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vérité, ont été les premiers à ufer de fuppofition dans les faits, de mauvaile foi & de furprife dans les raifonnemens; ils ont employé le inenfonge, l'artifice, & toutes fortes d'iniquités, pour alonger les procès, & pour défendre les mauvaifes caufes. C'eft à réprimer ces abus que fe rapportent principalement les moyens efficaces, contenus dans le plan que je développe.

Le roi de Pruffe commença par procéder au retranchement & à la caffation de tous ceux qui, s'étant ingérés dans le métier d'avocat, fans y avoir aucune vocation, fans talens, fans probité, n'avoient été que des fangsues publiques & des boute-feux dans la fociété. Il traita de même ceux qui, après avoir commencé la fonction d'avocat, fans aucune irrégularité, avoient enfuite dégénéré, & s'étoient rendus coupables d'iniquités avérées. Le premier acte de la juftice royale dans la réformation de la jurifprudence, fut donc d'interdire pour toujours les avocats qui fe trouvoient dans le cas qu'on vient d'indiquer. Pour s'aflurer véritablement de leur tort, le roi enjoignit à la commiffion établie pour réformer la juftice, d'examiner foigneulement tous les procès qui n'étoient pas terminés, & de démêler les causes de retardement qui venoient de l'incapacité ou de la malice des avocats. Quelque fàcheufes que fuffent les fuites de cette jufte févérité, à l'égard de leur fortune particuliere, ils n'avoient pourtant ni fujet de fe plaindre, ni droit de prétendre à la compaffion, puifqu'il n'y avoit aucune comparaifon à faire entre les maux qu'ils s'attiroient, & ceux qu'ils caufoient dans la fociété.

En fecond lieu, pour prévenir le retour des mêmes inconvéniens, il étoit effentiel d'empêcher pour l'avenir l'existence de cette multitude énorme d'avocats, qui, faute d'occupation, étoient toujours prêts à entreprendre les mauvaises caufes, & cherchoient à exciter & à fomenter des divifions dont ils puffent tirer parti. Pour cet effet, le nombre des avocats à chaque cour de juftice fut fixé; & il fut ftatué en vertu du nouveau réglement, que les candidats feroient à l'avenir examinés à fonds fur le droit & fur les ordonnances, & qu'ils fe légitimeroient pour leur emploi, tant par cet examen, que par diverfes autres preuves de leur capacité.

En troifieme lieu, comme ci-devant le falaire des avocats n'étoit point déterminé, ni pour la fomme, ni pour le temps du payement, & que. plus une affaire tiroit en longueur, plus ils faifoient financer continuellement les parties, le nouveau plan prévint tous ces abus, en déterminant par fentence dans chaque inftance la rétribution des avocats modérée felon leur travail, & à proportion de la qualité des affaires, de leur objet & des facultés des parties.

Il fut auffi défendu aux avocats de prendre un fou, avant que te procès fût terminé; & par-là ils ont le même intérêt que les parties à en voir la fin.

Tout ce que nous avons dit pour prouver qu'il faut des avocats, ne ro

garde cependant que les grandes villes, & les tribunaux confidérables. Bien loin qu'on puiffe appliquer ces réflexions aux petites villes, bourgs ou villages, c'est un très-grand mal au contraire qu'il y ait des avocats dans ces endroits-là, & qu'ils y trouvent de la pratique. Il eft rare qu'il y naiffe des procés de quelque importance. Les parties font fur les lieux. le juge eft fort peu occupé, & chaque affaire peut être terminée en bref. Rien n'est même plus effentiel au bonheur des habitans de femblables lieux, que ce que les procès y prennent promptement fin. Leurs facultés pour l'ordinaire ne fuffiroient pas aux frais d'une longue pourfuite, mais surtout leur repos en eft beaucoup plus altéré, que dans les grandes villes, parce que les objets de leurs querelles font continuellement devant leurs yeux, & que renfermés avec eux dans les bornes étroites de leur féjour, ils ont à tout moment des occafions de s'aigrir & d'envenimer leur haine. Un juge fuffit donc dans ces petits lieux; mais il eft effentiel qu'il ait un degré de capacité convenable à la nature de ces affaires, & qu'il y joigne une parfaite intégrité.

Avant que de paffer à ces arrangemens de détail, le roi commença la réforme par les juftices fupérieures, ou grands tribunaux. Il n'est pas difficile d'en découvrir les raifons. L'importance des affaires qui fe traitent devant ces tribunaux, demandoit qu'ils fuffent le premier objet de fon attention. D'ail→ leurs comme les juftices inférieures dépendent des fupérieures, qui ont infpection fur elles, remédier aux défauts de celles-ci, c'eft déjà une grande, avance par rapport aux autres.

Ce n'eft pas faire une digreffion hors d'œuvre, que de réfléchir un moment fur la néceffité des corps de juftice, ou tribunaux fupérieurs. Ceux qui ne connoiffent pas bien les hommes, pourroient aifément s'imaginer que la décifion du juge inférieur fuffit, & qu'il n'y a point de meilleur moyen pour abréger les procès, que de s'y borner. Mais quand on penfe, combien il eft rare qu'un tel juge ait une capacité affez étendue, pour juger fainement de tous les cas variés à l'infini qui peuvent fe préfenter, & que d'ailleurs toute la prudence & toute l'intégrité d'un homme, par les mains duquel paffe une fuite continuelle d'affaires, ne fauroient l'empêcher de tomber quelquefois dans l'erreur; quand on fait, dis-je, ces réflexions, on s'apperçoit aifément, qu'il doit être permis d'évoquer certaines causes, & d'obtenir révifion de la premiere fentence. Et comme après tout les juges iniques ne font que trop communs, il eft effentiel de les contenir dans leur devoir par la crainte de recevoir des mortifications, au cas que leur arrêt foit caffé, & d'en être même refponfables dans certains cas. Sans cela la plupart des juges inférieurs deviendroient dans peu de petits tyrans.

L'appel eft donc un remede que les loix donnent aux parties, pour faire. changer ou redreffer par les juges fupérieurs une fentence que l'on croit injufte. Mais ce remede deviendroit pire que le mal, s'il ne fervoit qu'à

différer fans fin la décifion des procès & à tenir la partie qui a le droit de fon côté, dans une incertitude perpétuelle fur la jouiffance de ce droit. C'eft pourquoi il faut limiter la voie d'appel dans certaines bornes, & lui prescrire un dernier terme péremptoire. Et comme les parties habituées dans les petites villes, ou villages, font fort ignorantes en fait de Procédure, & qu'il leur feroit très-dommageable de laiffer écouler le terme prefcrit pour l'appel, le juge inférieur doit le leur expliquer d'une maniere claire & pofitive; & pour leur ôter tout fujet de doute à cet égard, le leur indiquer au bas de la fentence de la maniere qui eft prefcrite, recevoir enfuite la déclaration d'appel, & la faire fignifier à la partie adverfe afin qu'elle ne requiere point l'exécution de la fentence, dont l'effet eft fufpendu par l'appel.

Il y a pourtant bien des cas, où la nature des affaires ne laiffe aucun Hieu à l'appel, ou demande du moins l'exécution provifionnelle de la fentence. Le bon fens indique ces cas. Tels font ceux où il y auroit quelque danger dans le retardement, où il s'agit d'ouïr des témoins, fauf à la partie adverse à fournir fes exceptions contre eux, où il faut payer des frais de Procédure déterminés par les taxes, & en général dans toutes les bagatelles. L'exécution ne fauroit être différée non plus dans toutes les affaires qui regardent le droit de change, fans la rigueur duquel le négoce ne pourroit fe foutenir. Notre deffein ne nous permet pas d'entrer là-deffus dans de plus grands détails, fur lefquels on peut confulter l'ordonnance.

L'appel étant porté devant le juge fupérieur, l'appellant doit avoir un temps déterminé pour profiter de cette voie, & déduire fon droit de la maniere qu'il juge lui être la plus avantageufe. C'eft pour cet effet qu'on lui accorde un terme de quatre femaines. Il paroîtroit peut-être court, fi l'appellant étoit obligé de raffembler lui-même les pieces, qui fervent à l'instruction de fon affaire, ou s'il falloit qu'il fe mit en frais, en recourant à un avocat, qui fit des copies de toutes ces écritures. On prévient tout cela, en enjoignant au juge inférieur d'envoyer immédiatement après Pappel, & fans autre ordre fpécial, tous les actes au tribunal fupérieur; de forte qu'avec ce fecours, les quatre femaines fufdites font très-fuffifantes pour revoir l'affaire & rendre une nouvelle fentence. Les mêmes actes mettent fouvent en évidence que les griefs déduits & présentés par l'appellant à la juftice fupérieure, font dénués de tout fondement. Dans ce cas, comme il feroit inutile de perdre le temps, & de faire de nouveaux frais, l'appellant doit auffitôt être débouté par un arrêt bien motivé, contenant les principales raifons, qui réfutent directement les griefs propofés. Ainfi, les juges d'appel confirment la premiere fentence qu'ils trouvent jufte, fans entendre celle des parties qui y a acquiefcé, & qui en plaidant n'auroit pu faire autre chose que foutenir le bien jugé de cette fentence. Au contraire, fuivant la Procédure ufitée en Allemagne & en France, les juges fupérieurs n'ofent confirmer la fentence dont eft l'appel, avant que l'autre

partie n'ait été dûment affignée, ou intimée pour être entendue. Mais dès que les griefs de l'appellant ont le moindre fondement, & qu'il reste lieu à quelque doute, ou bien, fi l'appellant éclaircit des faits qui n'avoient pas été fuffifamment difcutés, & s'il offre de faire de nouvelles preuves dans ce cas il est enjoint aux juges d'appel d'entendre les parties.

Pour établir leurs droits, elles fourniffent dans les délais portés par l'ordonnance leurs pieces d'écriture, qu'on nomme déductions, exceptions, ré, plique & duplique. Cette divifion eft fondée en raifon, Il peut aisément le trouver dans la premiere réponse, ou exception, des conteftations sur lesquelles le juge n'eft pas en état de prononcer, avant que d'avoir oui la réplique du demandeur; & celui-ci acquérant par ce moyen le droit de procéder deux fois à l'établiffement de fa demande, l'égalité naturelle veut que le défendeur ait auffi le privilege d'une double défenfe, ou duplique. Mais l'on fent aifément qu'il faut limiter ces dits & contredits, & que tout ce qui va au-delà des délais fufdits ne fert qu'à alonger, & pour l'ordinaire qu'à embrouiller la Procédure,

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Il n'étoit pas moins néceffaire de fixer, comme le roi de Pruffe l'a fait, les inftances, ou différentes voies de Procédure. Trois inftances fuffifent pour difcuter folidement les affaires litigieufes, de quelque nature qu'elles foient. Pour prévenir les incidens & les difficultés, qui arrêtent la décifion, il enjoint févérement aux avocats de ne fe charger d'aucune caufe, ni d'entamer aucun procès, avant que d'avoir pris de leurs parties toutes les informations néceffaires, pour mettre la vérité dans fon jour, & les juges en état de décider ce que de raifon. Si malgré ces précautions, les juges de la premiere inftance, devant lefquels le procès a commencé, & les juges même d'appel n'ont pas rendu la juftice à qui elle appartient, alors la partie qui fe croit léfée, a encore la voie de révifion, c'est-à-dire, le bénéfice de la troifieme inftance, pour expofer fes griefs, en fuivant la Procédure preferite pour l'inftance d'appel. L'une & l'autre de ces deux dernieres inftances peuvent être terminées dans l'espace de fix mois, & fouvent beaucoup plutôt par un arrêt rendu avec entiere connoiffance de caufe, qui confirme le précédent, ou bien le change & le réforme, par les raifons tirées du fait & du droit, inférées dans l'arrêt, ou qu'on y joint, lorfqu'elles demandent un ample difcuffion. (a).

(a) Joignons ici une remarque, qui acheve de montrer jufqu'où l'exactitude a été pouffée. Il arrive quelquefois qu'une partie a obtenu gain de caufe dans les deux premieres inftances, de forte qu'elle a, par devers foi, deux fentences, ou arrêts conformes, c'està-dire, que l'arrêt prononcé en feconde inftance, confirme à pur & à plein le jugement rendu en premiere inftance. Dans ce cas-là, la présomption eft du côté de la partie, qui a eu deux fois gain de caufe. Si la partie adverfe a recours à la troifieme & derniere inftance, & que les deux rapporteurs nommés, jugent que cette partie a raison, & qu'ainfi il y a lieu à réformer les deux précédentes fentences, ou arrêts conformes, alors il faut que chaque membre du tribunal opine féparément, & que tous, fans fe communiquer leurs avis, envoient chacun le leur au préfident, afin qu'après avoir compté les voix & difcuté de nouveau l'affaire dans l'affemblée, on rende, conformément à la pluralité des voix, un arrêt bien motivé, qui réfute les raisons contenues dans les jugemens précédens.

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Și l'on objecte que malgré tout cela, les confeillers de la chambre, où du tribunal qui juge en dernier reffort, quelque habiles & expérimentés qu'ils foient, peuvent encore fe tromper, & faire tort à l'une des parties, & qu'ainfi il eft dur de lui ôter toute reffource de faire redreffer ce tort, il eft aifé de répondre que la difficulté fubfiftera toujours, dût-on augmenter le nombre des inftances à l'infini, c'eft-à-dire, éternifer les procès. Eft-il des précautions capables d'empêcher que le bon droit ne foit léfé? Autant vaudroit dire qu'on a trouvé les moyens de délivrer les hommes de toutes leurs imperfections. Des plans de la nature de celui-ci parviennent à leur but, quand ils mettent les chofes fur le meilleur pied où elles puiffent être, les hommes étant tels qu'ils font. Concluons donc, pour revenir à notre fujet, que le nombre de trois inftances doit être en quelque forte facré, & que le fouverain ne fauroit équitablement y en ajouter de nouvelles, ou nommer des commiffions ultérieures, fous prétexte de privilégier quelques perfonnes. Toute infraction des loix eft fouverainement dangereufe; & le prince qui la permet, jette fes fujets dans une jufte défiance. Quand il eft question d'établir des loix, on ne fauroit apporter trop d'attention à les rendre convenables au bonheur des peuples; mais quand une fois elles font en vigueur, le dommage que certains particuliers peuvent en fouffrir dans des cas extrêmement rares, n'eft pas une raifon fuffifante de changer l'ordre, & de violer la loi. Ces particuliers eux-mêmes, fi la raifon les guidoit, conviendroient qu'ils fe trouvent dans le cas de faire un facrifice au bien public, qui l'emporte fur leur intérêt particulier. Il en eft comme des défordres apparens de la nature. Ce font des accidens qui résultent néceffairement des fages loix, fur lefquelles l'être fuprême regle le gouvernement du monde, & perfonne ne pourroit prétendre fans folie que Dieu intervint par des miracles, pour le tirer des cas où ces accidens tournent à fon dommage.

La matiere des appels étant liée avec celles des tribunaux, que nous avons entamées, continuons à développer la conftitution de ces tribunaux. C'eft un fujet de la derniere importance. Ils font ordinairement compofés d'un chef, ou préfident, & d'un certain nombre de confeillers, ou affelfeurs. Il y a outre cela la chancellerie, dont ce n'eft pas ici le lieu de parler. Le préfident a l'inspection fur tous les autres membres du tribunal, & c'eft de concert avec eux qu'il regle tout ce qui reffort de ce tribunal. Les confeillers font dans l'obligation de fe charger du travail que le préfident leur impose. Leur but commun, c'eft que la justice foit rendue fans aucune acception de perfonnes & fans perte de temps, d'une maniere exactement conforme aux loix & aux ordonnances.

On comprend aifément, que la fupériorité de ces tribunaux exige une fupériorité de talens dans ceux qui les compofent. Ils doivent joindre à une connoiffance exacte des loix naturelles & civiles, & à l'habileté requise pour en faire l'application dans les cas qui fe préfentent, des vues pures, Tome XXVII.

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