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RICHELIEU, (Armand-Jean du Pleffis-) Cardinal, & premier Miniftre de Louis XIII, Roi de France.

ARMAN

RMAND JEAN DU PLESSIS DE, RICHELIEU, étoit fils de François du Pleffis, feigneur de Richelieu en Poitou, gentilhomme de bonne maifon, qui ayant été grand-prévôt de l'hôtel, & chevalier de l'ordre du faint efprit, étoit mort capitaine des gardes du corps; le plus jeune de fes fils, nommé Armand Jean, naquit à Paris l'an 1585, fous le regne de Henri III. I fit fes études dans la même ville au college de Navarre où il fe diftingua par la beauté de fon efprit, & il n'avoit guere plus de vingt ans lorfqu'il prit le bonnet de docteur en théologie. Peu auparavant, Henri IV lui avoit donné l'évêché de Luçon, auquel fon frere Alphonfe avoit renoncé pour se faire chartreux. Comme il paroiffoit fort difficile qu'il pút, dans une fi grande jeuneffe, obtenir fes bulles, il fut obligé d'aller à Rome pour folliciter une difpenfe d'âge. Il fe conduifit fi bien dans cette cour, que le pape Paul V. lui accorda tout ce qu'il fouhaitoit, & il retourna en France fur la fin de l'an 1606, pour aller réfider dans fon diocefe. Il s'y fit beaucoup eftimer, même par les huguenots, à caufe de fon favoir & de fon éloquence, car il étoit un des meilleurs prédicateurs de ce temps-là.

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Après la mort de Henri IV, fa faveur augmenta auprès de la reine Marie de Médicis, parce qu'il étoit intime ami du maréchal d'Ancre & de fa femme qui gouvernoient cette princeffe. Il affifta dans les années 1614 & 1615, aux Etats-généraux du royaume convoqués à Paris, & il fut choifi pour faire le fermon de la clôture de cette affemblée, dont il s'acquitta parfaitement bien; on lui donna enfuite la charge de grand aumônier de la nouvelle reine, Anne d'Autriche, au commencement de l'an 1616: ce fut en cette même année qu'il entra dans le miniftere après l'éloignement de monfieur de Villeroy; Mangot, confident du maréchal d'Ancre, ayant été fait garde des fceaux, l'évêque de Luçon eut la charge de fecrétaire d'Etat que ce magiftrat quittoit, avec le département des affaires de la guerre, quoique cela ne parût guere convenir à l'épifcopat.

La premiere faveur de ce prélat dura très-peu; car après que le maréchal d'Ancre eut été tué au mois d'avril l'an 1617, & que la reine Marie de Médicis eut été confinée à Blois, il fut exilé à Avignon; le roi Louis XIII, ne voulant pas qu'il demeurât dans fes Etats. Deux ans après, la reine s'étant évadée de Blois, fe retira à Angoulême avec le duc d'Epernon où elle tâcha de ramener les mécontens du gouvernement, & d'affembler une armée pour reprendre, par la force, la premiere autorité. Cette princeffe avoit alors pour miniftre l'abbé Ruccellaï, Florentin, qui l'avoit bien fervie dans fa difgrace; mais qui étoit vindicatif, & ne vouloit point faire de

quartier aux ennemis de fa maîtreffe. Comme ce feu étoit près d'embras fer tout le royaume, on envoya, pour l'éteindre, plufieurs pacificateurs, & entr'autres du Perron le jeune, archevêque de Sens, le pere Berulle & le comte de Bethune. La cour ayant été avertie de l'obftacle que l'abbé Ruccellaï mettoit à la paix, on prit le parti de faire revenir l'évêque de Lu çon, parce qu'on favoit le crédit qu'il avoit fur l'efprit de la reine. Il promit, avant que de fortir d'Avignon, de porter cette princeffe à la paix, & il tint fa parole; car il ne fut pas plutôt arrivé à Angoulême, que le traité fut conclu, par lequel on donna le gouvernement d'Anjou & le Pont de Cé à la reine mere. L'abbé Ruccellaï, ayant été difgracié, fe retira auprès du duc de Luynes qui le reçut à bras ouverts: cet abbé fut caufe que le marquis de Temine appella en duel le marquis de Richelieu qu'il tua, & par cette mort la maifon du Pleffis-Richelieu fut éteinte, ne reftant plus que l'évêque de Luçon & fon frere le chartreux.

Ce ne fut pas la feule difgrace de l'évêque, il s'étoit attendu qué par la paix, la reine Marie de Médicis retourneroit à Paris, après quoi il ne doutoit pas qu'il ne rentrât dans le miniftere, ce que le duc de Luynes empêcha en obligeant cette reine à fe retirer à Angers. Elle fut fi mécon→ tente de ce mauvais traitement, qu'elle recommença la guerre civile l'an 1620) & fon parti se trouva bien plus fort que l'année précédente, par le grand nombre de princes & de feigneurs qui se joignirent à elle; mais le roi, fans s'étonner, marcha droit à l'armée des rebelles, & la défit entièrement au pont de Cé qui fut pris d'emblée; après le combat, fi la reine avoit paffé la Loire & s'étoit retirée en Guyenne, elle auroit pu réparer fa perte; mais l'évêque de Luçon l'en détourna; ne pouvant fe réfoudre à s'éloigner fi fort de Paris & de la cour, il confeilla même à fa maîtreffe de mettre bas les armes fans condition & de s'accommoder fincérement avec le roi fon fils, ce qu'elle fit, & le roi promit qu'il nommeroit l'évêque au cardinalat: il le nomma effectivement; mais le duc de Luynes le traversa tant qu'il vécut, quoique ce prélat, dans l'efpérance de fe lier étroitement avec lui, eut marié fa niece, de Pont de Courlay, avec Combaler, neveu de ce favori. Enfin le duc qui avoit été fait connétable étant mort fur la fin de l'an 1621, l'évêque de Luçon ne trouva plus de fi grands obftacles à fon élévation, de forte que le pape Grégoire XV, le fit cardinal l'an 1622. Il fut encore quelque temps fans pouvoir parvenir à ce qu'il défiroit plast que toute autre chofe au monde, qui étoit le miniftere, parce que fes ennemis, le chancelier de Sillery & le vicomte de Puyfieux, fecrétaire d'Etat, avoient alors la fuprême faveur; mais ils furent difgraciés, & leur! malheur mit le cardinal de Richelieu au haut de la roue de fortune, > Puyfieux, que le roi aimoit fort, ayant fait chaffer le comte de Schomberg, furintendant des finances, fut affez mal avisé pour mettre à fa place le marquis de la Vieuville, dévoué à la reine mere, & que cette princeffe ne vouloit avancer que pour pouvoir perdre le chancelier & Puylieux, &

élever enfuite le cardinal de Richelieu; c'eft ce qui arriva au commencement de l'an 1624. Le chancelier & fon fils ayant été cónfinés près de Rheims dans leur maifon où ils finirent leurs jours.

Ce fut donc par les follicitations du marquis de la Vieuville que le cardinal de Richelieu fut établi dans le miniftere au mois de mars de cette année. Il réfigna auffitôt fon évêché de Luçon, afin que rien ne le détournât de fon emploi, où il ne voulut point du tout fe foumettre à fon bienfaiteur, & comme celui-ci prétendoit, en quelque maniere, être le maître parce qu'il étoit l'auteur de la fortune de fon compagnon, il falloit que l'un débufquât l'autre. La reine mere qui avoit dans ce temps-là un grand crédit auprès du roi son fils, maintint le cardinal fa créature, & fit difgracier la Vieuville, qui fut privé de fes emplois & mis en prison.

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Le cardinal de Richelieu commença fon miniftere par l'entreprise fur la Valteline qui s'étoit révoltée contre les Grifons, & dont la rebellion étoit appuyée par le pape & les Espagnols.. Le roi Louis XIII y envoya une armée commandée par le marquis de Cœuvres, qui fut depuis appellé le maréchal d'Eftrées. Les troupes du pape furent aifément chaffées de la Valteline, & les Efpagnols fe trouverent embarraffés, parce que le duc de Savoie, Charles-Emmanuel & les Vénitiens, prirent dans le même temps les armes contr'eux. D'un autre côté, le connétable de Lefdiguieres paffa les monts, & s'étant joint aux Savoyards, alla attaquer les Génois, qui étoient fous la protection de la couronne d'Efpagne.

Le cardinal avoit ménagé une alliance fort étroite non-feulement avec les Hollandois, mais avec le roi d'Angleterre Charles I, qui épousa MarieHenriette de France, fœur du roi. Ce miniftre avoit dès-lors en vue d'exécuter fes projets contre la maifon d'Autriche, mais deux chofes l'obligerent à abandonner ou à fufpendre cette entreprise. La premiere fut la division de la cour, fomentée par plufieurs efprits turbulens qui avoient mis à leur tête Gafton de France, frere unique du roi. La reine mere vouloit marier ce jeune prince felon les intentions du feu roi avec la princeffe de Montpenfier, ce qui ne plaifoit pas à la reine Anne d'Autriche qui craignoit d'être méprisée fi fa future belle-fœur avoit des enfans, parce qu'elle n'en avoit point. Le cardinal de Richelieu, comme fidele ferviteur de la reine mere, appuyoit fort ce mariage de la princeffe de Montpenfier, ce qui lui attira la haine de la reine régnante & des principaux courtisans qui confpirerent pour le perdre, & même pour le tuer.

Le plus animé de ces mécontens étoit le comte de Chalais, maître de la garde-robe du roi, qui s'offrit d'exécuter tous les deffeins de la cabale. Cette confpiration fut découverte; le comte de Chalais fut arrêté, & on fut furpris de voir changer tout d'un coup le duc d'Anjou Gafton, qui ayant époufé la princeffe de Montpenfier, & ayant été fait duc d'Orléans, abandonna tous les amis, & Chalais eut la tête tranchée à Nantes, après qu'on eut perfuadé au roi que ce gentilhomme avoit réfolu de l'affaffiner lorfqu'il fe

mettroit au lit, & que la reine fa femme devoit enfuite époufer Gaston. La feconde chose qui retarda les grands deffeins du cardinal de Richelieu, fut la révolte des huguenots, qui, croyant le roi fort embarraffé dans les guerres d'Italie, prirent les armes, fous prétexte qu'on n'exécutoit point leurs édits. Le cardinal vit bien qu'il lui étoit impoffible de faire aucune. entreprise confidérable, que le roi fon maître ne fût abfolu dans fon royaume, & qu'il n'eût réduit la Rochelle. Pour fe mettre en état de faire cette entreprise, il s'accommoda, en quelque maniere, avec les Espagnols; ce dont le duc de Savoie eut tant de chagrin, qu'il ne pardonna jamais cette alliance au roi ni à fon miniftre. D'un autre côté, le roi d'Angleterre fut: fort fâché que la France tournât contre les huguenots les armes qu'on avoit promis de porter contre les Espagnols & la maison d'Autriche, afin de rétablir le Palatin, beau-frere de ce roi, dans fes états confifqués par l'empereur à caufe de la guerre de Boheme. Le duc de Buckingham, favori du roi d'Angleterre, contribua fort à aigrir l'efprit de fon maître; car ce duc, dans fon ambaffade de France, ayant été affez fou pour faire l'amoureux public de la reine Anne d'Autriche, le roi en fut très-offenfé, de forte que ce feigneur ayant voulu revenir en France en ambaffade, s'offrant en ce cas-là d'accorder tout ce que l'on fouhaiteroit, le roi ne voulut jamais fouffrir qu'il revint à sa cour.

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Le cardinal de Richelieu, fans s'étonner des menaces des Anglois, réfo-, lut de réduire la Rochelle, & il en vint à bout par le moyen de la fameufe digue qu'il fit conftruire, de maniere qu'elle réfifta aux flots de l'Océan, & qu'elle empêcha toute communication entre la ville & la mer.: Les Anglois firent leurs efforts pour fauver la Rochelle d'abord ils defcendirent dans l'ifle de Rhé, & attaquerent la fortereffe de faint Martin, qui fut vaillamment défendue par le brave Thoiras, ce qui donua le temps. au cardinal de le fecourir par le moyen d'une flotte de petits bâtimens qui pafferent durant la nuit en deux fois à la faveur du vent & de la marée : non-feulement ce fecours fit éloigner les Anglois, mais il battit leur armée, à la retraite; les Anglois étant venus jufqu'à trois fois avec des flottes formidables, pour faire lever le fiege de la Rochelle, trouverent des obstacles invincibles par le moyen de la digue, & des vaiffeaux françois, qui en défendoient l'approche. Enfin la plupart des habitans étant morts de faim ou près de mourir de mifere, le peu qui reftoit fut obligé d'implorer la miféricorde du roi. Ainfi tomba la Rochelle, qui étoit le boulevard des huguenots & des féditieux. Cet événement arriva fur la fin de l'an 1628, & le bon fuccès de cette glorieuse entreprise, fut entiérement dû aux foins de ce grand cardinal.

Durant ce long & pénible fiege un événement imprévu agita toute l'Europe; ce fut la mort de Vincent, duc de Mantoue, auquel fuccéda Charles de Gonzague, duc de Nevers, né en France, mais qui étoit le plus proche héritier du défunt. La maifon d'Autriche ne put fouffrir qu'un François

naturel jouît de ce bel héritage, & fût maître, par conféquent, des deux plus importantes places d'Italie, Cazal & Mantoue.

Le duc Charles-Emmanuel, prince très-ambitieux, & mécontent de la cour de France, fe joignit à don Gonzale de Cordoue, général de l'armée Efpagnole, pour dépouiller le nouveau duc, fur l'affurance qu'on lui donna, qu'il auroit pour fa part tout le Montferrat, excepté la ville de Cafal qui démeureroit aux Efpagnols.

Le duc de Savoie & don Gonzale bloquerent étroitement cette ville s'affurant de la faire tomber par famine, puifqu'elle ne pouvoit être fecourue que par les François alors entiérement occupés au fiege de la Rochelle. Plufieurs même étoient d'avis, au confeil de France, qu'on ne s'engageât point dans une guerre étrangere, tandis que le feu étoit encore allumé. dans le royaume; mais le cardinal, par une hardieffe inouie, fit réfoudre le fecours de Cazal, & avant même que la Rochelle fût réduite, on fit paffer les Alpes à un corps de troupes commandé par le marquis d'Uxelle, qui entra en Piémont par la vallée de faint Pierre. Le duc de Savoie le chargea à l'improvifte & le défit. Cet échec irrita beaucoup le roi; mais loin de le dégoûter de cette entreprife, il l'excita à la vengeance & le porta à tout risquer pour la faire réussir.

La reine mere étoit fort oppofée à ce deffein, auffi-bien que le cardinal de Berulle, le garde des fceaux Marillac, & le duc de Guile qui étoient les plus cruels ennemis du cardinal de Richelieu, & qui travailloient de concert à aigrir cette princeffe contre lui; en effet, elle étoit alors dégoûtée de cet ancien favori, parce que le duc d'Orléans, veuf de fa premiere. femme, avoit voulu époufer la princeffe Marie de Gonzague, fille du duc de Mantoue, ce qui avoit mis en une furieufe colere la reine mere qui vouloit abfolument remarier fon fils à une fœur du grand-duc de Tofcane.

Outre que le duc, pere de la princeffe Marie, lui étoit très-odieux à caufe des orages qu'il avoit excités pendant qu'elle avoit été régente, la reine régnante s'oppofoit fous main à ce mariage; car n'ayant point d'enfant elle appréhendoit fort de tomber dans l'oubli au cas que fa prétendue bellefœur en eût. Le cardinal, qui ne vouloit point fe brouiller ouvertement avec ces grandes puiffances, diffuada même le roi d'entrer dans les emportemens & les paffions de fa mere. Cette conduite du cardinal de Richelieu offenfa mortellement la reine Marie de Médicis & l'irrita au dernier point contre lui; elle le traita de perfide & d'ingrat; étant perfuadée que Îui devant tout ce qu'il étoit, il devoit tout facrifier pour elle fans au-> cun ménagement: elle prit donc, dès ce temps-là, la réfolution de le faire difgracier; mais elle ne put y parvenir, parce que le cardinal étoit devenu maître abfolu de l'efprit du roi. Comme il gouvernoit entiérement ce prince, il le conduifit l'an 1629, aux Alpes pour forcer le paffage de la vallée de Suze dans une faifon très-facheufe, ce qui réuffit au grand

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