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fénat puiffe ftatuer; il eft même fouvent à propos d'effayer une loi avant de l'etablir. La conftitution de Rome & celle d'Athenes étoient très-fages : les arrêts du fénat (a) avoient force de loi pendant un an; ils ne devenoient perpétuels que par la volonté du peuple.

I I.

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DANS l'ariftocratie, la fouveraine puiffance eft entre les mains d'un certain nombre de perfonnes. Ce font elles qui font les loix & qui les font exécuter; & le refte du peuple n'eft tout au plus à leur égard, que comme dans une monarchie les fujets font à l'égard du monarque.

On n'y doit point donner le fuffrage par fort; on n'en auroit. que les inconvéniens. En effet, dans un gouvernement qui a déjà établi les diftin&tions les plus affligeantes, quand on feroit choifi par le fort, on n'en feroit pas moins odieux; c'est le noble qu'on envie, & non pas le magiftrat.

Lorfque les nobles font en grand nombre, il faut un fénat qui regle les affaires que le corps des nobles ne fauroit décider, & qui prépare celles dont il décide. Dans ce cas, on peut dire que l'ariftocratie eft en quelque forte dans le fénat, la démocratie dans le corps des nobles, & que le peuple n'eft rien.

Ce fera une chofe très-heureufe dans l'ariftocratie, fi, par quelque voie indirecte on fait fortir le peuple de fon anéantiffement: ainfi à Gênes la banque de faint George, qui eft adminiftrée en grande partie par les principaux du peuple (b), donne à celui-ci une certaine influence dans le gouvernement, qui en fait toute la profpérité.

Les fénateurs ne doivent point avoir le droit de remplacer ceux qui manquent dans le fénat; rien ne feroit plus capable de perpétuer les abus. A Rome, qui fut dans les premiers temps une espece d'ariftocratie, le fénat ne fe fuppléoit pas lui-même; les fénateurs nouveaux étoient nommés (c) par les cenfeurs.

Une autorité exorbitante, donnée tout-à-coup à un citoyen dans une République, forme une monarchie, ou plus qu'une monarchie. Dans celles-ci les loix ont pourvu à la conftitution ou s'y font accommodées; le principe du gouvernement arrête le monarque; mais, dans une République où un citoyen fe fait donner (4) un pouvoir exorbitant, l'abus de ce pouvoir

() Voyez Denys d'Halicarnaffe, liv. 4 & 9.

(b) Voyez M. Addiffon, voyages d'Italie, pag. 16

(c) Ils le furent d'abord par les confuls.

(d) C'est ce qui renverfa la République romaine. Voyez les confidérations fur les caufes de la grandeur des Romains & de leur décadence. Paris 1755.

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eft plus grand, parce que les loix qui ne l'ont point prévu, n'ont rien fait pour l'arrêter.

L'exception à cette regle, eft lorfque la conftitution de l'Etat eft telle qu'il a befoin d'une magiftrature qui ait un pouvoir exorbitant. Telle étoit Rome avec fes dictateurs, telle eft Venife avec fes inquifiteurs d'Etat; ce font des magiftratures terribles qui ramenent violemment l'Etat à la liberté. Mais, d'où vient que ces magiftratures fe trouvent fi différentes dans ces deux Républiques? C'eft que Rome défendoit les reftes de fon aristocratie contre le peuple; au lieu que Venife fe fert de fes inquifiteurs d'Etat pour maintenir fon ariftocratie contre les nobles. Delà il fuivoir, qu'à Rome la dictature ne devoit durer que peu de temps, parce que le peuple agit par fa fougue & non pas par fes deffeins. Il falloit que cette magiftrature s'exerçât avec éclat, parce qu'il s'agiffoit d'intimider le peuple, & non pas de le punir; que le dictateur ne fut créé que pour une feule affaire, & n'eut une autorité fans bornes qu'à raifon de cette affaire, parce qu'il étoit toujours créé pour un cas imprévu. A Venife, au contraire, il faut une magiftrature permanente : c'eft-là que les deffeins peuvent être commencés, fuivis, fufpendus, repris; que l'ambition d'un feul devient celle d'une famille, & l'ambition d'une famille celle de plufieurs. On a besoin d'une magiftrature cachée, parce que les crimes qu'elle punit, toujours profonds, fe forment dans le fecret & dans le filence. Cette magiftrature doit avoir une inquifition générale, parce qu'elle n'a pas à arrêter les maux que l'on connoît, mais à prévenir même ceux qu'on ne connoît pas. Enfin cette derniere eft établie pour venger les crimes qu'elle foupçonne; & la premiere employoit plus les menaces que les punitions pour les crimes, même avoués par leurs auteurs.

Dans toute magiftrature, il faut compenfer la grandeur de la puiffance par la briéveté de fa durée. Un an eft le temps que la plupart des légiflateurs ont fixé; un temps plus long feroit dangereux, un plus court feroit contre la nature de la chofe. Qui eft-ce qui voudroit gouverner ainfi fes affaires domeftiques? A Ragufe (a) le chef de la République change tous les mois, les autres officiers toutes les femaines, le gouverneur du château tous les jours. Ceci ne peut avoir lieu que dans une petite République (b) environnée de puiffances formidables, qui corromproient aisément de petits magiftrats.

La meilleure aristocratie eft celle où la partie du peuple qui n'a point de part à la puiffance, eft fi petite & fi pauvre, que la partie dominante n'a aucun intérêt à l'opprimer. Ainfi, quand Antipater établit à Athenes que ceux qui n'auroient pas deux mille drachmes, feroient exclus du droit

(a) Voyages de Tournefort.

(b) A Lucques, les magiftats ne font établis que pour deux mois.

Tome XXVII.

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de fuffrage, il forma la meilleure ariftocratie qui fut poffible; parce que ce cens étoit fi petit qu'il n'excluoit que peu de gens, & perfonne qui eur quelque confidération dans la cité.

Les familles aristocratiques doivent donc être peuple, autant qu'il eft poffible. Plus une aristocratie approchera de la démocratie, plus elle fera parfaite; & elle le deviendra moins, à mefure qu'elle approchera de la monarchie.

La plus imparfaite de toutes, eft celle où la partie du peuple qui obéit eft dans l'esclavage civil de celle qui commande. De l'efprit des loix. liv. II. chap. 2 & 3.

RÉPUBLIQUE FÉDÉRATIV E.

C'EST une forme de gouvernement par laquelle plusieurs corps politiques confentent à devenir citoyens d'un Etat plus grand qu'ils veulent for→ mer. C'eft une fociété de fociétés qui en font une nouvelle, qui peut s'agrandir par de nouveaux affociés qui s'y joindront.

Si une République eft petite, elle peut être bientôt détruite par une force étrangere: fi elle eft grande, elle fe détruit par un vice intérieur. Ce double inconvénient infecte également les démocraties & les ariftocraties, foit qu'elles foient bonnes, foit qu'elles foient mauvaises. Le mal eft dans la chose même; il n'eft point de forme qui puiffe y remédier. Auffi y a-t-il grande apparence que les hommes auroient été à la fin obligés de vivre toujours fous le gouvernement d'un feul, s'ils n'avoient imaginé une maniere de conftitution & d'affociation, qui a tous les avantages intérieurs du gouvernement républicain, & la force extérieure du monarchique.

Ce furent ces affociations qui firent fleurir fi long-temps le corps de la Grece. Par elles, les Romains attaquerent l'univers; & par elles feules l'univers fe défendit contr'eux : & quand Rome fut parvenue au comble de fa grandeur, ce fut par des affociations derriere le Danube & le Rhin, affociations que la frayeur avoit fait faire, que les barbares purent lui réfifter. C'eft par-là que la Hollande, l'Allemagne, les ligues Suiffes, font regardées en Europe, comme des Républiques éternelles.

Les affociations des villes étoient autrefois plus néceffaires qu'elles ne le font aujourd'hui; une cité fans puiffance couroit de plus grands périls. La conquête lui faifoit perdre non-feulement la puiffance exécutrice & la lé gislative, comme aujourd'hui; mais encore tout ce qu'il y a de propriété parmi les hommes, liberté civile, biens, femmes, enfans, temples, & Tépultures même.

Cette forte de République, capable de réfifter à la force extérieure, peut fe maintenir dans fa grandeur, fans que l'intérieur fe corrompe : la forme

de cette fociété prévient tous les inconvéniens. Celui qui voudroit ufurper ne pourroit guere être également accrédité dans tous les Etars confédérés: s'il fe rendoit trop puiffant dans l'un, il alarmeroit tous les autres. S'il fubjuguoit une partie, celle qui feroit libre encore pourroit lui réfifter avec des forces indépendantes de celles qu'il auroit ufurpées, & l'accabler avant qu'il eût achevé de s'établir.

S'il arrive quelque fédition chez un des membres confédérés, les autres peuvent l'appaiser. Si quelques abus s'introduifent quelque part, ils font corrigés par les parties faines. Cet Etat peut périr d'un côté, fans périr de l'autre ; la confédération peut être diffoute, & les confédérés refter fouverains. Compofé de petites Républiques, il jouit de la bonté du gouvernement intérieur de chacune, & à l'égard du dehors, il a par la force de l'affociation, tous les avantages des grandes monarchies.

La République fédérative d'Allemagne eft compofée de villes libres, & de petits Etats foumis à des princes. L'expérience fait voir, qu'elle eft plus imparfaite que celle de Hollande & de Suiffe; elle fubfifte cependant, parce qu'elle a un chef; le magiftrat de l'union, eft en quelque façon le mo

narque.

Toutes les Républiques fédératives n'ont pas les mêmes loix dans leur forme de conftitution. Par exemple, dans la République de Hollande, une province ne peut faire une alliance fans le confentement des autres. Cette loi est très-bonne, & même néceffaire dans la République fédérative; elle manque dans la conftitution germanique, où elle préviendroit les malheurs qui y peuvent arriver à tous les membres, par l'imprudence, l'ambition, ou l'avarice d'un feul. Une République qui s'eft unie par une confédération politique s'eft donnée entière, & n'a plus rien à donner.

On fent bien qu'il eft impoffible que les Etats qui s'affocient, foient de même grandeur, & aient une puiffance égale. La République des Lyciens étoit une affociation de vingt-trois villes; les grandes avoient trois voix dans le confeil commun; les médiocres deux, les petites une. La Répu blique de Hollande eft compofée de fept provinces, grandes ou pecites, qui ont chacune une voix. Les villes de Lycie payoient les charges, felon la proportion des fuffrages. Les provinces de Hollande ne peuvent fuivre cette proportion; il faut qu'elles fuivent celle de leur puiffance.

En Lycie, les juges & les magiftrats des villes étoient élus par le confeil › commun, & felon la proportion que nous avons dite; dans la République de Hollande, ils ne font point élus par le confeil commun, & chaque ville nomme ses magiftrats. S'il falloit donner un modele d'une belle République fédérative, ce feroit la République de Lycie, qui mériteroit cet honneur. Après tout, la concorde eft le grand foutien des Républiques fédératives ; c'eft auffi la devife des Provinces-Unies confédérées : concordia res parvæ crefcunt, difcordiâ dilabuntur.

RÉPUTATION, f. f.

C'EST une forte de problême dans la nature, dans la philofophie, & dans la religion, que le foin de fa propre Réputation & de fon honneur.

La nature répand de l'agrément fur les marques d'eftime qu'on nous donne; & cependant elle attache une forte de flétriffure à paroître les rechercher. Ne croiroit-on pas qu'elle eft ici en contradiction avec elle-même? Pourquoi profcrit elle par le ridicule, une recherche qu'elle femble autorifer par le plaifir? La philofophie qui tend à nous rendre tranquilles, tend auffi à nous rendre indépendans des jugemens que les hommes peuvent porter de nous ; & l'estime qu'ils en font n'eft qu'un de ces jugemens, en tant qu'il nous eft avantageux. Cependant la philofophie la plus épurée, loin de réprouver en nous le foin d'être gens d'honneur; non-feulement elle l'autorife, mais elle l'excite & l'entretient. D'un autre côté, la religion ne nous recommande rien davantage, que le mépris de l'opinion des hommes, & de l'estime qu'ils peuvent, felon leur fantaisie, nous accorder ou nous refufer. L'évangile même porte les faints à défirer & à rechercher le mépris; mais en même-temps le faint Efprit nous prefcrit d'avoir foin de notre Réputation.

La contrariété de ces maximes n'eft qu'apparente: elles s'accordent dans Je fonds; & le point qui en concilie le fens, eft celui qui doit fervir de regle au bien de la fociété, & au nôtre en particulier. Nous ne devons point naturellement être infenfibles à l'eftime des hommes, à notre bonheur & à notre Réputation. Ce feroit aller contre la raison qui nous oblige d'avoir égard à ce qu'approuvent les hommes, ou à ce qu'ils improuvent le plus univerfellement & le plus conftamment. Car ce qu'ils approuvent de la forte, par un confentement prefque unanime, eft la vertu, & ce qu'ils improuvent ainfi, eft le vice. Les hommes, malgré leur perversité, font juftice à l'un & à l'autre. Ils méconnoiffent quelquefois la vertu; mais ils font obligés fouvent de la reconnoître; & alors ils ne manquent point de l'honorer: être donc infenfible, par cet endroit, à l'honneur, je veux dire à l'eftime, à l'approbation & au témoignage que la confcience des hommes rend à la vertu, ce feroit l'être en quelque façon à la vertu même, qui y feroit intéreffée. Cette fenfibilité naturelle eft comme une impreffion mife dans nos ames par l'auteur de notre être; mais elle regarde feulement le tribut que les hommes rendent en général à la vertu, pour nous attacher plus fortement à elle. Nous n'en devons pas être moins indifférens à l'honneur que chaque particulier, conduit fouvent par la passion ou la bizarrerie, accorde ou refuse à la vertu de quelques-uns, ou à la nôtre en particulier.

L'eftime des hommes en général ne fauroit être légitimement méprisée,

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