennemis de la puiffance tribunitienne. Une rencontre heureuse lui fournit le moyen d'aplanir cet obftacle.

Montréal, chevalier de Rhodes, raffemblant plufieurs petites bandes de voleurs publics, compofées de foldats congédiés ou déferteurs, en avoit formé une troupe de brigands à la tête defquels il infeftoit l'Italie. Rienzi eut recours à lui & en obtint une fomme de cinq mille florins d'or, avec lefquels le fénateur leva quelques troupes, prit congé du légat & fe rendit à Rome avec toute la pompe qui jadis accompagnoit l'arrivée des triomphateurs. Il fut conduit au Capitole au bruit des acclamations publiques. Là il éblouit la foule par les plus brillantes promeffes, & l'anima vivement contre la nobleffe fur la ruine de laquelle il vouloit affermir fon autorité. Rienzi avoit les plus grandes obligations à Montréal fans lequel, fans doute, il n'auroit jamais pu fe rétablir dans fa dignité. Ce chevalier & fon frere d'Arinbal vinrent à Rome pour demander le payement des cinq mille florins. Loin de les obtenir, ils ne purent parvenir même à être admis à l'audience de leur débiteur, contre lequel Montréal irrité laiffa échapper quelques menaces. Rienzi plus fenfible à ces plaintes très-fondées, que reconnoiffant du fervice qu'on lui avoit rendu, eut la perfidie de faire arrêter Montréal, d'Arinbal & un autre de leurs freres qu'il fit charger de fers & jeter dans un cachot. Vainement ils tenterent de ramener l'ingrat à des fentimens plus équitables. Dès la nuit même Montréal fut appliqué à la queftion fous les yeux du tyran qui lui fit fouffrir les plus douloureufes tortures. Il le condamna à être décapité, & cette fentence fut exécutée le lendemain avec le plus grand appareil. Mais quoique Montréal méritât la mort par fes brigandages, ce n'étoit pas à Rienzi à être fon juge, & le peuple, qui affifta à la mort du coupable, ne vit en lui que l'ingratitude du fénateur contre l'atrocité duquel on murmura hautement. Rienzi fe hâta de calmer les Romains indignés de cette exécution, & les raffemblant au Capitole, il leur renouvella toutes les promeffes qu'il leur avoit faites. Le peuple parut appaisé, & quelques avantages que le fénateur remporta

fur les Colonnes, donnerent un nouveau poids à fa puiffance. Ce fut dans ce temps qu'il reçut un bref du pape Innocent VI, fucceffeur de Clément, bref qui confirmoit le gouverneur dans fa dignité, & dans lequel le fouverain pontife lui donnoit des éloges flatteurs & des avis utiles. Rienzi cependant méritoit, plus par les atrocités auxquelles il s'abandonnoit, l'exécration du public & du pape, que des éloges & des encouragemens. Pandolfe de Pandolfucci, vertueux citoyen & vieillard refpe&table, avoit été l'ami du fénateur, tant que celui-ci avoit paru travailler pour le bien public; mais tout-à-coup Rienzi devint fon ennemi, & lui vouant la haine la plus irréconciliable, l'immola impitoyablement à fa férocité. Le peuple ne vit qu'avec indignation périr le plus eftimable des Romains. Dès-lors il fe forma contre le gouverneur une confpiration qui fut conduite avec tant de fecret que, malgré toute fa défiance, Rienzi n'en fut informé qu'au moment où elle éclata. Ce fut le 8 octobre 1354, que le peuple prit les armes, s'attroupa & courut en foule vers le palais, criant: Vive le peuple & meure le tyran. Ces cris & le tumulte éveillerent Rienzi qui étoit encore au lit. Il en fortit précipitamment; mais il n'étoit plus temps de fuir; la populace avoit invefti le Capitole, & les foldats de la garde du fénateur, complices de la rebellion, s'étoient joints aux féditieux. Rienzi épouvanté & ne voyant autour de lui que trois domeftiques qui au-lieu de le raffurer ne cherchoient qu'à l'alarmer encore davantage, prit fon armure de chevalier & s'avança fur le balcon du capitole pour haranguer les révoltés; mais les chefs qui craignoient la féduction de fon éloquence, redoublerent leurs clameurs & leurs menaces avec tant de fureur & de bruir, qu'il ne put ufer de cette reffource qui lui avoit fervi en tant d'autres occafions. Alors ne fongeant qu'à fe fauver du Capitole, où les révoltés avoient mis le feu & d'où, à la faveur du tumulte & de la fumée, il espéroit s'évader, il fe barbouilla le vifage de fuie, coupa fa barbe, fe couvrit d'une mandille déchirée, & la tête couverte d'un vieux matelas, il paffa à travers une des portes du Capitole déjà incendiée, & fe mêla aux féditieux, déclamant comme les autres en contrefaifant fa voix contre le fcélérat Rienzi, ce tyran détestable. Mais par malheur pour lui, des bracelets d'or qu'il portoit au bras ayant attiré l'attention de quelques révoltés, & ceux-ci les faifant remarquer à d'autres, la foule s'attroupe autour de lui; on lui ôte le matelas qui lui couvroit la tête, &, malgré la fuie qui le barbouilloir, on reconnut l'ancien tribun qui, tout défiguré qu'il étoit, fufpendit toutà-coup la rage des conjurés. Auffi tranquilles qu'ils étoient furieux quelques momens auparavant, quelques-uns d'entr'eux le prenant par les bras, le firent defcendre jufqu'au Perron où il étoit dans l'ufage de prononcer chaque jour tant d'arrêts de mort. Là expofé aux regards avides de la multitude qui, dans le plus profond filence, n'ofoit ni l'approcher ni même l'infulter, il refta pendant près d'une heure le vifage noirci, les bras croisés, couvert d'un mauvais manteau fous lequel on voyoit une vefte très-riche,

un

un ceinturon d'or & une chauffure de prix, Il garda le filence lui-même, ne fe fentant ni la force ni le courage d'ouvrir la bouche pour fa défense, & tournant les yeux à droite & à gauche pour voir s'il ne fe feroit pas quelques mouvemens en fa faveur parmi le peuple qui n'ofoit ni le condamner ni l'abfoudre, & qui peut-être eut fini par le ramener en triomphe au Capitole, fi l'un des principaux conjurés, voyant la fureur populaire prefqu'entiérement éteinte, n'eut tiré brufquement fon épée qu'il enfonça dans le cœur du tyran. A ce fignal la rage du peuple fe ranima, & chacun fe fit un honneur d'infulter à un ennemi qu'on ne craignoit plus. Son cadavre traîné de rue en rue, fut pendu à un poteau devant le Capitole, où pendant deux jours il fut expofé aux outrages de la populace. Ce qu'il y a de fingulier eft, que très-peu de temps après, les Romains oubliant les vices, les affaflinats & les profcriptions de Rienzi, ne fe fouvinrent plus que de fes grandes qualités & regretterent fon adminiftration : & il eft vrai qu'à l'exception des riches & des nobles qu'il opprima de la plus cruelle maniere, les Romains en général, furent heureux pendant fon gouvernement. Avec plus de conduite, Rienzi eut joui plus long-temps du pouvoir qu'il avoit ufurpé. Sa premiere adminiftration fut de fept mois, & la feconde d'environ quatre mois.

LOUIS

RISWICK. (PAIX DE)

En 1697.

OUIS XIV avoit vu la plupart de fes alliés obligés de fe tourner contre lui, les autres, forcés de l'abandonner, & le feul qui avoit osé lui demeurer attaché, réduit à une défenfive très-malheureuse. Il avoit vu que la fupériorité que la France a la France a, par fon gouvernement, fur les puiffances liguées contr'elle n'alloit qu'à lui faire faire la guerre avec plus d'éclat; & qu'il avoit eu befoin de toutes les forces, & de toutes fes reffources, pour faire tête à une partie de l'Europe, qu'il avoit furprife, & contre laquelle il s'étoit préparé. Pour faire entendre fes ennemis à la paix, il lui avoit fallu les divifer pour affoupir leur jaloufie, pour calmer leurs alar mes, il avoit été obligé de se deffaifir de fes conquêtes. Tout cela lui difoit qu'il étoit parvenu au plus haut point de grandeur, où il put parvenir par les armes; ou que, fi fa puiffance étoit encore fufceptible de quelque accroiffement par cette voie, il le lui devoit ménager à l'aide d'une adroite politique, en gagnant la confiance des plus foibles, en donnant aux plus jaloux des affaires chez eux, en intéreffant les plus puiffans à fes projets; en femant par-tout le trouble & la divifion fans autre perfonnage que Tome XXVII.

Iiii

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