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des choses en conféquence defquelles les droits échus & à échoir y furent abandonnés.

Dans le contrat de mariage (en 1684,) de la ducheffe de Savoie, autre fille de Philippe de France, duc d'Orléans, c'eft encore, comme dans les précédens, le roi qui feul difpofe de fa perfonne, & qui la dote de la fomme de neuf cents mille livres, au moyen de laquelle elle renonce, au profit du roi, à tous les droits à elle échus par le décès d'Henriette-Anne d'Angleterre, fa mere; le duc d'Orléans fon pere y ajoute foixante mille livres de bagues & joyaux, & la ceffion de deux cents quarante mille livres à prendre dans les intérêts qui étoient dûs pas le roi d'Angleterre de la dot de la feue princeffe fon époufe, au moyen de quoi & des deux conftitutions dotales, elle renonce à tous droits fucceffifs paternels & autres qui pourroient lui échoir. On fent le peu de réalité qui fe trouve dans la dot du pere.

Le contrat de mariage de la ducheffe de Lorraine, mere du dernier empereurs, préfente bien une autre fingularité, c'est encore le roi qui difpofe de fa perfonne & qui lui conftitue en dot la fomme de 900 mille livres. Le duc & la ducheffe d'Orléans, fes pere & mere, lui conftituent auffi en dot la fomme de 400 mille livres, mais payable feulement après le décès du furvivant des deux, outre 300 mille livres de bagues & joyaux qui lui font actuellement donnés. Au moyen defquelles dots ainfi conftituées, tant par le roi que par le prince & princeffe, pere & mere, il eft dit que la princeffe, future épouse, renonce à la fucceffion dudit feigneur fon pere au profit de S. M. & à celle de madame fa mere au profit de M. le duc de Chartres fon frere, depuis duc d'Orléans, régent du royaume. On trouve donc dans ce contrat non-feulement une dot dont le payement eft remis après la mort des pere & mere, on y trouve encore, par une fingularité bien plus grande, une Renonciation faite à la fucceffion future du pere, non en faveur d'aucun des enfans & defcendans du pere, mais uniquement en faveur du roi. On ne croit pas qu'une pareille difpofition réuffit, dans un contrat de mariage qui fe pafferoit entre particuliers, mais elle eft inattaquable dans le contrat de mariage d'une princeffe du fang, dont les conventions ne font émanées que de la seule volonté du roi.

Charlotte-Aglaë d'Orléans, fille de Philippe d'Orléans, régent de France, fut mariée en 1720, au prince héréditaire de Modene, & dotée par le roi & par le prince fon pere, en conformité des articles dreffés par ordre du roi entre les commiffaires de France & ceux de Modene. La dot conftituée par le roi fut payée, celle conftituée par le régent ne le fut qu'en partie. La princeffe de Modene prétendit que toute Renonciation faite par une fille, lors de fon mariage, aux fucceffions directes & collatérales, devient fans effet. & eft radicalement nulle, lorfque la dot en confidération & fous la condition de laquelle la Renonciation a été faite, n'a pas été

payée avant la mort du pere donateur. Elle demanda d'être admife au partage des biens des fucceffions, tant du duc d'Orléans fon pere, que de la princeffe de Beaujolois fa fœur. On lui oppofa que c'étoit le roi qui avoit difpofé de la princeffe, & qui avoit dicté la loi fous laquelle il avoit voulu que le mariage fût contracté, ce qui tiroit ce contrat de la claffe des mariages ordinaires; & par arrêt de la grand'chambre du parlement de Paris dus de feptembre 1737, il fut donné acte au duc d'Orléans de l'offre qu'il avoit faite de payer ce qui reftoit à payer de la dot de la princeffe de Modene; il fut condamné, de fon confentement, à payer ce fupplément, & la princeffe de Modene fut déclarée non recevable dans fa demande.

Enfin, dans le contrat de mariage de Louife-Elifabeth d'Orléans, fille du même prince Philippe, duc d'Orléans, régent de France, qui époufa en 1721 Louis premier, alors prince des Afturies & depuis roi d'Espagne, le roi feul difpofe encore de fa perfonne & des conditions fous lesquelles il la marie. Le roi lui conftitue en dot la fomme de 500 mille écus d'or, & ce pour lui tenir lieu de tous droits paternels, maternels, & autres qui pourroient lui échoir, auxquels elle a renoncé & renonce en faveur du duc de Chartres fon frere, enfuite duc d'Orléans. Le régent vient à la fuite & lui fait un don de 40 mille écus de pierreries qui devoient lui être délivrées lors de fon paffage en Efpagne, mais qui font également étrangeres & à la dot & à la Renonciation.

Dans quelques-uns de ces mariages, la Renonciation eft faite aux droits échus, comme aux droits à échoir; dans d'autres, la Renonciation eft faire, même aux droits à échoir, non au profit des defcendans de ceux aux fuc-. ceffions defquelles il eft renoncé, mais au profit du roi. Dans presque tous, c'eft le roi qui dote feul, & c'eft uniquement en confidération de la dot conftituée par le roi, que la Renonciation aux fucceffions directes & collatérales fe trouve faite. Quel eft le principe de ces difpofitions? Il n'a rien que de jufte & qui ne foit conforme à l'ordre public. Ce n'eft pas que, dans les cas ordinaires & entre particuliers, fi qualifiés qu'ils peuvent être d'ailleurs, il fût permis de confondre, dans une Renonciation, des droits échus & à échoir; ce n'eft pas qu'un collatéral ou un étranger pût, au moyen d'une dor par lui conftituée, ftipuler une Renonciation à fon profit, ce n'eft pas qu'il pût même la faire valoir en faveur des freres de l'époufe qui n'auroit point été dotée par fes pere & mere. C'eft que le roi n'eft, à l'égard d'une princeffe de fon fang, ni un étranger ni un collatéral; c'eft que, comme fouverain, il eft le pere de tous fes fujets; c'est que, comme chef de la maison royale, il en eft la fource, auffi-bien que de tous les domaines & effets qui compofent le patrimoine des princes du fang royal; c'eft que, comme roi, il eft en droit, difons plus, il eft obligé d'ordonner, dans les conventions qui regardent les princes & princeffes du fang, de tout ce qui intéreffe le bien de fon Etat, auquel ces conventions ne peuvent jamais être étrangeres.

Voilà les Renonciations hors d'atteinte dans le droit public des François. Examinons-les dans les principes du droit des gens, qui font les feuls qui puiffent être admis dans la queftion que nous allons traiter.

I V.

La fureté de l'Europe eft une loi fouveraine & fans réplique, fous laquelle les intérêts les plus importans des princes plient.

LB

Es loix qui relevent les enfans des Renonciations faites à leur préjudice par leurs peres & meres dans le pays où il y en a de telles, ne font que des regles pour les particuliers, citoyens dans un Etat où les loix ont été faites ou adoptées; mais les princes fouverains font eux-mêmes légiflateurs & s'engagent à l'observation des loix qu'ils font. Une Renonciation entre des fouverains eft irrévocable dans tous les lieux. Il n'en eft pas des princes comme des particuliers qui font fujets aux loix obfervées dans les pays où ils vivent. Les fouverains au-deffus des loix civiles peuvent les changer, ils n'y font pas aftreints après qu'ils ont changé ou qu'ils ont fait des contrats contraires qui leur tiennent lieu de loix. L'intérêt public a des regles différentes de l'intérêt particulier, & il n'eft point de lieu en Europe où une Renonciation qui entre dans le droit des gens ne foit hors d'atteinte. La fureté de l'Europe eft une loi fouveraine & fans réplique fous laquelle les intérêts les plus importans des princes plient. Il y a un droit étroit & privé qui fonde les diftinctions du tien & du mien, & donne aux particuliers la faculté, le domaine, la propriété de tout ce qu'ils poffedent; mais il y a un autre droit principal & fupérieur, qui eft la fource, la regle & l'interprete infaillible du droit des particuliers & de toutes les loix qui l'ont pour objet. Ce droit éminent réfide dans la communauté ou dans le prince qui la représente & qui agit en fon nom. Il regle toujours & abforbe quelquefois le droit privé & commun des particuliers, lorsqu'il eft néceffaire pour le bien du tout. Delà l'axiome; que le falut public foit la loi fupreme. Cette loi fuprême juftifie d'ailleurs des difpofitions contraires à la difpofition de toutes les loix particulieres; il eft bien jufte qu'une partie qui dépend du tout cede fon propre bien au bien de tout.

V.

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L'autorité du prince, celle des Etats & celle des princes étrangers, rendent valable, dans tous les cas, la Renonciation au préjudice des defcendans de celui qui a renoncé.

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Left indubitable que l'autorité du prince, celle des Etats, & celle des princes étrangers, rendent valable dans tous les cas & dans toutes les circonftances une Renonciation au préjudice des defcendans de celui qui a renoncé, quand même cette Reuonciation feroit condamnée entre les particuliers par les loix civiles du pays.

Je fais que l'on peut dire que le prince n'a point de jurifdiction contre le droit de fon fucceffeur, & qu'il ne peut par conféquent l'en priver. Je fais que l'on peut fuppofer que l'autorité des Etats eft également impuiffante, & qu'une fois que le peuple a tranfporté fon droit au prince & à la famille royale, il n'a plus le pouvoir de difpofer d'une couronne fucceffive, tant que la famille royale subsiste; que la voix de la nation ne doit être écoutée que quand on veut lui donner un maître qu'elle ne doit pas avoir, fuivant les loix fondamentales de l'Etat, ou qu'on veut lui en ôter un que les mêmes loix appellent au trône, même que fon fuffrage ne fauroit fervir de regle quand fa voix s'éleve au-deffus des loix : je fais enfin que l'on peut prétendre que l'intervention des princes étrangers ne fauroit non plus rendre la Renonciation valable, & que le concours des puiffances étrangeres pent bien être la marque de l'intérêt des Etats voifins, mais qu'il ne fauroit être la regle du droit d'un fouverain qui eft indépendant de ces Etats. Ces propofitions prifes féparément font vraies jufqu'à un certain point dans le droit privé d'un Etat. Un prince ne peut, de fon autorité, priver fon fucceffeur de fes droits. La nation, liée à tous les membres de la famille royale, ne le peut pas non plus toute feule indépendamment du prince; mais fi l'on rapproche ces trois faits, concours du prince, concours du peuple; concours des puiffances étrangeres, il fera impoffible de douter qu'une Renonciation où ces trois circonftances auront concouru, ne puiffe juftement être oppofée à tous les defcendans de celui qui l'a faite. C'eft une propofition inconteftable, non-feulement dans le droit des gens, mais dans le droit public de chaque Etat. L'autorité du prince, l'approbation du peuple, l'intérêt des autres Etats rendent valable entre les fouverains & chez toutes les nations, un acte même qui ne le feroit point entre des particuliers. Loin d'être foumis à aucune loi particuliere ces fortes de contrats font eux-mêmes des loix générales. Voyez AUTORITÉ DE LA NATION, & DROIT des Gens.

Que fi l'on dit qu'il n'eft pas question ici de favoir ce qui convient ou ne convient pas à l'intérêt de l'Europe en général, ou de quelque prince en particulier, & qu'il ne s'y agit que de connoître à qui une fouverai

neté

neté appartient en confultant la regle & la raifon, la réponse fera fimple. La vraie regle, c'eft le bien public univerfel, c'est l'intérêt des peuples. La vraie raifon, c'eft la paix à laquelle tous les Etats font intéreffés, c'est l'exécution des engagemens pris. On raifonnera au refte toujours mal, lorfqu'on oppofera l'intérêt d'un particulier à celui d'un Etat, à celui de toute l'Europe, & lorfqu'on alléguera les maximes du droit civil contre les principes du droit des gens.

Les puiffances chrétiennes de l'Europe prifes collectivement, font comme une république; chaque puiffance confidérée en particulier, eft membre de ce corps, & il n'en eft point qui ne foit intéreffée à la tranquillité du corps entier. Comme un particulier qui prévoit l'embrafement de la maifon de fon voifin, a droit de le prévenir, même par la ruine de cette maison, à caufe des fuites qui font juftement à craindre, chaque nation n'a-t-elle pas auffi intérêt de pourvoir à fa fureté? Le corps formé par tous les Etats de l'Europe ne peut-il pas être regardé jufqu'à un certain point, comme ayant, pour leur intérêt commun, fur chaque puiffance en particulier, cette efpece de fupériorité qui, entre le prince & fes fujets, eft appellée droit éminent & fupérieur? Il faut ajouter que plufieurs puiffances ayant traité ensemble, leur traité eft dans le droit des gens, une loi générale & fupérieure à toutes les loix civiles qui font ici fans force. 11 faut donc confidérer quel eft l'intérêt de l'Etat qui a contracté, & quel celui des nations voifines qui ont pris part à la difcuffion, & qui fe font rendues garantes des Renonciations. Si ces Renonciations n'étoient pas bonnes, & fi elles ne pouvoient en aucun temps, être oppofées aux defcendans du prince qui a renoncé, il n'y auroit jamais rien de fixe ni de stable dans les contrats des rois; ces contrats que les jurifconfultes placent au rang des contrats de bonne foi, feroient illufoires (a); perfonne ne pourroit contracter valablement avec les princes; nulle puiffance ne pourroit changer les loix fondamentales des Etats que l'intérêt même des Etats demande qu'on change; & il feroit déformais inutile que les nations fiffent des traités de paix, toute voie de conciliation feroit fermée aux puiffances qui ont des différens; une guerre éternelle défoleroit la terre; & les hommes n'auroient plus d'autre occupation que celle de s'égorger les uns les autres. Une loi formée par le concours de la puiffance publique dans un Etat & des puiffances étrangeres, devient la loi fondamentale de toutes les nations de l'Europe, & elle eft fous la protection du droit des gens pour la fureté commune de tous les peuples.

(a) Omnes contra&tus qui fiuns cum principe, habent naturam bonæ fidei contractuum. Balde, en fon commentaire fur la paix de Conftance au §. 2. fur ces mots : fi qua verò civitatum.

Tome XXVII.

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