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RICHER, (Edmond) Auteur Politique.

EDMOND RICHER, docteur & fyndic de Sorbonne, né à Chource,

petite ville du diocefe de Langres, le 30 de feptembre 1560, & mort à Paris le 28 de novembre 1630, avoit employé fes premieres années à l'étude de la théologie fcholaftique. Son auteur favori c'étoit Bellarmin. Nourri de la lecture des auteurs ultramontains, il adopta leurs opinions dans tous leurs excès, & entra dans la ligue qui ravagea la France fous Henri III: & fous Henri IV. Lorfque Richer voulut finir fa licence, la faculté fe trouvoit entiérement déréglée par les fureurs de la ligue. Depuis quelques mois, elle avoir donné un décret en Sorbonne le 7 de janvier 1586, par lequel elle avoit ofé déclarer tous les fujets du roi difpenfés du ferment de fidélité qu'ils lui devoient, & les avoit excités à prendre les armes contre lui, fous prétexte de conferver la religion. Cet horrible décret avoit été publié dans toutes les églifes & dans plufieurs provinces, par les prédicateurs mendians, & même par la plupart des curés. On refufoit déjà communément l'absolution & la communion, & même la fépulture eccléfiaftique à quiconque refufoit de fe départir de l'obéiffance de Henri III, qu'on n'appelloit plus que l'apoftar & le tyran. Enfin, il n'y avoit pas quinze jours que ce prince infortuné avoit perdu la vie avec la couronne, par un parricide que plufieurs regardoient comme le fruit du décret de la Sorbonne, lorfque Richer fe fit infcrire en la faculté pour le doctorat, Cet homme porta l'audace jufqu'à louer, dans une de fes thefes, l'action déteftable de Jacques Clément; mais lorfque la paix eut été rétablie dans l'Etat, il s'appliqua avec beaucoup de foin à l'étude de l'écriture fainte, des conciles & de l'hiftoire de l'églife; &, revenu de ses erreurs, il conçut une vraie douleur de fes premiers fentimens, & en embraffa de plus fains. Il devint grand-maître & principal du college du cardinal le Moine, qu'il trouva dans un défordre extrême, & dont par un travail affidu, il rétablit la regle; & depuis il fignala en toute occafion fon sele & fes talens pour la faculté de théologie de Paris, pour l'université de Paris & pour les libertés de l'églife gallicane (a).

I. Muni de près de quarante ans d'étude, il fit un livre qui a pour titre : Apologia pro Joanne Gerfonio, pro fuprema ecclefiæ & concilii generalis autoritate & independentia regiae poteftatis ab alio quàm à folo Deo, adverfùs fcholæ Parifienfis & ejufdem doctoris chriftianiffimi obtrecatores par E. R. D. T. P. (Edmundum Richerium doctorem theologum Parifienfem.) Lugduni Bat. 1676, in-40. Richer compofa cette apologie en 1606, pour l'op

(a) Voyez la vie par Adrien Baillet, fans nom de lieu 1734, in-12. & le vingt-feptieme tome des mémoires de Nicéron, pour fervir à l'histoire des hommes illuftres.

pofer à un écrit italien, que Bellarmin avoit fait contre deux traités de Gerfon, imprimés en Italie pour la défense de la république de Venise. Quelques perfonnes, qui eurent communication de cette apologie, la firent imprimer l'année fuivante en Italie, mais d'une maniere fort défectueufe. Richer la voulut retoucher dans la fuite, réfolu de la faire imprimer luimême; mais il n'en eût pas le temps; & ce ne fut qu'après la mort qu'on la fit imprimer en Hollande.

II. Il y eut une dispute au couvent des dominicains (a), au sujet d'une thefe où l'on avoit mis ces trois pofitions: 1°. Que le fouverain pontife est infaillible en jugeant de la foi & de la doctrine des mœurs. 2°. Qu'en aucun cas le concile n'eft fupérieur au pape. 3°. Qu'il appartient au pape de décider les chofes douteufes, de les propofer au concile, de confirmer où d'infirmer fes décifions, d'impofer un filence perpétuel aux parties, &c. Un bachelier de licence attaqua ces propofitions dans la difpute; & le préfident de Hacqueville d'Ofembray, qui affiftoit à la these avec plufieurs magiftrats du parlement, dit qu'elles étoient hérétiques, comme contraires à la définition expreffe du concile de Conftance. Le nonce Ubaldini, qui étoit auffi préfent, s'offenfa du difcours du magiftrat. Ces deux hommes fe.prirent de paroles. Le cardinal du Perron, archevêque de Sens, qui étoit encore l'un des affiftans, tâcha de les appaifer, en leur difant que la fupériorité du pape ou celle du concile n'étant pas une doctrine de foi, l'une & l'autre opinion étoit libre & foutenable (b). Richer écrivit contre la propofition un livre anonyme, qui a pour titre : De ecclefiaftica & politica poteftate. Paris 1611, in-4°. Cet ouvrage ne contient que 30 pages, ce qui a fait donner à Richer, par quelques-uns de fes adverfaires, la qualité de Magifter triginta paginarum. Ce n'eft proprement qu'un extrait de l'ouvrage de Gerfon dont j'ai parlé dans le premier article. Il a été réimprimé plufieurs fois; on en a même une traduction françoise qui n'est bonne, ni par rapport à la fidélité, ni par rapport à l'expreffion. Elle a été imprimée à Paris en 1612 in-8vo., & la même année à Caën, avec le texte latin, auffi in-8vo. Ce petit livret de Richer eft divifé en dixhuit articles, dont il fit un enchaînement fi bien fuivi, que le fecond dépend néceffairement du premier, le troifieme du fecond, & ainfi des autres jufqu'au dernier, dans la même liaison des conféquences aux principes. Il entreprend d'y faire voir d'abord, que la jurifdiction eccléfiaftique appartient effentiellement à toute l'églife, & que le pape & les évêques n'en

(a) Le 27 de mai 1611.

(b) Ces anecdotes font rapportées dans les mémoires hiftoriques & politiques d'Amelot de la Houffaye; dans la vie de Richer par Baillet; & dans le véritable pere Jofeph. L'on peut confulter fur tout ce qui a rapport à Richer, le journal de Trévoux du mois de janvier 1703, & les mémoires d'Avrigny, pour fervir à l'hiftoire depuis 1600 jufqu'en 1715.

&

font que les miniftres, & de montrer que Jefus-Chrift a conféré cette Jurifdiction à tout l'ordre hiérarchique, par la miffion qu'il a donnée immédiatement à tous les apôtres & à tous les difciples. Il définit l'église un Etat monarchique inftitué de J. C. pour une fin furnaturelle, & tempéré d'un gouvernement ariftocratique, qui eft le meilleur de tous & le plus convenable à la nature. Après avoir montré que J. C. en eft le chef effentiel, le pape feulement le chef miniftériel, il explique la différence d'un État d'avec un gouvernement. Il fait voir enfuite que la puiffance infaillible de faire des décrets & des conftitutions appartient à toute l'églife & non au pape feul, & il marque la qualité & l'étendue de l'autorité du fouverain pontife, qu'il met fous la direction & correction du concile général, lequel représente l'église univerfelle. Il fait part auffi du gouvernement de l'églife aux princes féculiers, en ce qui regarde la difpofition des biens temporels & les peines corporelles, le maintien de la difcipline, l'exécution des loix & des canons, dans le reffort de leurs Etats. Il veut que le prince, en qualité de protecteur de l'eglife & de défenfeur des canons, ait non-feulement le droit de faire des ordonnances pour la difcipline eccléfiaftique, mais qu'il foit encore juge légitime des appellations comme d'abus; & il prétend que c'eft deià que viennent les libertés de l'églife gallicane.

Cinq divers ouvrages parurent contre ce traité de Richer. 1°. La monarchie de l'églife contre les erreurs du livre de la puiffance eccléfiaftique & politique d'Edmond Richer. Paris, 1612, in-8vo. Pierre Pelletier, nouveau converti & courtifan affidu du cardinal du Perron, en eft l'auteur. 2°. Avis d'un docteur en théologie fur un livre intitulé de la puiffance eccléfiaftique & politique. Paris, 1612, in-8vo. Le docteur eft Claude Durand, difciple du docteur Duval. 3°. Jacobi Cofma Fabricii nota ftigmaticæ ad magiftrum triginta paginarum. Francofurti, 1612, in-4to. Le jéfuite Jacques Sirmond s'eft caché ici fous le nom de Fabricius; & on dit que l'avocat Gautier eut auffi part à cet ouvrage. 4°. Andrea Duval, Theologi Parifienfis Elenchus, pro fuprema Romani pontificis in ecclefiam autoritate vel de Suprema Romani pontificis in ecclefiam poteftate. Paris, 1612, in-8vo. 5o. De la monarchie divine; eccléfiaftique & féculiere chrétienne, par le docteur Michel Mauclerc. De tous ces ouvrages, le plus vif contre Richer fut celui de Duval. Auffi Duval étoit-il abfolument livré au nonce. Le fougueux Boucher, qui a fon article dans ce dictionnaire, & qui s'étoit alors retiré à Tournay, y fit imprimer fa couronne myflique, ouvrage où il entreprit de traiter de la prééminence du facerdoce-royal eccléfiaftique fur l'état & la dignité royale-politique, & de montrer que les rois & les princes chrétiens font obligés de faire la guerre à l'héréfie, & que les papes ont le pouvoir de les y contraindre, ouvrage d'une imagination troublée, qui est adreffé à Richer & à tous les ariftocratiques qui divifoient le François d'avec le Romain.

Le zele de Richer pour la vérité déplut au nonce du pape, & l'auteur

avoit dû s'y attendre. Le cardinal du Perron, qui agiffoit d'affez bonne intelligence dans toutes les occafions avec ce miniftre étranger, se donna de grands mouvemens pour faire condamner le livre de Richer, & il ne fe les donna pas en vain, dans un temps de minorité où le gouvernement eft toujours foible. L'ouvrage fut cenfuré par les évêques de deux provinces ecclefiaftiques, Sens & Aix. Voici les propres termes de la cenfure des évêques de Sens (a): » Après avoir lu & examiné un livre, fans nom » d'auteur ni d'imprimeur, intitulé de ecclefiafticâ & politica poteftate, » ils l'ont jugé digne de cenfure & de condamnation; qu'auffi ils le cen » furoient & condamnoient, pour plufieurs propofitions, expofitions » & allégations fauffes, erronées, fcandaleufes, mal-fonnantes, fchifmatiques & hérétiques qui y font contenues, fans toucher aux droits du » roi, ni aux immunités & libertés de l'églife gallicane. «<

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La province d'Aix conçut fa cenfure (b) à peu près dans les termes de celle de Sens; mais la cenfure d'Aix ne contenoit point d'exception pour les droits du roi & de la couronne, & pour les libertés de l'églife gallicane.

Le fameux Guillaume Duvair, alors premier préfident du parlement de Provence, & depuis garde des fceaux & évêque de Lizieux, s'oppofa à la cenfure que l'archevêque d'Aix & fes fuffragans avoient faite du livre de Richer. I envoya, pour cet effet, à la cour le favant Peiresc, confeiller au même parlement, qui parla avec tant de force, que la conduite du premier préfident fut alors approuvée, & celle de l'archevêque blâmée; mais lorsqu'on eut ôté les fceaux à Duvair, il apprit à plier. Son rétablis fement le fit changer d'avis, & il abandonna ( dit un auteur) la caufe de Richer, difant qu'il falloit s'accommoder au temps (c).

Richer appella d'abord comme d'abus au parlement de Paris, de la cenfure de Sens; mais le roi défendit au parlement d'en connoître, dépofa Richer du fyndicat de Sorbonne, & ordonna à la faculté (d) d'élire un autre fyndic.

On entend, fans qu'il foit befoin de le dire, que le livre fut auffi condamné à Rome. Ce fut le pape Paul V qui le condamna.

Richer figna dans la fuite une rétractation de fon livre. On lui fit vio

(a) Elle eft du 13 de mars 1612. Ce concile provincial fut compofé du cardinal du Perron, archevêque de Sens, & des évêques de Paris, d'Auxerre, de Meaux, d'Orléans, de Troyes, de Nevers & de Chartres.

(b) Elle est du 24 de mai 1612; & cet autre concile provincial fut composé de l'archevêque d'Aix, des évêques de Riez, de Fréjus & de Sifteron, fes fuffragans.

(c) Bretonnier.

(d) Par des lettres-patentes de 1612.

Tome XXVII.

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lence, & quatre auteurs (a) qui s'accordent fur ce point, ne different que dans quelques circonftances. J'adopte le récit de celui des quatre qui a dû être le mieux informé (b), & dont le récit eft, dans le fonds, peu différent des autres. Le cardinal de Richelieu, voulant plaire à Rome, pour obtenir à fon frere un chapeau de cardinal, qu'il obtint en effet, envoya chercher Richer (c), & Pengagea à donner une déclaration en termes généraux fur fon livre, qu'il foumettoit à l'églife & au faint fiege. Richer, à qui la préfence d'un cardinal, premier miniftre, & premier ministre abfolu, en avoit impofé, protefta (d) contre la déclaration qu'on avoit exigée de lui; & dès qu'il vit qu'on tâchoit de faire paffer la déclaration pour une véritable rétractation, il défavoua par avance ce que fes infirmités & fon grand âge, la furprife, la violence, les menaces, la vue des tourmens & la mort même, pouvoient lui faire faire contre la doctrine de fon livre. Par ordre du cardinal de Richelieu, le capucin, connu fous le nom de P. Jofeph, attira chez lui Richer, fous prétexte de lui donner à dîner, & le confulter fur un cas de confcience fur lequel Richelieu vouloit avoir fon avis. Après le dîner, ce capucin, en préfence d'un notaire apoftolique venu exprès de Rome, & en présence de Duval, lui dit qu'il n'avoit point d'autre queftion de controverfe à lui propofer que celle de l'autorité du fouverain pontife; & lui préfentant une rétractation toute dreffée: C'est aujourd'hui, lui dit-il, qu'il faut mourir ou rétracter votre livre. A ces mots, deux affaffins fortirent d'une chambre voifine & fe jeterent fur Richer. Le premier le faifit par un bras, lui présentant un poignard par-devant; le fecond le faifit par l'autre bras, lui mettant un poignard fur les reins, tandis que le capucin lui mit un papier fous la main & le lui fit figner, fans lui donner le temps de le lire. Richer, retourné chez lui dans l'agitation qu'on peut imaginer, dicta le récit de ce qui s'étoit paffé, & en fit faire plufieurs copies qu'il figna & qu'il envoya à fes amis. Richer mourut peu de temps après, accablé des horreurs de fon crime. C'eft ainfi qu'il appelloit l'action involontaire qu'il avoit faite.

Un écrivain d'anecdotes (e) a remarqué à ce fujet, qu'en France la politique a fes modes comme les habits; que Richer fut perfécuté fous la régence de Marie de Médicis & fous le miniftere de Richelieu, pour avoir écrit contre les prétentions du pape & contre la cour de Rome; & que Thomaffin, prêtre de l'oratoire, le fut à fon tour, fous le regne de Louis

(a) Richard, auteur du parallele de Richelieu & de Mazarin. Paris 1716; Dupin dans le troifieme vol. de l'hiftoire de l'églife du dix-feptieme fiecle; Baillet dans la vie de Ri, cher; lettres de Moriffot imprimées à Dijon..

(b) Baillet.

(c) En 1629.

(d) En 1630.

(e) Amelot de la Houffaye dans fes mémoires hiftoriques & politiques.

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